À l’heure où le gouvernement de Jean Castex a décidé de renforcer les restrictions sanitaires pour mieux lutter contre la pandémie de Covid-19, plusieurs de nos voisins européens comme l’Italie, la Pologne ou l’Autriche ont eux commencé à les alléger, rouvrant certains lieux culturels. Il est “trop tôt” pour réduire les mesures en raison “de la circulation très élevée du virus” avait pourtant alerté l’Organisation mondiale de la santé (OMS) le 28 février. Comment, alors, expliquer ces décisions? De quelle manière sont-elles mises en place pour limiter les risques de propagation?
La situation sanitaire s’améliore en Italie
Alors que depuis le 18 janvier déjà, les institutions culturelles de six régions avaient pu rouvrir en Italie comme la Galerie des Offices de Florence, depuis le 1er février, plusieurs autres musées ou lieux culturels sont accessibles au public. Le Colisée, les Musées du Vatican, la Chapelle Sixtine, le Panthéon, la Galerie Borghese ou encore le Château Saint-Ange ont désormais leurs portes rouvertes, en semaine seulement pour éviter de trop grands rassemblements de personnes.
Pourtant, l’Italie est le deuxième pays européen le plus touché par la pandémie et le sixième au monde, avec plus de 89.000 décès. La raison principale invoquée par le gouvernement pour alléger ces mesures? “La situation sanitaire globale montre de légers signes d’améliorations”, a répondu le ministère de la Santé italien fin janvier.
Dimanche 31 janvier, le pays a recensé 11.249 cas de contamination, contre 15.191 le mercredi 27, d’après l’université américaine Johns-Hopkins. Si cinq régions -les Pouilles, la Sardaigne, la Sicile, le Haut-Adige et l’Ombrie- sont encore classées “orange”, plus aucune zone ne figure en rouge.
À l’intérieur de ces musées, le protocole sanitaire reste toutefois très strict, avec des horaires particuliers selon les jours (de 10h à 18h dans certains musées, jusqu’à 13h uniquement pour d’autres). Leur accès, gratuit le premier mois, est limité et accessible uniquement sur réservation. Des gels désinfectants sont disponibles le long du parcours, le marquage au sol évite les mouvements de foule, un thermomètre automatique prend la température des visiteurs à l’entrée et le port du masque demeure obligatoire.
Ces réouvertures de lieux culturels restent cependant dépendantes de la situation sanitaire et du nombre de contaminations. “Nous ne savons pas combien de temps cela sera possible, mais nous continuerons d’offrir la possibilité de profiter de la culture, vaccin contre l’ignorance”a notamment souligné Laure Castelletti, adjointe au maire de Brescia, dans le nord du pays.
Un nombre de contaminations stable en Pologne
En Pologne, musées et galeries d’art ont rouvert le 1er février, également en raison d’une baisse du nombre de contaminations et de décès depuis le début du mois de janvier.
D’après Reuters, les infections sont en baisse dans le pays, avec 5357 nouvelles contaminations signalées en moyenne chaque jour, soit 21% du pic (la moyenne quotidienne la plus élevée) constaté le 11 novembre 2020. Adam Niedzielski, ministre de la Santé, a justifié cette décision par une diminution de 10% du nombre de décès par rapport à la semaine précédente, fin janvier.
“Ce qu’il était possible d’alléger dans la situation actuelle a été allégé. Tenons bon un peu plus longtemps pour éviter une troisième vague”, a abondé le porte-parole du ministère de la Santé lors d’une conférence de presse. Mais là encore, les musées sont soumis à un protocole sanitaire strict, avec un nombre de visiteurs limité par lieu.
En Autriche, le coût psychologique des fermetures
Le 8 février, les musées et galeries d’art rouvriront également en Autriche, alors même que le chancelier conservateur Sebastien Kurz avait reconnu lors d’une conférence de presse début février que le pays était “loin” du “scénario idéal d’un taux d’incidence de 50 cas pour 100.000 habitants sur sept jours”, rappelle Franceinfo. Mais il faut tenir compte “d’autres aspects”, comme le poids social et psychologique des restrictions, a-t-il poursuivi. Et de conclure: “Nous avons donc décidé à l’unanimité de prendre des mesures d’assouplissement prudentes”.
De violentes manifestations rassemblant des milliers de personnes ont eu lieu ces dernières semaines dans le pays, pour protester contre des mesures sanitaires jugées trop strictes, à l’instar du confinement, en vigueur depuis le 26 décembre.
