La photo est de l’auteure.
Libéré en début d’année, il retourne en studio et sort des nouveaux sons quasi tous les mois – il avait aussi enregistré un album alors qu’il était en détention et son cinquième album vient de sortir. Je l’ai capté pour savoir comment les choses se passent depuis sa sortie.
Freddie a choisi Umi, un resto de sushis sur la Groenplaats d’Anvers. Il est 15 heures. Je commande un verre de rouge et lui un moscato, le soleil brille et son sweat à capuche rose vif m’éclate les yeux. C’est l’été, l’ambiance est bonne.
Je lui demande comment ça va depuis sa libération. « Plutôt bien, je vais pas te mentir, dit-il. Artistiquement c’est un peu le retour à la case départ, mais je profite de la vie. » Il ajoute qu’il trouve un peu dommage de devoir (ré)adopter une certaine « éthique de travail » pour se remettre sur les bons rails. Parfois, il aimerait juste profiter de sa liberté retrouvée, mais l’argent reste évidemment une nécessité, donc il a dû vite se remettre au boulot. « Au moins, la vie est meilleure aujourd’hui qu’en prison. »
Quand Freddie était en taule, certaines histoires circulaient à Anvers (et peut-être ailleurs aussi, mais j’en doute) sur des matons véreux et des accusations à son égard. Il décrit le premier jour en prison comme « un premier jour d’école, mais avec des tueurs ». « Ça change rien au fait que les pires mecs en prison sont ceux qui y travaillent, poursuit-il. C’est les mêmes qui étaient des victimes à l’école et qui n’ont jamais pu se défaire de leur soif de pouvoir. Ils ont vu un Noir connu, qui travaillait pas mais qui avait plus d’argent qu’eux, et ils l’ont pas supporté. L’argent que j’avais pour la cantine, c’était le salaire de certains surveillants. » Selon Freddie, les gardiens se défoulaient sur les détenus en les défiant et en les intimidant ; par exemple, en ne laissant pas certaines personnes téléphoner à leurs proches ou en arrivant en retard pour les visites. Il a aussi été traité de « singe », de « nègre » ou encore de « bon à rien » à plusieurs reprises. « Ils profitent du fait qu’ils savent qu’ils sortent toujours gagnants », explique Freddie.
Quand on se penche un peu sur ses meilleurs moments là-bas, il me dit qu’il en a tiré pas mal d’enseignements. Il s’est notamment rendu compte qu’il devait consacrer plus de temps à développer son esprit et travailler sa patience. Ses déceptions au niveau de sa vie perso lui ont aussi donné une vision des choses différente : « Si ça marche pas, c’est le destin. Maintenant, j’arrive à gérer ce genre de trucs de façon beaucoup plus sereine. » Et ça se voit, de notre rendez-vous, se dégage une grosse décontraction. Tellement détendu qu’on digresse et on oublie un peu que cette conversation est un entretien.
Et s’il n’est pas nécessairement pessimiste, il porte un regard plus réaliste sur certains aspects de sa vie et la manière dont ça l’affecte : « C’est une des raisons pour lesquelles j’ai perdu autant de poids en prison, je voulais montrer qu’on peut et qu’on doit toujours être mentalement plus fort. » Il explique que (les inégalités dans) notre société et les systèmes qui maintiennent le statu quo ont toujours plus de pouvoir que nous, et qu’on doit donc « apprendre à lâcher prise et se concentrer sur les choses qui nous font avancer ». J’en déduis qu’il conseille à qui veut l’entendre de ne pas se perdre dans les « mind games de la société » mais plutôt de jouer le jeu, avec comme objectif de gagner sans pour autant perdre de vue la beauté du parcours. En gros, il dit que le monde est foutu, mais qu’il faut en tirer le meilleur parti.
