Charles Platiau via Reuters
Contre l’ubérisation de la société, Fabien Roussel (candidat communiste à la présidentielle) veut offrir le salariat à tous les travailleurs. (Illustration avec une manigestation de livreurs Deliveroo à Paris en août 2019). 

POLITIQUE – “L’Ubérisation”. Le mot est construit à partir du nom d’une entreprise qui a une dizaine d’années d’existence à peine, et il est pourtant sur toutes les lèvres. Il a même déjà sa place dans le dictionnaire. Dans le Larousse, il désigne la “remise en cause du modèle économique d’une entreprise ou d’un secteur d’activité par l’arrivée d’un nouvel acteur proposant les mêmes services à des prix moindres, effectués par des indépendants plutôt que par des salariés, le plus souvent via des plateformes de réservation sur internet”. L’ubérisation, c’est en effet un modèle économique qui fonctionne en contournant sciemment le droit du travail et de la protection sociale en refusant de reconnaître aux travailleurs le statut de salarié qui est le leur.

Car oui, il s’agit bien de salariat. Et ce n’est pas (que) moi qui le dis, mais les juges, en France, en Europe, et dans le monde entier. Pourtant, les plateformes numériques continuent de faire semblant de ne rien voir et de ne rien entendre. Certes, il y a bien ici et là, une poignée de salariés qui ont le courage et l’énergie d’aller devant les tribunaux, et oui, ils gagnent leurs procès… Au mieux, quelques petits milliers d’euros au bout de longues années de procédure… Rien qui n’effraie réellement ces gigantesques machines à exploiter.

Leurs pratiques de concurrence déloyale et de “sur-exploitation” continuent alors, étouffant les entreprises de mêmes secteurs qui respecteraient la loi. Et les plus précaires n’ont d’autre choix que de bosser dans des conditions de travail et de rémunérations indignes d’une époque où l’on a jamais autant produit de richesses.

“Dans quel monde de fous vivons-nous?”

Apparaissent alors des phénomènes de tâcheronnat numérique, “d’entr’exploitation” entre les travailleurs les plus précaires, parmi lesquels les jeunes issus des milieux populaires et/ou très exclus du marché de l’emploi, ou encore les travailleurs “sans-papiers”. Le résultat est terrible: sans la protection du droit du travail, sans les limites qu’elle dresse à la concurrence sociale entre les travailleurs, sans les impératifs qu’elle impose au pouvoir patronal, la misère explose. Rappelons-nous de la sidération de Patrice Blanc, le président des Restos du Cœur, sur France inter, qui explique voir “des jeunes arriver aux Restos du Cœur avec leur tenue Uber Eats: eux-mêmes apportent à manger, mais n’ont pas à manger pour eux”. Dans quel monde de fou vivons-nous ?

C’est vrai, le droit du travail n’est pas parfait. Il faut dire que des décennies de politiques libérales l’ont bien amoché, lui qui avait su un temps (celui de Gérard Lyon-Caen ou de Philippe Waquet) protéger les travailleurs de la loi du profit. Le droit du travail “n’est pas venu au monde pour le transformer de fond en comble, mais seulement pour le rendre plus supportable pour des catégories de sujets qui faisaient figure de ‘derniers’”, a écrit le juriste italien Umberto Romagnoli. Or avec les plateformes de travail, ce sont justement  les plus fragiles qui trinquent. C’est open-bar pour l’exploitation: plus de Smic, plus de cotisations sociales, plus de congés payés, plus d’obligation de sécurité de l’employeur. Les plateformes ramassent les profits sans avoir à être responsables de quoi que ce soit envers les travailleurs ni même la société.

L’ubérisation est une maladie contagieuse. N’allez pas imaginer que les livreurs et les chauffeurs VTC sont seuls concernés. Nous le sommes toutes et tous, ou presque.”

