POLITIQUE – Sera-t-il de ceux exhibés avec fierté, ou finira-t-il enterré au fond d’un tiroir? Emmanuel Macron s’apprête à recevoir le bulletin de notes signé par la Convention pour le Climat concernant l’action du gouvernement contre le réchauffement climatique. Le président de la République récoltera-t-il les félicitations ou un avertissement? C’est tout l’enjeu de la dernière rencontre des “150.”
Réunis en visio -épidémie de coronavirus oblige- les “citoyens” se retrouvent pour une ultime session de travail ce vendredi 26 février, avant de se quitter définitivement dimanche. Trois jours de discussions pour éplucher le plan de relance du gouvernement, analyser les divers budgets ou passer au grill la loi “climat et résilience” censée reprendre une bonne partie de leurs propositions contre le changement climatique. Pour au final, voter.
Et ce sur toute une flopée de questions posées autour des différents thèmes et objectifs de leurs travaux. Mais une poignée d’entre elles, portant sur la correspondance des réponses du gouvernement à leurs propositions ou la sincérité des ambitions affichées dans la réduction des gaz à effet de serre, donnera le ton général de l’avis des citoyens. Blanche ou noire, la fumée qui en ressortira sera cruciale pour Emmanuel Macron dans tous les cas.
Un “jugement éclairé et raisonné”
C’est le chef de l’État qui avait installé cette assemblée spéciale, tirée au sort en septembre 2019, suite à la fronde des gilets jaunes. Et c’est aujourd’hui cette Convention -dont les conclusions avaient été saluées par tous les défenseurs du Climat- qui peut enfoncer le dernier clou dans le cercueil de ses ambitions écologiques à un an de l’élection présidentielle. Ou au contraire, apposer un label vert sur l’action de son gouvernement, comme sur la fin de son mandat.
Concrètement, le week-end va se dérouler en trois temps, avant la publication d’un rapport final dimanche dans la soirée ou lundi. Les “150” vont d’abord écouter la restitution des groupes d’appui et du comité logistique chargés de dresser un premier bilan de la correspondance des annonces du gouvernement avec leurs propositions. “La finalité est de mettre les citoyens en situation de formuler un jugement éclairé et raisonné, avec une base et un matériel le plus objectif possible”, explique-t-on du côté de la gouvernance de la CCC.
Ils vont ensuite débattre de ces conclusions, par petits groupes puis tous ensemble, avant de se prononcer chacun individuellement par voie électronique.
“Les votes prendront la forme d’une notation de 0 à 10, de très insatisfait à très satisfait pour une graduation suffisamment fine”, détaillent les organisateurs, citant plusieurs exemples de questions posées aux citoyens. Parmi lesquelles: “dans quelle mesure les réponses du gouvernement permettent de s’approcher de l’objectif qui vous a été fixé?” L’objectif en question étant la réduction des émissions de gaz à effet de serre d’au moins 40% d’ici 2030, par rapport à 1990, dans un esprit de justice sociale.
La majorité marche seule
À cette question, de nombreuses ONG spécialistes du réchauffement climatique ou autres responsables politiques écolos ont déjà répondu par la négative. De fait, si le jugement des citoyens qui sont à l’origine de ces débats revêt une telle importance, c’est aussi parce que le gouvernement -et sa majorité- sont pour l’instant bien seuls à défendre son action, et la traduction concrète des propositions de la Convention dans la loi.
Au-delà de ces habituels opposants, l’exécutif peine désormais à convaincre la justice comme les instances indépendantes. L’État a été condamné au début du mois de février pour manquements dans la mise en oeuvre des engagements de réduction des gaz à effet de serre et sommé de justifier ses actions. Plus récemment, mardi 23 février, le Haut Conseil pour le climat a pointé la “faible portée” de la loi “climat et résilience” défendue par la ministre de la Transition écologique… après avoir déjà critiqué le plan de relance ou celui sur la rénovation énergétique des bâtiments.
Un pessimisme qui ne s’arrête pas aux climatologues du HCC, instance mise en place, elle aussi, par Emmanuel Macron. Ces différents avis s’inscrivent dans la lignée de ceux du Comité national pour la transition écologique (CNTE) ou du Conseil économique, social et environnemental (CESE). Au moins pour le projet porté par Barbara Pompili .
Le premier regrettait, dans un rapport adopté le 16 janvier, “la baisse insuffisante des émissions de gaz à effet de serre induite par cette loi (climat et résilience NDLR)”… quand le second pointait, le lendemain, des mesures “souvent limitées, souvent différées, souvent soumises à des conditions telles (qu’on) doute de les voir mises en oeuvre à terme rapproché.”
Des réserves qui correspondent peu ou proue à ce que disent les ONG spécialistes du climat, en des termes moins policés et administratifs, depuis des mois. Car s’ajoute, avec elles, une dimension de trahison après ce qu’elles dénoncent comme un reniement présidentiel sur la promesse du “sans filtre.”
Les “Amish” à la rescousse du gouvernement?
Dans ces conditions, les 150 citoyens vont-ils venir à la rescousse du gouvernement? Un rapport positif faciliterait la tâche des ministres dans la promotion d’une loi qu’ils vantent comme l’“ambition” inédite de faire entrer “l’écologie dans le quotidien des Français.” Mais rien n’est moins sûr, après la lune de miel écourtée entre le président de la République et la Convention.
Les trois “jokers” (réduction de la vitesse sur autoroute, taxe sur les dividendes…), présentés par Emmanuel Macron fin juin comme les seules exceptions aux 149 propositions devant être transmises “sans filtre” au Parlement, se sont rapidement multipliés au fil de la mobilisation des différents lobbies. Aviation, automobile, publicité, Medef… Beaucoup ont poussé pour atténuer les mesures prônées par la Convention, quand Bercy semblait gagner de nombreux arbitrages, sur la notion “d’écocide” par exemple.
Les 150 citoyens réclamaient la création d’un crime passible de 20 ans de prison pour les dommages écologiques graves. À la place, le projet de loi Climat prévoit la création d’un délit d’écocide pour des faits de pollution de l’air ou de l’eau commis de manière intentionnelle (jusqu’à 10 ans d’emprisonnement).
Des coups de rabots donnés ça et là qui ont rapidement provoqué la colère du réalisateur Cyril Dion, qui avait pourtant suggéré l’idée de Convention au président de la République avant d’en être désigné “garant”, ainsi que l’inquiétude des 150 citoyens. Au point qu’ils se sont fendus d’une lettre ouverte en octobre 2020, regrettant de “manquer d’un soutien clair et défini de la part de l’exécutif”.
Autant de critiques balayées par Emmanuel Macron au fil des mois, le président de la République raillant au passage, en septembre dernier, comme des “Amish” qui veulent “revenir à la lampe à huile”, les partisans d’un moratoire sur le déploiement de la 5G. Une demande pourtant formulée par les 150 citoyens. Pour lui, “aucun gouvernement n’a fait autant pour l’écologie” que le sien. Suffisant toutefois pour make la planet great again? Les “Amish” feront parvenir leur réponse en fin de week-end.