Moonshine, c’est un collectif et label composé de différents artistes, DJ’s et producteur·ices. Ça fait du son, des fringues et de la radio (Rinse France). 

Un peu seul·es dans leur domaine à Montréal, iels se sont un peu trouvé·es obligé·es de s’autoproduire. Leur truc, c’est tout ce qui tombe sous l’appellation « afro-électronique », un genre en pleine croissance qui fait non seulement vibrer Montréal, mais aussi Kinshasa, capitale du pays d’origine de la majorité de l’équipe. 

VICE a parlé afro-électro et scène kinoise avec Pierre Kwenders, chanteur et cofondateur de Moonshine, et Hervé, manager et cofondateur.

Écoutez leur nouvel album SMS for location vol. 4.

VICE : Vous avez beaucoup de différentes inspirations, est-ce qu’on se risque à coller un genre à votre collectif
Hervé :
Je dirais que c’est de l’afro-électronique, et tout ce qui tombe un peu dans l’expérimental, même si je ne suis pas trop pour les catégories vu que pour nous ça change tout le temps.

On entend beaucoup d’afro fusion, de rumba congolaise et de baile funk dans votre musique. On peut dire que l’afro-électronique est un hybride de différents genres musicaux ?
Pierre :
On pourrait dire ça, mais comme Hervé l’a dit, si on commence à catégoriser, on se perd un peu. Quand on regarde la base de tous ces genres-là, ils viennent tous d’Afrique. Je pense qu’à travers les différents sons qui sont représentés dans la mixtape, on essaye de réécrire cette histoire-là. Les sons ne se ressemblent pas forcément, mais ils ont une seule origine : l’Afrique.

« Cette connexion avec l’Afrique est vraiment importante pour nous. Qu’on parle de trap, de hip hop, de rumba ou de musique rave, ces mouvements viennent du même endroit et des mêmes “types” de personnes. »

Le baile funk est plutôt associé à l’Amérique du Sud… 
Pierre:
Oui, mais beaucoup de genres trouvent leurs réelles origines en Afrique, car les enfants de l’Afrique sont partis développer des sons ailleurs à cause de l’esclavage. 

Hervé: Cette connexion avec l’Afrique est vraiment importante pour nous. Qu’on parle de trap, de hip hop, de rumba ou de musique rave, ces mouvements viennent du même endroit et des mêmes « types » de personnes.

C’est ce qu’on essaye de représenter avec la Moonshine, vu que certain·es de nos DJ’s viennent de Trinidad, ou encore de Jamaïque. Et à travers ces soirées, on crée une connexion. On a le luxe d’habiter au Canada, où il y a des gens d’un peu partout dans le monde et ça crée un dialogue à travers la musique et les arts.  

Y’a une scène et un grand public pour ce que vous proposez comme musique ?
Hervé :
Ça dépend de ce que t’appelles « grand ». Mais à notre niveau, je pense que oui. On a beaucoup voyagé avec nos soirées, que ce soit en Afrique, au Canada, en Europe ou en Amérique du Sud (Chili, Brésil), donc oui, cette scène existe et se développe.

Tu dirais que l’afro-électronique est en pleine croissance  ?
Hervé :
Je dirais que oui. Quand tu vois des artistes comme DJ Lyta collaborer avec des artistes comme Beyoncé, ou une productrice comme Bambii faire un son avec BEAM!, qui a quand même un son avec Justin Bieber. Y’a un engouement pour ça, c’est sûr. C’est une scène très authentique et c’est pas du tout motivée par le succès personnel. Cette énergie, tu ne peux pas la truquer. 

Vous allez souvent au pays et on retrouve pas mal d’influences congolaises dans votre musique, dont des chants en Lingala. À quel point c’est important au sein du collectif ?
Pierre :
Moi je chante majoritairement en lingala. C’est un choix que j’ai fait, et je suis bien là dedans ; j’ai envie de partager ma culture de cette manière-là. Dans le travail du collectif Moonshine, on veut aussi mettre en avant nos origines ; on a aussi des membres du collectif avec d’origines haïtiennes et on retrouve dans cette mixtape des petites interludes chantés en créole haitien. Tout ça, c’est important pour nous. Le lingala est beaucoup plus représenté parce qu’il y a une grande majorité de Congolais·es dans le collectif, mais ça n’enlève rien à la place accordée à nos frères et sœurs d’Haïti et de Trinidad. 

« À Lubumbashi, il font beaucoup de musique électronique comme DJ P2N, DJ Renaldo. Ça commence aussi à Kinshasa ; je vois de plus en plus d’artistes qui étaient plutôt mainstream qui commencent à faire des trucs plus électroniques. »

Elle est comment la scène afro-électronique au Congo ?
Pierre :
L’énergie à Kinshasa ne ressemble à aucune énergie ailleurs. Tu trouves pas Hervé ?

Hervé : À Kinshasa, c’est vraiment quelque chose d’autre. Tu sens que l’afro-électronique, c’est fait pour exister ici. Mais pour moi en tout cas, c’était un gros check sur ma bucket list de pouvoir offrir quelque chose aux gens du Congo et faire exister la Moonshine là-bas. Il faut aussi savoir que durant ces 5 dernières années, on a joué énormément de musique de beaucoup d’artistes là-bas. Et c’est aussi une manière de pouvoir « redonner ».

