Un peu plus de trois ans après la disparition de Rotten et quelques mois après la fin de Best Gore, un autre monument du web dégueulasse des années 2000 plonge donc dans la tombe. LiveLeak était le représentant le plus « sérieux » de cette sombre famille : son objectif annoncé depuis son lancement en octobre 2006 était de montrer la réalité dans toute sa nudité atroce, de la mise à mort de Saddam Hussein à la décapitation du journaliste James Foley. La plateforme rouge et noire invoquait un impératif journalistique pour justifier la diffusion de ces images. Hayden Hewitt a déclaré en 2007 : « Tout ceci arrive, c’est la vraie vie, ça se produit en ce moment, et nous allons le montrer. »
Certaines voix ont immédiatement salué la disparition de la plateforme. Dans un article intitulé LiveLeak est enfin mort après quinze ans, une journaliste de Mashable tance : « Désolé si vous vouliez voir un meurtre brutal pour quelque raison que ce soit. » D’autres observateurs ont préféré lui rendre hommage : « Le monde est un endroit effrayant et violent, explique un lecteur de Hacker News. Sans LiveLeak, on peut ne jamais le découvrir. Avant de voir la véritable violence et le gore, tout ça ne signifie rien, ce ne sont que des mots. Je ne me souciais pas du tout des guerres au Moyen-Orient avant de voir la réalité sur LiveLeak. Quand on a vu des enfants morts et des gens avec les jambes arrachées, les commentaires de CNN et de la Fox semblent bien légers. »
Les habitués des sites gore invoquent souvent le caractère didactique des images violentes pour justifier leur consommation : pour beaucoup, même la plus coûteuse des campagnes de sensibilisation aux dangers de la conduite en état d’ébriété est moins utile que la photographie d’un être humain réduit en amas de viande par un accident, un vrai. « Quand les médias censuraient des évènements, j’allais sur LiveLeak pour voir ce qui se passait vraiment, explique un internaute sur Reddit. C’était parfois flippant, mais je me disais que c’était nécessaire. Je pense que je suis plus empathique, et plus prudent au volant grâce à ces vidéos. »
Quelques sites gore survivent à LiveLeak : le terrible The YNC, qui mêle sur sa page d’accueil pornographie hardcore et exécutions de cartels mexicains, et le forum payant Documenting Reality. Au mieux, les individus qui souhaitent se confronter à la violence du monde devront se rabattre sur ces plateformes douteuses. Au pire, ils devront se rendre sur des hébergeurs de vidéos aux positions politiques douteuses et donc prendre le risque de se familiariser avec des idéologies autrement plus dangereuses que des vidéos non-censurées. « Maintenant, si quelqu’un me demande où il peut voir ce truc qui a été supprimé de YouTube, note un lecteur de Hacker News, je ne peux rien conseiller qui ne soit pas une décharge de l’alt-right. »
La disparition de LiveLeak et les discussions qu’elle entraîne rappellent qu’Internet connaît actuellement un schisme aux conséquences potentiellement désastreuses. Les réseaux sociaux et les grands hébergeurs qui ne souhaitent pas fâcher les annonceurs pratiquent assidûment la censure et le deplatforming. Ce faisant, elles poussent un nombre toujours croissant d’internautes dans les abysses techniques, politiques et communautaires du réseau : conspirationnistes en tout genre, néo-nazis et autres amateurs de vidéos violentes transitent ensemble vers le bulletproof hosting et les réseaux décentralisés depuis des années. Nous ne les voyons plus mais ils existent encore, à jamais vifs et terrifiants, tout comme ces images de civils syriens décapités par l’État islamique. Ils sont juste plus loin de nous et de nos petites bulles numériques. Ça ne peut pas être bon.
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