Pas étonnant que resurgisse le travail des enfants. Et dans ces conditions, devinez ce qui leur arrive, à ces enfants: le 12 janvier au soir, dans le quartier de Fives à Lille, un adolescent de 16 ans qui circulait à bicyclette est mort dans un accident de la route. Signe distinctif: il était porteur d’une sacoche de livraison de l’entreprise britannique Deliveroo, omniprésente en France depuis 2015. On ne peut pas laisser ces entreprises toxiques continuer sans rien faire…

D’autant que l’ubérisation est une maladie contagieuse. N’allez pas imaginer que les livreurs et les chauffeurs VTC sont seuls concernés. Nous le sommes toutes et tous, ou presque. Évidemment, ce sont les plus précaires qui sont visés en premier, à l’image des “femmes de ménage”: le secteur de l’entretien à domicile est en train de se faire “ubériser”, comme si les conditions de travail et de rémunérations n’étaient pas suffisamment infernales.

En la matière, les élus communistes ont tout fait pour soutenir les luttes des travailleurs des plateformes. À Paris et à Nancy, ils sont à l’origine de la mise en place de Maisons des coursiers pour venir en aide aux livreurs, parmi les plus paupérisés. L’idée est d’offrir à ces travailleurs précaires et isolés, un lieu où se reposer, se réchauffer, boire un café ou recharger son téléphone… ou tout simplement d’aller aux toilettes, un lieu où parler avec des syndicats, où se retrouver, et ainsi aider à rétablir un rapport de forces. Mais ça, c’est de l’urgence sociale.

Ce qu’il faut, c’est imposer à ces plateformes le respect de la loi. Et là encore, en dépit de la proposition de loi des élus communistes pour imposer le respect du droit du travail, la majorité gouvernementale a préféré refuser pour essayer d’inventer des usines à gaz pro-plateformes. Mais quel intérêt y a-t-il à soutenir un modèle si toxique pour la société? Comme toujours, notre gouvernement est aux côtés d’une poignée d’ultra-riches, au détriment de celles et ceux qu’ils exploitent. La justice sociale est un concept qui lui est bien trop inconnu…

“Le mieux est de prendre exemple sur l’Espagne”

Pourtant, il est possible de faire plier ces plateformes. En Europe, une proposition de directive entend faire des travailleurs des plateformes des salariés. Il faudra que nous appuyions de toutes nos forces en cette direction. Et le mieux est encore de prendre exemple sur l’Espagne. La ministre communiste du travail Yolanda Diaz n’a pas attendu de directive pour faire des livreurs des salariés par la loi. Une attitude courageuse de notre voisine, à mille lieues du comportement de notre gouvernement. Parce oui, le monde ne tourne pas de la même manière selon les choix politiques que l’on a décidé de faire, selon les valeurs de celles et ceux qui nous représentent.

Nous n’admettons pas que des actionnaires privilégiés jouent avec la vie des travailleuses et des travailleurs.”

La république sociale que j’entends défendre mettra toute son énergie à défendre celles et ceux qui en ont le plus besoin. Nous n’admettons pas que des actionnaires privilégiés jouent avec la vie des travailleuses et des travailleurs, qu’ils obtiennent des passe-droits pour ne pas respecter la loi et se faire toujours plus de fric en épuisant les gens jusqu’à les briser. Nous ne tolérons pas que des personnes qui travaillent ne puissent pas vivre dignement de leur salaire, qu’on les prive de leur droit à la dignité et à la sécurité, qu’on fasse d’elles et eux des infra-citoyens. Il est temps de remettre les choses en ordre. Avec moi, les travailleuses et les travailleurs des plateformes auront enfin accès au statut de l’emploi salarié, avec son droit du travail et de sa sécurité sociale. Et pour les plateformes, et toutes les entreprises qui utilisent des algorithmes pour automatiser et invisibiliser le pouvoir patronal, nous ferons en sorte que les représentants des travailleurs aient accès à des data-scientists pour contrôler ce qui est mis dedans.

Parce que mon objectif est simple, c’est celui tracé par la déclaration de Philadelphie de 1944: “le travail n’est pas une marchandise […] Tous les êtres humains, quels que soient leur race, leur croyance ou leur sexe, ont le droit de poursuivre leur progrès matériel et leur développement spirituel dans la liberté et la dignité, dans la sécurité économique et avec des chances égales ; La réalisation des conditions permettant d’aboutir à ce résultat doit constituer le but central de toute politique nationale et internationale.”

À voir également sur Le HuffPost: Pour ce livreur, quitter Uber Eats et Deliveroo a été un soulagement


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