Il s’en est passé des choses depuis 2008. À l’époque, Prinzly tente de mettre un coup de projecteur sur ses morceaux. L’avis des potes, l’enthousiasme des proches, c’est sympa, mais ce n’est pas ce qui remplit le frigo. Ambitieux, le Bruxellois publie alors La banane, un premier morceau passé relativement inaperçu en dehors du cercle des Skyblogs. Pour la conquête des charts, il faudra attendre encore un peu. Pourtant, le jeune homme, 18 ans, a tout pour réussir. Certain·es disent qu’il a l’oreille absolue, d’autres qu’il serait synesthète, comme Pharrell ou Kanye West. Pour sa mère, en tout cas, c’est déjà tout vu : son fils se doit de tenter sa chance, tant pis s’il rate quelques cours après avoir passé la nuit à composer. Jusqu’à aujourd’hui, elle a d’ailleurs conservé La banane comme sonnerie de portable. Ça doit ressembler à ça la fierté d’une maman…

Fort de ce soutien infaillible, Prinzly prend peu à peu confiance en ses capacités. Son père a beau l’inciter à faire des études d’avocat – après tout, il est vif d’esprit et aime parler, non ? –, le jeune homme nourrit des envies de son. Il commence à traîner avec les gars de Street Fabulous et s’apprête à poser les premières lignes d’un CV qui, chaque année, gagne un peu plus en consistance. En prestige également. Comme point de repères, citons le travail effectué sur QALF et QALF Infinity de Damso, L’amour de Disiz, mais aussi toutes ces productions placées par-ci par-là (et à intervalles réguliers) pour Hamza, Squidji, Laylow, Kobo ou La Fouine dans les années 2010. En 2022, Prinzly a également acté une triple consécration : celle d’un savoir-faire tubesque (Rencontre de Damso et Disiz, déjà iconique), d’une maîtrise du langage pop (Rien dire de Redcar) et d’un indéniable talent d’interprète sur ses deux premiers EP en solo.

Lorsque je le retrouve à La Table Rustique, un restaurant healthy situé avenue Louise, à Bruxelles, c’est d’ailleurs dans l’optique d’un premier album qui s’annonce, PASSAGER (((8))), dont la sortie est prévue le 17 mars 2023. D’après lui, ce dernier serait « un voyage sonore », un moyen d’encourager le public à « préparer ses bagages, à prendre un avion et à débarquer dans un endroit où tout peut arriver ». Très bien, mais qu’est-ce que ce concept dit de Prinzly ? Est-ce une façon pour lui d’assumer ses influences ou de donner vie à un album qui doit plus à la science-fiction qu’au paysage rap ? Il suffit de lui demander s’il avait en tête quelques films au moment de penser au fil rouge de son premier album pour qu’il fasse de moi le spectateur de son monologue : « Alien de Ridley Scott, E.T. de Spielberg et Interstellar de Nolan ont indéniablement marqué mon esprit. Parce qu’ils développent tous une réflexion sur le temps, parce qu’ils traitent l’espace d’une façon particulière, qui favorise l’imagination, et parce qu’ils se servent avant tout de la science-fiction pour parler d’autres sujets, plus intimes, plus familiaux, plus universels. »

Une fois lancé, il n’est pas aisé d’interrompre Prinzly. Par moment, j’ai même l’impression qu’il a oublié ma présence dans ce restaurant où il a visiblement ses habitudes. Entre deux gorgées de cidre, il reprend le fil de son récit : « Quand on y pense, tous ces réalisateurs ne sont pas trop dans la démonstration de style. Il y a de la science-fiction, bien sûr, mais Spielberg préfère les choses faites à la main, un peu comme s’il souhaitait rester dans le réel, comme s’il s’agissait de créer un contraste entre deux approches créatives. Mon album, c’est exactement ça : il a été pensé comme un voyage spatial, mais ce que j’y raconte est très intime, très terre à terre. »

À en croire Prinzly, Spielberg avait donc raison quand il disait qu’il y avait beaucoup d’argent à se faire à ne pas perdre ses rêves d’enfant. Sur ce premier album, ses fantasmes d’autrefois seraient ainsi la première source d’inspiration, un moyen de puiser dans des souvenirs difficiles (« Toutes ces fois où les huissiers venaient à la maison, où l’électricité était coupée ») comme de renouer avec des énergies, sinon plus sauvages, du moins plus aventureuses : « On a rêvé d’être comme les gamins d’E.T. ou des Goonies : prendre nos vélos, rejoindre nos potes et partir en expédition la nuit pour tenter de sauver notre quartier, un proche ou une cause qui nous semble juste. Mon album, c’est une quête sans fin, en même qu’une exploration nostalgique d’une époque plus insouciante. »

Je lui demande alors s’il se considère lui-même comme nostalgique, sa réponse fuse : « Je le suis clairement, mais pas dans le sens négatif. Je suis très content de ma vie actuelle, c’est juste que le charme de l’enfance est éternel ». Pour le prouver, Prinzly dit profiter des fêtes de fin d’année pour montrer à sa fille les films qui ont bercé son enfance : E.T., donc, mais aussi Jurassic Park – « Encore un film qui se sert de la science-fiction pour parler d’écologie, du rapport aux autres, etc. » –, Harry Potter ou n’importe quel « coming-of-age movies ». Il poursuit : « On se prépare un chocolat chaud, des marshmallows et on se regarde tous ces films où les ados se retrouvent dans des situations complètement délirantes, où on se demande sans cesse ce que peuvent bien faire les adultes pendant que les enfants sauvent le monde. »

