Jawara : Salut, mec. Ça fait plaisir de te voir.
Qu’est-ce que tu vends ?
Principalement de l’herbe. C’est ce que les gens viennent chercher ici. Mais si quelqu’un veut du speed, de la coke ou des pilules, j’ai aussi ça en stock.
Comment vont les ventes ?
Pendant la pandémie, sans les touristes, ça me prenait plus de temps pour vendre ma marchandise. Mais je traîne avec mes potes, on passe du temps ensemble. J’ai toujours des clients, principalement des étrangers et des gens qui viennent de l’extérieur de la ville.
Tu te fais beaucoup d’argent ?
Quand tu dis beaucoup… ? J’en gagne assez pour moi et ma famille. J’ai un enfant. Je gagne suffisamment d’argent pour acheter de chouettes vêtements, mais je ne suis pas riche. Pour l’instant, sans touristes, dans les bons jours, je suis content si je fais 200 euros de bénéfice.
Tu as des soucis avec la police ?
Il faut être prudent. Parfois ils te confisquent ta marchandise et ils ne t’interpellent pas – ils prennent juste ce qu’ils veulent, le mettent dans leurs poches et ciao.
Tu es originaire d’où ?
Je viens de Gambie, un petit pays entouré par l’Océan Atlantique. J’ai eu une enfance normale, pas si mauvaise. J’ai quitté la Gambie quand j’étais adolescent. Je suis Soninké mais je me considère surtout comme un citoyen du monde. Tout le monde fait partie de ma famille. Si on a la même mentalité et on peut avancer ensemble, alors ça roule. Je m’en fous de ta nationalité ou de quelle tribu tu es originaire.
Pourquoi tu as voulu partir ?
En Gambie, tout le monde à des envies de voyage. On a ça dans le sang. « Je veux aller en Europe, je veux aller en Amérique. » Tout le monde voit ses frères quitter le pays et réussir ailleurs, alors chacun rêve de partir sans savoir ce qui l’attend.
Pour certains d’entre nous, ça n’en valait pas la peine. Traverser le désert du Sahara puis la mer, ça demande beaucoup d’énergie. Quand tu arrives à destination, tu dois en faire encore plus pour montrer ce que tu vaux. Si tu avais décidé de rester au pays et de faire les mêmes efforts, tu aurais pu sûrement faire de grandes choses.
C’était difficile de venir jusqu’ici ?
La traversée du Sahara, c’est horrible, mec. C’est un long périple qui a duré quatre mois. On voyageait à l’arrière de pickups. Si tu tombes, personne ne va s’arrêter pour t’aider à remonter en voiture. Et autant te dire que l’étape suivante c’est la mort. Les conducteurs étaient des Arabes. J’ai traversé le Sénégal, le Mali, ensuite le Nigéria puis la Libye, l’Italie, la Suisse et l’Allemagne. C’était une sacrée expérience. Dans chaque pays que je traversais, je voyais des choses que je n’avais jamais vues avant.
Le passage de la Gambie à la Libye a été rapide, genre trois semaines. Après, je me suis fait arrêter. À l’époque, il n’y avait pas de police ni d’armée en Libye. C’étaient des rebelles qui travaillaient à leur propre compte. Ils nous ont kidnappés et j’ai été enfermé pendant trois mois en Libye, jusqu’à ce que ma famille paie la rançon de 5 500 dinars (1 300 euros). J’ai même perdu quelques amis là-bas, c’était terrible. Tu ne peux pas imaginer. Ce n’était pas encore la guerre civile mais le pays était tout de même en état de guerre. C’était très dangereux.
On rêve tous d’une vie meilleure quand on part pour venir ici. Mais on est souvent déçu. Parce que les européens pensent que si tu es africain et tu viens ici, tu dois faire tes preuves. Pourquoi on devrait faire nos preuves ?
Est-ce que ça t’arrive de repenser à ton périple ?
Parfois tu y penses, parce que tu as un ami qui n’y est pas arrivé. Certains sont morts en chemin. Des amis du pays, du quartier. Des gens avec qui tu partageais des repas depuis tout petit, comme si c’était ta famille.
Comment as-tu vécu l’attente d’une réponse pour ta demande d’asile ?
Je vivais tranquillement, pas dans la rue. Je recevais un peu d’argent du gouvernement et je vivais dans un Asylheim (un endroit réservé aux demandeurs d’asile) à Karlsruhe. C’était plutôt bien. Karlsruhe est une jolie ville, mais ce n’est pas aussi multiculturel que Berlin.
Que s’est-il passé alors ?
J’ai reçu une réponse négative. J’ai du trouver un avocat, et c’est vraiment pas simple. Au bout de deux semaines, ils m’ont demandé de présenter mon passeport et ils voulaient me renvoyer au pays, donc j’ai pris la tangente. C’est comme ça que je suis arrivé à Berlin. Il le fallait. Maintenant, je ne reçois plus rien du gouvernement. Tout ce que j’ai, je l’ai gagné en travaillant. Je bosse et je paye pour avoir un toit et de quoi manger.
Quelles sont tes compétences ?
Tout ceux qui arrivent ici ont un talent, mais personne ne leur donne la chance de le montrer. Mon talent ? Je suis mécanicien auto. Je suis assez doué avec les voitures. Mais ils te jugent sur ton origine. Personne ne veut vivre dans la rue. On mérite tous tous d’avoir un travail normal, une vie normale.
La première fois que je suis venu à Berlin, je ne voulais pas me retrouver à voler des trucs. Donc je suis allé dans la rue pour voir s’il y avait de l’argent à faire. La plupart des gens qui bossent dans la rue, s’ils avaient de l’aide, un endroit où vivre, les moyens d’aller à l’école et de se payer un logement, tu ne les verrais plus jamais dans la rue.
Quels sont les rapports que tu entretiens avec les autres gars dans la rue ?
Il n’y pas de rivalité entre nous (les Africains), mais les Arabes ne nous aiment pas. C’est eux qui cherchent les problèmes ici, à Kreuzberg. Ils essayent toujours de nous casser la gueule, mais on est plus méchants qu’eux. Ils sont juste jaloux, c’est ce que je me dis. Mais ils ont quand même un gros réseau.
Tu travailles seul ou tu fais partie d’un réseau toi aussi ?
Moi, je roule pour ma pomme. Les Arabes, ils ont un réseau. Mais pour nous, ça ne marche pas comme ça. On achète notre came et on la revend. Je fais mon bénéf et ciao.
Comment tu vois l’avenir ?
Vivre ici sans être dans ce système, au quotidien, c’est stressant. Chaque jour, tu te lèves pour aller bosser et essayer de survivre. Le petit mec qui débarque d’Afrique noire, il est vraiment dans la merde. Aucune chance de t’en sortir. Même comparé aux Syriens. Mais notre couleur ne changera jamais, on devra vivre toute notre vie avec. Allez, je dois m’activer. Il y a du boulot.
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