Mairie de Roubaix (59) – « J’interromps la séance ! » Sous des huées venues du public, Guillaume Delbar, maire de Roubaix suspend le conseil municipal débuté trente minutes plus tôt. Ce jeudi 10 octobre 2024, des militants du collectif d’habitants « Non à la démolition de l’Alma » – un quartier concerné par le plan d’urbanisme de la ville – viennent de déployer deux banderoles qui lui sont directement destinées : « La répression n’est pas la solution. L’Alma réclame des négociations », et « Delbar a choisi : détruire plutôt que chauffer ». La police municipale intervient aussitôt. Le lendemain, les images de l’incident sont relayées par les comptes d’extrême droite sur les réseaux sociaux puis diffusées en boucle sur les plateaux de CNews durant 48 heures. Les commentateurs de l’Heure des pros dénoncent « un mini capitole », « une négation de la démocratie », ou encore un symptôme de « la décivilisation ». Sur X, Matthieu Vallet, député européen du Rassemblement national, s’indigne lui de la présence de « jeunes crapules venues imposer la loi du plus fort en bordélisant le conseil municipal ».

Dans un article de la Voix du Nord, des élus locaux présents au conseil municipal pointent même du doigt la responsabilité de la France insoumise, qu’ils accusent d’avoir orchestré ces perturbations. « On ne peut pas faire semblant qu’il s’agit d’un collectif non politisé, mais c’est bien pour eux une stratégie de préparation des municipales », a lui aussi déclaré le maire Guillaume Delbar, faisant allusion à la présence dans la salle de Shéhérazade Bentorki, suppléante du député insoumis David Guiraud. Il lui reproche d’avoir « contribué à bordéliser la situation ». StreetPress refait le récit de cette soirée et donne, pour la première fois, la parole au collectif d’habitants concerné.

Bloqués à l’entrée

Depuis trois ans, le collectif « Non à la démolition du quartier de l’Alma » multiplie les rassemblements et réunions publiques pour s’opposer au projet de rénovation urbaine qui prévoit la destruction de 486 logements et la réhabilitation de 390 autres. Malgré leurs demandes répétées, la mairie refuse toujours d’entamer des négociations avec les habitants. Les autorités, déterminées à « dé-densifier le quartier », ont choisi installé un mur de béton de 2,5 mètres pour faire face à toute tentative d’entrave aux chantiers. Les habitants dénoncent également l’utilisation de drones et le quadrillage du quartier par des patrouilles de CRS. En novembre dernier, les tensions ont pris de l’ampleur jusqu’à provoquer l’arrêt des travaux.

« On avait plusieurs sons de cloche sur l’arrivée d’un nouveau renfort policier sur le chantier », explique Florian Vertriest, porte-parole du collectif, qui s’inquiète surtout de l’arrivée de l’hiver. Selon l’habitant, les systèmes enterrés sont endommagés et doivent être refaits. Mais le chantier en cours empêche de lancer ces rénovations :

« Le maire a décidé de prioriser la démolition, quitte à ce qu’une centaine d’habitants soient privés de chauffage et d’eau chaude. »

Alors ce 10 octobre 2024, le collectif s’est invité au conseil municipal pour interpeller une énième fois le maire. Ils seraient une soixantaine de membres présents selon le porte-parole, une vingtaine d’après la mairie. Mais l’accès à la réunion leur est refusé. « D’abord, ils ont dit qu’il n’y avait plus de place. Un mensonge : il en restait plein. Ensuite, ils ont prétexté que les mineurs ne pouvaient pas entrer sans pièce d’identité ou sans être accompagnés d’adultes », témoigne Amir, éducateur sportif de 26 ans et membre du collectif.

Pendant près de 20 minutes, les représentants du collectif tentent de négocier et sollicitent les arrêtés préfectoraux et municipaux justifiant cette interdiction. Khader Moulfi, auteur du blog « Sauvons Roubaix », assiste également à la scène. S’il ne soutient pas l’action, il dit avoir été indigné par ce « barrage filtrant ». « Il y avait une forme d’humiliation. J’ai demandé aux agents municipaux de mettre fin à cette discrimination », explique-t-il :

« Certains jeunes étaient un peu turbulents, mais ils n’avaient aucune volonté de “créer le chaos”, comme j’ai pu lire dans la presse. »

Dans un long mail, la mairie explique à StreetPress :

« Monsieur Vertriest s’est présenté accompagné de jeunes, en majorité des mineurs encapuchonnés en noir qui présageait une volonté de perturber l’ordre public au conseil municipal. »