Niveau séries c’est parfois la lutte à la maison pour savoir quoi regarder, mais il faut croire que certaines œuvres mettent tout le monde d’accord. À commencer par Stranger Things, dont la dernière saison a été regardée en famille : « Pour notre génération, ça n’a rien de nouveau, mais c’est toujours cool de revoir un univers qu’on connaît par cœur être revisité avec une technologie plus puissante, plus poussée. Un peu comme avait pu le faire Super 8 également. » Au sujet du blockbuster de Netflix, Prinzly dit avoir pété les plombs en entendant Running Up That Hill (A Deal with God) de Kate Bush, ce morceau qu’il gardait précieusement dans un coin de son ordi depuis une dizaine d’années : « Petit, je l’avais découvert grâce à ma mère. Puis, j’étais retombé dessus au hasard des suggestions de YouTube. Aujourd’hui, il y a une telle hype autour que c’est impossible de le garder comme un petit trésor. »

Il n’y a rien d’anodin à ce que Prinzly cite aussi souvent sa mère. À l’entendre, elle serait même capable de citer tout le casting au générique d’un film qu’elle a vu. À défaut de pouvoir en avoir le cœur net, on comprend surtout que c’est elle qui a transmis à Prinzly l’amour de l’art, et plus précisément encore du cinéma. « C’est avec elle que je suis allé pour la première fois au cinéma, grâce à elle que j’ai découvert Alien à seulement six ans. Enfin, cette fois, j’avais surtout piqué la cassette pour mater le film en cachette. Ça m’avait traumatisé… » Prinzly en garde tout de même quelques souvenirs heureux : la BO de Jerry Goldsmith, cette scène hyper visuelle où Sigourney Weaver est en petite culotte à côté d’une tenue de cosmonaute, ce sentiment de voir le futur à chaque scène. Pour tout dire, l’artiste belge est tellement marqué par Alien, le huitième passager qu’il a décidé de faire référence au premier volet de la saga dans le titre de son premier album.

Autre référence ? Voyageur, emprunté directement à un morceau du même nom des Daft Punk, autres grands explorateurs de la science-fiction : « Là, je  me suis vraiment pas cassé la tête : j’ai repris le titre et l’ai simplement francisé, plaisante-t-il. Cela dit, c’est un vrai hommage, sincère, dans le sensDiscovery, l’album dans lequel on retrouve le morceau Voyager, est l’un des rares disques que je réécoute deux à trois fois par an dans son entièreté. »

Sur le fond, Prinzly partage une autre passion avec les Daft Punk, de même qu’avec une grande majorité du rap francophone : la culture japonaise. « C’est juste que trouver de bons films de science-fiction ou de bons animes français, c’est pas si simple, dit-il, l’air rieur. Il y a bien le Cinquième élément, mais bon, c’est un casting américain… Quant aux mangas, j’ai longtemps pensé qu’il serait impossible de dépasser les classiques du genre : Ken, le survivant, Dragon Ball, Bleach ou même Naruto. Puis, j’ai découvert One Piece… Ç’a été une claque ! À la base, j’avais 200 épisodes de retard, mais j’ai fini par tout rattraper et, depuis, je suis au même niveau que les Japonais·es : tous les vendredis, je lis les dernières aventures, je débriefe dans la foulée avec mon beau-frère et je file sur les forums pour étudier les dernières théories. C’est une vraie obsession, et vaut mieux ne pas me déranger durant ce moment-là. »

Derrière ce trait d’humour, une vérité : Prinzly envisage avant tout l’art comme un jeu de pistes, une aventure à partager. C’est pour ça qu’il a longtemps fait partie du collectif Street Fabulous. Pour ça qu’il a enregistré les albums de Damso, Squidji et Kobo aux côtés des mêmes partenaires de studio : Ponko, Ikaz Boi, Saint DX, Paco Del Rosso. Pour ça aussi qu’on retrouve quelques amis à lui sur son album, tous invités à amener d’autres nuances, d’autres couleurs, d’autres textures au sein d’un univers cohérent, justement pensé comme un film, avec ses alternances de scènes introspectives et d’instants plus clinquants. « C’est la raison qui m’a incité à publier Flou et Voyageur dans la foulée de Zoum!, remet-il. Après un single assez dynamique, je voulais que l’on comprenne à quel point je raconte ici une histoire, parfois très intime et volontairement éloignée d’un rap purement festif. »

Prinzly cite alors Bullet Train, le long-métrage de David Leitch qui, en 127 minutes, s’autorise l’humour, l’absurde, l’action pure et dure, l’émotion et les scènes référencées à d’autres longs-métrages. « Pour moi, c’est bien la preuve que l’on peut tout tenter », croit savoir Prinzly, qui, après une dernière bouchée de sa tartine à l’avocat, livre une dernière réflexion : « J’estime être responsable de ce que je dis, pas de ce que les gens comprennent. Ma vraie fierté, finalement, c’est de pouvoir écouter la tête haute ce que je produis aux côtés de ma mère, ma femme et ma fille. » Une affaire de famille, encore et toujours.

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