Audrey Ginestet – documentaire France 2022 1h32mn –
Du 05/04/23 au 02/05/23
Vous vous souvenez probablement de l’emballement médiatique autour de l’« affaire Tarnac » en novembre 2008, présentée comme le coup de filet d’un groupuscule de l’ultra-gauche, mouvance « anarcho-autonome », ainsi qualifiée par Michèle Alliot-Marie, Ministre de l’Intérieur à l’époque. Dix individus sont arrêtés par la police antiterroriste en plein cœur de ce village de Corrèze, soupçonnés d’avoir saboté une ligne TGV dédiée au transport de déchets radioactifs. Julien Coupat, désigné leader de ce « commando invisible », est mis en examen puis placé en détention provisoire avec quatre autres suspects, tandis que quatre autres personnes sont remises en liberté sous contrôle judiciaire. En quelques jours, on assiste à la mise en place des jalons d’un récit politico-policier relayé par les médias officiels. Récit qui connaitra par la suite nombreuses polémiques et rebondissements, dont la libération de Julien Coupat en mai 2009. Libé qualifia alors cette affaire de « fiasco judiciaire ». Mais l’histoire était loin d’être terminée !
Dix ans plus tard, Audrey Ginestet, étroitement liée à Manon, l’une des inculpées, prend sa caméra et rejoint le groupe de femmes qui l’aide à préparer sa défense. La réalisatrice porte ici un regard distancié et sensible, déconstruisant avec subtilité l’histoire officielle sur cette affaire qui la toucha de plein fouet en novembre 2008 : c’est à la fin d’un concert à Bruxelles avec son groupe musical qu’elle apprend l’arrestation de Manon, elle-même musicienne et sœur de son compagnon…
Nous voici donc en 2018 à Tarnac à quelques mois du procès qui doit clôturer la longue période d’instruction à charge. Manon, lumineux personnage central du film, nous accroche dès le début par son visage vif, sa voix douce et espiègle, incarnant une image bien éloignée d’une figure stéréotypée de révolutionnaire. Elle vit dans un univers rural peuplé d’enfants respirant l’innocence. C’est par sa voix de conteuse auprès de ce jeune auditoire intime que nous revisitons la fameuse « affaire ». La réalisatrice prendra le relais en voix off, déroulant les faits à partir d’archives journalistiques. Mais le film démarre vraiment lorsque nous découvrons son dispositif original : un simulacre de tribunal dont la vocation est d’aider Manon, ainsi que deux autres inculpés (Benjamin et Iluyne), à anticiper leur défense, grâce au soutien d’ami·e·s compétent·e·s en la matière. Mêlées à des fragments de la vie quotidienne de Manon, les séquences de ce simulacre incarnent les personnages dans toute leur sensibilité. Leurs convictions politiques prennent chair. Nous percevons les émotions (trauma de l’arrestation, poids de l’inculpation…) qu’ils portent depuis ces années. Nous écoutons leurs paroles élaborées, fruits de réflexions poussées. Nous comprenons rapidement que la tension narrative ne reposera pas sur l’attente du verdict final puisque celui-ci est annoncé dès le titre : Relaxe. Ce procès imaginaire va nous captiver sur d’autres registres : il nous éclaire sur l’importance du langage et de la précision des mots dans toute stratégie de défense. C’est à nos protagonistes qu’incombe la tâche de renverser les termes qui les ont accusés : « groupe à vocation terroriste, association de malfaiteurs, sabotage… » et de reformuler la situation qui leur est reprochée. Comment se sortir de la mauvaise série B accusatrice dans laquelle ils se sont retrouvés embarqués malgré eux et qui a brisé leurs identités ?
Le film n’est pas omniscient sur l’affaire, ni sur l’ensemble des personnages. Il y a des angles morts. Relaxe ne cherche pas à innocenter les protagonistes, mais il montre sur quelles vies, quels mondes, l’accusation a été portée. Et c’est là que repose l’enjeu, car ils ont été inculpés davantage pour leurs idées que pour leurs faits. Des idées que Manon continue de porter et de concrétiser dans son quotidien, à l’image de l’aide qu’elle apporte aux réfugiés demandeurs d’asile. Le simulacre d’entretien avec l’un d’entre eux pour le préparer à son témoignage face à l’OFPRA est un beau clin d’œil.
Le montage subtil jouant sur les divers registres d’image nous fait apparaitre en creux que les paroles formulées face à ce tribunal fictif résultent d’une bataille juridique et collective de longue haleine. On devine les arcanes et les rouages administratifs compliqués de la machine judiciaire. Un fait transparait : il est difficile de construire un collectif de défense dans un système où la justice est nominative !
Le vrai procès final, abordé hors-champ, fait renaitre le ballet médiatique de l’époque de l’arrestation. Ce dernier retombera très vite une fois le verdict de « relaxe » annoncé…
Dix ans d’enquête pour rien mais dont on ne sort pas indemne. Comment s’alléger de ce fardeau judiciaire ? Manon et ses complices de défense se déchargent à travers quelques rituels purificateurs, dont le jubilatoire « bucher des vanités » final.
De cette aventure, davantage que la réduction en cendres des souvenirs douloureux, ne doit-on pas surtout valoriser les traces positives, dont celle d’une victoire juridique face à une accusation de terrorisme ? Le film s’emploie efficacement à raconter comment, après la désintégration d’un collectif, de nouveaux groupes se recomposent, liés par leurs expériences partagées d’arrestation, de prison, de garde à vue, de soutien de défense. Des liens indestructibles cette fois ! C’est cette belle énergie au service de l’entraide que l’on retiendra finalement, soulignée tout au long du récit par la musique originale (composée et interprétée par Benjamin Glibert…) qui relie les personnages de film depuis le début.