Condition sine qua non de la réouverture toutefois, les visiteurs devront porter un masque chirurgical. Et tous les musées ne rouvriront pas: seule une partie du musée de Vienne sera par exemple accessible, comme la Villa d’Hermès, utilisée pour des expositions. Le but est de permettre l’application de la règle de 20 mètres d’espace créée pour chaque client au lieu de dix auparavant. Sebastien Kurz a d’ailleurs rappelé que des mesures sanitaires plus strictes pourraient de nouveau entrer en vigueur si la situation sanitaire se dégradait.
Le poids économique en Espagne
En Espagne, où 29.000 nouvelles infections ont été recensées mercredi 3 février, la logique avancée pour rouvrir les lieux culturels est économique. Depuis le mois de juin 2020, tous les musées, cinémas et salles de concert sont ouverts au public. À l’Opéra de Madrid, des centaines de personnes viennent par exemple assister chaque soir à la représentation de Don Giovanni. “Le spectacle doit continuer”, a déclaré à l’AFP le ministre espagnol de la Culture Jose Manuel Rodriguez Uribes, qui veut montrer que la culture est un “espace sûr”.
“Les capacités financières de l’Espagne pour se permettre un reconfinement généralisé sont très faibles. Le premier confinement a été catastrophique pour l’économie espagnole. Le pays est traumatisé”, avait expliqué au HuffPost Anne-Sophie Alsif, cheffe économiste au Bureau d’informations et de prévisions économiques (BIPE).L’Espagne a connu une récession de 12,8% en 2020 selon les prévisions du FMI, ce qui en fait le pays d’Europe occidentale le plus touché par les conséquences économiques liées au Covid-19.
Masques obligatoires, fauteuils libres entre les groupes de spectateurs ou lumières ultraviolettes conseillées par les médecins pour désinfecter la salle et les costumes après une représentation: le protocole sanitaire reste strict.
Calcul bénéfices-risques “favorable” à la réouverture
Le résultat du calcul bénéfices-risques de ces différents pays “est favorable à la réouverture”, selon Bertrand Maury, chercheur de l’université Paris-Saclay au Laboratoire de mathématiques d’Orsay et membre de Modcov19, une plateforme de modélisation pour mieux lutter contre la pandémie. “On peut facilement limiter le nombre de visiteurs dans les musées”, explique-t-il auprès du HuffPost.
Par ailleurs, alors que l’on sait que le Covid-19 se transmet par l’intermédiaire de gouttelettes microscopiques capables de flotter dans l’air, la ventilation et la hauteur des plafonds jouent un rôle clé dans la propagation du virus. “Or dans un musée, les plafonds sont relativement élevés et les systèmes d’aération modernes. Il faut mesurer la qualité des systèmes d’aération en calculant les niveaux de CO2. Plus il y a de CO2, plus il y a d’aérosols en suspension”, développe Bertrand Maury. Il demeure néanmoins plus dubitatif pour les salles de spectacles et de concerts, où les systèmes de ventilation sont moins modernes selon lui.
Et en France?
Dans l’Hexagone, aucune date n’a été évoquée pour une réouverture des lieux culturels. Mais selon Le Parisien, un document de travail existe aux ministères de la Culture et de la Santé pour définir un cap. Il s’agit d’un dispositif progressif de réouverture graduée pour les musées, salles de spectacles, théâtres et cirques, établissant une échelle graduée de 0 à 5. À chaque niveau correspondent des activités autorisées avec un protocole. Mais il ne s’agit que “d’une grille de travail” et les discussions sont toujours en cours, explique le ministère de la Culture au HuffPost.
Mais d’après Bertrand Maury, “des mesures prises au niveau national” comme ce protocole “n’auraient pas beaucoup de sens”. “Il faut prendre des mesures locales car la réalité est hétérogène”, relève-t-il. Par ailleurs, il juge les risques de contamination “faibles” dans les lieux culturels, à condition de respecter les mesures sanitaires et de maintenir un taux de ventilation suffisamment élevé pour éviter la propagation des aérosols.
Selon lui, avec une aération correcte et des plafonds élevés, “on pourrait atteindre des niveaux de concentration d’aérosols et de CO2 assez bas, de 1000 parties par millions (ppm, une unité de mesure, NDLR)”. Une concentration en CO2 est considérée comme risquée à partir de 2500 ppm. Le spécialiste est toutefois confiant: depuis novembre dernier, où les connaissances quant à la ventilation étaient minces, “il y a eu beaucoup de progrès et une prise de conscience en France quant à l’importance des taux de ventilation. C’est ce qui pourrait permettre de rouvrir plusieurs lieux culturels”.
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