Elle renvoie la responsabilité du chauffage des bâtiments au bailleur, reprochant au porte-parole de se tromper de cible. La mairie ne semble d’ailleurs plus souhaiter dialoguer avec l’habitant : « La ville et la MEL qui pilotent le programme de rénovation urbaine sont en lien avec les représentants des habitants […] qui ne veulent plus de la présence de Monsieur Vertriest aux réunions, car il ne permet pas à ces associations de s’exprimer et de faire avancer le projet concernant les phases d’occupations transitoires et d’aménagements urbains qui sont évidemment ouvertes à la participation citoyenne. »

« Tir à la corde »

À 19h, les membres du collectif sont finalement autorisés à entrer dans la salle du conseil municipal. Des renforts policiers sont déjà sur place. « Je n’avais jamais vu un tel déploiement en conseil municipal », assure Khader Moulfi, qui estime :

« Deux ou trois agents se comportaient comme s’ils voulaient en découdre. Ils venaient vers les jeunes en les invectivant. Il y avait comme une sorte de préméditation de l’intervention. »

Il a décompté une dizaine d’agents municipaux mobilisés ce soir-là. Le conseil commence dans un climat déjà tendu.

La sortie des banderoles provoque une intervention immédiate selon les différents témoins interrogés. « Ils se sont positionnés comme pour un tir à la corde », juge Amir, assis dans le fond de la salle. Florian Vertriest dénonce même « des étranglements, des balayettes, des bousculades ». Selon plusieurs témoins, l’intervention des agents municipaux aurait provoqué la chute de plusieurs militants du collectif sur des membres du public. « Moi-même, j’ai eu le réflexe de me protéger pour ne pas tomber. Je ne dis pas que c’est bien de perturber le conseil municipal, mais la police a envenimé les choses », estime Khader Moulfi. Shéhérazade Bentorki confirme également avoir observé « une forme de brutalité » de la police municipale. Dans son mail, la mairie n’a pas répondu à nos questions sur ce point.

Ce n’est pas la première fois que le collectif mène ce type d’action. Les habitants de l’Alma étaient déjà intervenus à deux reprises dans le conseil municipal pour interpeller les élus en octobre 2022 et décembre 2023. Ils avaient alors sorti leurs banderoles avant d’être rapidement raccompagnés sans heurt à la sortie.

Le faux témoin de CNews

« J’étais présent et ces images resteront gravées dans ma mémoire », s’émeut Amine Elbahi sur le plateau de CNews. Membre du comité stratégique du média d’extrême droite Frontières (ex-Livre Noir), le juriste est présenté comme un témoin clé de l’affaire. Il accuse ouvertement la France insoumise d’être à l’origine des perturbations du conseil municipal et de vouloir « s’accaparer le pouvoir par la force à Roubaix ».

Pourtant, les quatre personnes présentes au moment de l’interruption du conseil municipal interrogées par StreetPress sont formelles : Amine Elbahi n’aurait pas été présent au moment des faits. « Il est arrivé vers 21h30. Tout était déjà calme et il n’y avait quasiment plus personne dans le public », assure Khader Moulfi. « On a parlé pendant plus d’une heure, il m’a demandé des infos. Il a utilisé mes propos qu’il a ensuite dévoyés pour passer à la télé. » Contacté, le chroniqueur de CNews maintient et signe : il a été témoin de l’entrée du collectif dans l’hôtel de ville et de l’interruption de séance « depuis le hall du conseil municipal ». (1)

StreetPress a également contacté Shéhérazade Bentorki. Elle confirme sa présence, mais réfute avoir participé à l’organisation de cette mobilisation. La suppléante n’a pas répondu sur son éventuelle intervention pour aider les militants à entrer. Le collectif d’habitants de l’Alma clame que non. Quant à l’insoumis David Guiraud, il explique ne pas être surpris par les accusations de la mairie à son encontre. Il dénonce la « violence politique » du maire de Roubaix et le traitement raciste de l’affaire par CNews. « La première violence, c’est d’empêcher les gens de se mobiliser pacifiquement. La seconde, c’est de réécrire l’histoire de manière à ce que personne ne soit mise au courant des revendications politiques légitimes de ces habitants. » La candidature imminente du député aux élections municipales de Roubaix en 2026 est un secret de polichinelle. « Le maire n’a pas d’autre réponse que la réponse sécuritaire. C’est plus facile de dire que c’est la faute de David Guiraud, l’opposant politique, que de se confronter aux revendications des habitants de sa ville. »

(1) [Edit du 16/10] Amine Elbahi a répondu a nos questions ce jour. Nous ajoutons sa réponse.

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