Pierre : À Lubumbashi, il font beaucoup de musique électronique comme DJ P2N, DJ Renaldo, qui sont plus proches de ce qui se fait en Afrique du Sud, qui font beaucoup de musique électronique. Je pense que la scène est vraiment vibrante là-bas. Ça commence aussi à Kinshasa, je vois de plus en plus d’artistes qui étaient plutôt mainstream qui commencent à faire des trucs plus électro. 

Qu’est ce que cette rencontre avec DJ P2N représente pour vous ?
Pierre :
DJ P2N c’est notre chouchou. C’est le premier artiste basé au Congo qu’on a pu signer sous Moonshine. C’est Hervé qui l’a découvert pendant son voyage à Kinshasa. Il a entendu sa chanson Likolo qui fait aujourd’hui toujours danser les boîtes à Kin et de Montréal

Hervé : Quand on a décidé d’aller à Kin en Décembre c’était important qu’on puisse se connecter avec lui, surtout après avoir parlé avec lui sur Whatsapp pendant deux ans, ça devenait un peu weird. Du coup dès qu’on est allés au pays, on s’est rencontrés. Il nous a très bien accueillis, d’ailleurs. Pour moi, DJ P2N c’est aussi la rigueur de la musique électronique ici au Congo – il mélange de la musique folklorique Katangaise avec de l’électro et ça fait bien bouger les gens. C’est aussi une figure importante et un entrepreneur très intelligent : il a un festival annuel a Lubumbashi qui s’appelle Spring Breaker, avec un public de plus de 10 000 personnes. C’est un modèle pour moi.

Vous avez fait une Boiler Room au Congo. Comment ça s’est déroulé?
Hervé :
Ça s’est super bien passé. Boiler Room nous avait déjà contactés l’année passée. Ça nous a fait représenter Kinshasa de la manière la plus authentique. Pour nous, c’était comme rendre l’événement accessible à tou·tes les Kinois·es car la société ici est compliquée. Du coup on a invité les gens de la rue, les gens qui ont plus de moyens. On voulait que les gens puissent être sur la même scène vu que les choses peuvent être très segmentées ici à Kinshasa

C’était votre premier événement à Kin?
Hervé :
C’était notre première Boiler Room, mais notre deuxième événement à Kinshasa. On a déjà fait une soirée plus restreinte au réveillon du nouvel an 2021. On voulait d’abord tester le marché. C’est justement suite à cette réussite qu’on est revenus une troisième fois, cette fois-ci pour bien pouvoir présenter la mixtape et les artistes locaux dessus. 

Comment vous voyez l’impact social de votre projet, surtout au Congo ?
Pierre :
Pour nous c’est important de faire les choses au sens large. Il faut qu’il y ait un changement de société. Et tout ça commence dans l’imaginaire. Il faut que dans l’imaginaire on puisse faire tomber les barrières, et en même temps l’imaginaire africain congolais avait des cadres desquels on ne pouvait pas sortir. Donc en ré-imaginant ça, on raconte nos propres histoires

On bosse sur un documentaire qui s’appelle le Zaïre Space Programme. C’est vraiment a travers les yeux des artistes et artistes congolais qu’on fait ce projet. Pour nous, c’est important d’encourager de différentes créateur·ices de prendre une place dans la société car c’est comme ça qu’on pourra faire changer les choses et vivre dans un monde qui nous ressemble un peu plus.

Hervé : Et j’ajoute que c’est surtout important pour nous, Congolais qui avons eu le privilège de pouvoir vivre ailleurs et de revenir avec des infrastructures qui permettent à nos frères et sœurs d’ici de raconter leur histoire, notre histoire, comme il faut. Car souvent, ce sont des étranger·es qui racontent notre histoire selon leur vision plutôt que celle de nos artistes.

Pierre : On veut pas nécessairement dénoncer, mais plutôt encourager le jus créatif qui se passe ici. 

Quelles sont les collaborations déjà sorties ou qui vont sortir dont vous êtes vraiment fiers ?
Hervé:
Pierre, c’est toi le mec de la musique.

Pierre : Ohlala. Le single Onward avec Sango et Georgia Anne Muldrow qui fait partie de la dernière mixtape est incroyable. T’as déjà Sango qui, de base, est très solide et puis t’arrives avec Georgia Anne qui a une voix soulful incroyable sur une instru qui varie entre le gome et la techno. C’est juste magnifique. C’est une de mes chansons préférées de la compil’. Après, il y a tellement de bonnes tracks que des fois, j’ai du mal à choisir.

Hervé : Pour moi, toutes les collaborations ont leur sens. Tous les sons et les collaborations qui sortent sont la trempe sonore digne de nos soirées. Y’a des choses plus hard et expérimentales, et c’est ce qu’on joue à nos soirées aussi. Le tout c’est de pouvoir imaginer si les gens pourraient danser dessus. J’aime particulièrement la chanson de Pierre avec Le Motel, On va décider. C’est un son en français et en lingala, et le groove est différent. Je me vois bien jouer cette chanson dans la voiture.   

Qu’est ce qu’il y a dans le nouvel album SMS for location vol. 4 , qu’il n’y avait pas encore dans les projets précédents?
Hervé :
Déjà, on a beaucoup travaillé en Afrique sur ce projet. La colonne vertébrale de l’album a été faite là-bas. On a déjà fait des sessions au mois de décembre pour finir l’album. On y retourne même pour y faire la promo et pour le présenter au public.

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