Inspirée par le ciel bleu et l’énergie positive de Freddie, je lui demande – comme on me l’a souvent demandé à l’école – quels sont ses rêves. La plupart des gens répondent par des objectifs quasi inaccessibles ou « le million », mais sa réponse sort de l’ordinaire et me surprend un peu. Il me confie qu’il a déjà accompli beaucoup de choses dans sa carrière. Et avec du recul, il dit avoir réalisé que le chemin vers un rêve est généralement bien plus beau que le rêve en soi : « Une fois que t’as accompli quelque chose, t’en veux direct encore plus, ce qui n’enlève rien au fait que je suis vraiment reconnaissant quand je vois les deux disques d’or accrochés dans ma chambre – je me souviens qu’il y a quelques années, c’était un truc dont je pouvais même pas rêver. Mais une fois que t’as obtenu ce disque d’or, t’as déjà oublié à quel point tu le voulais. »
Le serveur apporte nos verres en nous disant que « c’est offert par la maison ». Freddie me voit interloquée et sourit : « Je viens souvent ici. » On me sert mes sushis et Freddie son bowl – oui, il a choisi un restaurant de sushis pour ne pas commander de sushis. On parle un peu d’Anvers et je me souviens de la photo qu’il avait postée sur Instagram il y a quelques mois. Vêtu de son hoodie « Free Freddie », il posait aux côtés de Bart De Wever. « C’était spontané et je trouvais ça drôle, m’explique-t-il. C’est un type très intelligent ; avant même que tu poses ta question, il sait déjà ce que tu vas demander et il a une réponse toute prête. » Perso, je me dis quand même que ce serait plus malin de sa part s’il pouvait la fermer (Bart, pas Freddie). Et quand je lui demande pour qui il compte voter l’année prochaine, il me répond qu’il ne sait pas encore : « Je demanderai à ma mère. »
Je l’interroge sur ses relations personnelles et, sur ses fiançailles, puisque dès sa libération, il a demandé sa petite amie en mariage : « Y’a peu de gens qui feraient ce qu’elle a fait pendant les périodes où j’étais absent, et je lui en serai éternellement reconnaissant, précise-t-il. Pour moi, une relation doit te permettre de t’élever avec quelqu’un qui connaît tes hauts et tes bas, mais surtout qui peut les gérer. » C’est sûrement plus facile de trouver un·e partenaire quand on a du succès, mais en réalité accorder sa confiance à quelqu’un devient un défi encore plus grand. Je suis moi-même très méfiante, alors quand Freddie parle de ses difficultés à faire confiance, on se comprend. Lui-même n’a pas eu beaucoup de relations ; elles ont toujours duré trois ou quatre ans. Il décrit sa partenaire comme étant celle qui l’aide à « trouver la paix », et j’en suis presque jalouse. Je pense que beaucoup d’entre nous sont d’accord pour dire que la plupart de nos relations ressemblent plus à quelque chose de chaotique qu’à des périodes fastes, faites de paix et de tranquillité.
Contrairement à mes idées préconçues, Freddie s’avère effectivement être un moineau domestique tranquille plutôt qu’un fuckboy, ce que je lui fais remarquer. « C’est vrai, confirme-t-il en souriant, je suis plutôt du genre maison, petit jardin, posé. » Son futur, il le voit entouré de quatre enfants et, secrètement, il en voudrait même un tout de suite. « Tu verras qui porte la culotte à la maison », plaisante-t-il, alors que je lui demande prudemment pourquoi ce n’est pas encore arrivé. Il me raconte qu’il a suivi une formation d’infirmier et qu’il est donc doué avec les enfants. Il a même fait un stage en tant que prof dans une école maternelle. « La mère d’un des enfants est même venue me voir en prison, confie le rappeur. Aujourd’hui encore, je peux l’appeler pour boire un café et discuter tranquille. »
On s’éloigne à nouveau du sujet et on se retrouve à se partager certains trucs stupides qui nous sont arrivés dans la vie. En rigolant, il me conseille de regarder Love Island. En prison, il en regardait des saisons entières – généralement composées d’une quarantaine d’épisodes. Selon lui, peu d’émissions permettent d’en apprendre autant sur les relations amoureuses que celle-ci. Alors qu’il n’était pas vraiment un tendre niveau sentiments avant, il y a eu pas mal de changement de ce côté-là. C’est ce qui arrive quand on est en prison et qu’on passe des heures à écouter ce que les femmes du petit écran ont à dire ; apparemment, les lunettes misogynes que la société vous met sur le nez peuvent finir par tomber petit à petit.
On termine notre conversation sur une note légère, en discutant de super pouvoirs, de culture flamande, de musique et de jeux vidéo. En voici un bref résumé : Freddie aimerait pouvoir être invisible ; il ne regarde pas beaucoup la télé depuis sa sortie de prison, mais recommande chaudement les séries Eigen Kweek, Code 37, Nonkels et The Callboys ; enfant, son émission préférée était Tout le monde déteste Chris et son film préféré Blood Diamond ; s’il pouvait choisir un artiste, mort ou vivant, avec qui chanter, ce serait Michael Jackson, Kodak Black ou Justin Bieber. À part ça, il se contente de jouer à FIFA, en bon footeux qu’il est.