Écrit et réalisé par Michel FRANCO – USA 2023 1h40mn VOSTF – avec Jessica Chastain, Peter Sarsgaard, Merritt Wever, Brooke Timber, Josh Charles, Elsie Fisher, Jessica Harper…
Du 19/06/24 au 16/07/24
« L’obscurité est un lieu, la lumière est une route… » Dylan Thomas, poète gallois
Les films ne sont jamais aussi lumineux que lorsqu’ils sont des cris d’amour qui tentent d’extirper les êtres de la noirceur qui les guette en secret. Memory est de ceux-là, tout comme La Mémoire éternelle, également au programme ce mois-ci. L’un est une fiction, l’autre un documentaire… touchés par la grâce, ils planent comme en apesanteur, élégants autant que bouleversants. Vibrantes déclarations de vie, de joie, de joie de vivre ! Tout aussi lumineux l’un que l’autre, ils nous parlent de cette étrange et magnifique mémoire qui s’en va et qui revient, qui un jour où l’autre disparaitra définitivement, fondra dans le feu d’un oubli monstrueusement réparateur.
Ah ces petites sauteries soi-disant réjouissantes où l’on retrouve ses anciens camarades de classe ! Une tradition bien ancrée au pays de l’Oncle Sam et à laquelle, poussée par son entourage, Sylvia (Jessica Chastain, subtile, magnifique comme jamais) ne coupera pas cette fois. La voilà qui essaie de donner le change dans une soirée ampoulée ou chacun essaie de ressusciter ses vertes années, de déterrer les anecdotes croustillantes. Mais quand on a coupé les ponts avec les gens de ce passé imposé, comment ne pas s’y ennuyer ? Et s’y ennuyer doublement quand on est abstème, qu’on ne peut même pas se désinhiber grâce à un petit verre d’alcool, que l’on doit résister à la tentation d’y tremper ses lèvres par peur de replonger dans sa dépendance ? Et comment ne pas triplement s’y ennuyer quand un importun jette son dévolu sur vous et vient s’assoir sur la chaine voisine, en vous fixant d’un œil un peu égaré, sourire incertain aux lèvres Sylvia s’enfuit sans un au revoir de l’immense salle des fêtes louée pour l’occasion, loin du brouhaha des rires, loin de la musique d’une époque que les moins de vingt ans font bien de ne pas connaitre, loin des souvenirs qui auraient mieux fait de rester enterrés.
Fin de party, Silvia happe un grand bol d’air frais dans la solitude incognito de la nuit, à grandes enjambées elle s’éloigne du passé. Seulement, quelqu’un marque ses pas dans les siens. L’homme qui l’a abordée quelques instants plus tôt la suit résolument, sans faiblir, sans mot dire. Rien sur son visage ne laisse présager de ses intentions, de son état émotionnel… Amoureux transi, psychopathe ? Que se passe-t-il dans la tête de Sylvia qui a remarqué son manège ? Le chemin semble long jusqu’à son appartement où elle pourra se barricader, pourtant court est ce trajet qui la fait remonter dans le temps, celui des souvenirs peut-être fantasmés, celui des souvenirs qu’elle aurait aimé ne pas avoir.
Ce soir-là rien de plus ne se passera. Une fois les loquets de sa porte bien fermés, Sylvia s’endormira à coup de somnifères. Pourtant cet incident marquera le début d’une autre ère, quand, le matin venu, elle découvrira au pied de sa porte l’homme prostré, tremblant de froid ou d’autre chose. Un coup de fil plus tard, le dénommé Saul (magistralement incarné par Peter Sarsgaard !) sera récupéré par sa famille et Silvia pensera qu’elle peut reprendre le cours de sa vie normalement, avec son adolescente de fille, magnifique de malice bienveillante, continuer son métier peut-être sous-payé mais dans lequel elle s’épanouit aux services des autres. Pourtant quelque chose à présent semble s’être déglingué, quelque chose qui ne lui laisse plus de répit et sur lequel il lui faudra bien poser des mots…
Le scénario, à la fois complexe et d’une fluidité limpide, nous conduit par le bout du nez sans qu’on puisse deviner dans quelles directions, dans quelles dimensions il nous entraîne, tout aussi contemporaines qu’universelles. Progressivement la vérité va percer, ou plutôt plusieurs vérités, difficiles à arracher au silence… Un film formidablement prenant, splendide !