Tina SATTER – USA 2023 1h22mn VOSTF – avec Sydney Sweeney, Josh Hamilton, Marchant Davis, Benny Elledge… Scénario de Tina Satter et James Paul Dallas.
Du 13/09/23 au 03/10/23
Comment filmer un lanceur ou une lanceuse d’alerte ? Edward Snowden, le plus célèbre d’entre eux, a eu droit à deux longs métrages : Citizenfour (2015), un portrait documentaire dans lequel il apparaissait lui-même et bien sûr Snowden d’Olivier Stone (2016), biopic formellement plus classique et d’une implacable efficacité, dans la grande tradition hollywoodienne. Avec Reality, Tina Satter emprunte une troisième voie singulière qui prend le meilleur des deux genres. La force et les propos des enjeux politiques du film sont portés par un scénario d’une précision d’horloger. Quant à l’impact émotionnel du film, il s’incarne dans une mise en scène oppressante, savamment orchestrée pour rendre palpable la sensation d’un piège qui se referme. « Brillant » est l’adjectif qui nous vient immédiatement à l’esprit, « terrifiant » le suit de près.
- Augusta, État de Georgie. Le soleil tape fort. Reality Winner, une jeune femme de 25 ans, rentre chez elle. Deux agents du FBI l’attendent, sourire aux lèvres. Ils sont polis, précautionneux, presque sympathiques. Pourtant, les agents Justin C. Garrick et R. Wallace Taylor sont bien là pour la cuisiner. Vétérane de l’US Air Force et employée par la NSA (National Security Agency), Reality est soupçonnée d’avoir violé le fameux « Espionage Act » en faisant fuiter un document classifié, révélant une tentative de piratage russe du système de vote électronique lors de l’élection qui vient de porter Donald Trump à la présidence des États-Unis, un an plus tôt.
Dans un huis-clos oppressant, Reality se base sur l’utilisation mot pour mot, dans sa quasi-intégralité, de la retranscription des échanges entre les enquêteurs et la jeune femme. Partant d’un badinage rassurant sur les animaux domestiques de Reality et les courses qu’elle doit mettre au frigo, les deux agents se rapprochent en cercles concentriques, digressant sur des broutilles pour mieux avancer d’un pas menaçant vers le cœur du sujet. Il y a quelque chose de pervers dans cette manière de mener l’interrogatoire, avec une pression psychologique d’autant plus intense qu’elle avance sournoisement, façon supplice du goutte-à-goutte. Et sous leurs airs de benêts ignares aux sourires forcés, paraissant ridicules face au pedigree de la jeune femme, brillante linguiste, cryptologue, professeur de yoga, les hommes du FBI font preuve d’une habileté machiavélique pour la mettre face à la réalité. Car il si elle tente tout d’abord de masquer sa peur pour ne pas être confondue, au fur et à mesure que la lumière du jour décline, Reality se rapproche irrémédiablement du moment où elle ne pourra plus tenir…
Mais de quelle réalité s’agit-il ? Celle de Fox News, chaîne d’information qui se déverse en continu dans les bureaux de la NSA où travaille Reality ? Celle d’une jeune femme qui dit avoir agi pour le « bien de son pays » ? Ou celle d’un gouvernement misogyne qui ne jure qu’à grands coups de « fake news » ?
Avec le soutien d’une bande-son atmosphérique et de quelques effets « lynchiens » (qu’on ne vous dévoilera pas), la réalisatrice a pensé son film comme un espace mental aussi oppressant qu’un thriller, celui dans lequel va tomber, presque malgré elle, cette citoyenne américaine patriote au parcours exemplaire que rien ne prédisposait à une telle destinée. Condamnée à une très lourde peine de 5 ans et 3 mois de prison, Reality Winner a été libérée en juin 2021.