Léa Fehner – France 2023 1h38mn – avec Héloïse Janjaud, Khadija Kouyaté, Myriem Akheddiou… Scénario de Léa Fehner et Catherine Paillé.
Du 20/09/23 au 03/10/23
C’est un beau film, fort et prenant, d’une efficacité redoutable, aux crocs acérés pour défendre la vie qui pousse, celle qui bouscule par ses cris, ses premiers instants fragiles, ses lèvres goulues qui instinctivement cherchent le lait de la tendresse humaine. Un film de meute, un film de troupe, où chaque femme pourrait bien devenir louve pour protéger l’essentiel, ce que nul robot humanoïde, nulle Intelligence Artificielle ne saurait comprendre : la beauté d’une naissance, l’émotion d’une première respiration à l’air libre, l’angoisse de la survie… C’est à frémir de bonheur et d’espérances.
« L’apéro, les copains, la vie », c’est toute une philosophie que semble résumer l’inscription sur le sac de Louise. Elle a l’âge de tout ça. Elle est jeune, elle est rousse, le sourire attentif en bandoulière. Et avec sa grande copine Sofia, presque son opposée, aussi pince sans rire et mesurée que Louise semble rigolarde et débordante de sentiments, elles ont un cursus en commun, sans doute l’un de ceux qui frisent le sacerdoce. Les voilà qui débarquent, diplômes et maints stages de formation en poche, dans une maternité survoltée, un système de soins au bord de la crise de nerf… Ça ne vous rappelle rien ? Toute fiction se nourrit de la réalité du monde qui l’entoure, y puise la force pour le transcender ou constater ses dérives. Tout aussi impliquée que ses protagonistes, la réalisatrice ne se prive pas de le faire, délicatement, par petites touches subtiles. Ce milieu plein de grouillements, d’urgences, c’est aussi celui de toutes les intimités dévoilées. Être sage-femme, c’est pénétrer dans les secrets dessous de la société, de ses strates sociales, rentrer dans ceux des couples, des familles, devenir témoin des moments uniques, particulièrement précieux, d’une existence. Être sage-femme, c’est avoir le geste sûr, savoir réfléchir et agir vite, prendre les bonnes décisions, mais aussi le temps qu’il faut pour les expliquer, les accompagner. Et l’on va vite voir qu’à cet endroit le bât blesse. Nos deux jeunes novices sont jetées dans l’arène sans que nul ne puisse dégager le temps nécessaire pour les accompagner. Restriction de personnel oblige, chacun voit ses horaires surchargés, doit faire toujours plus, respecter les cadences au détriment de la qualité, de l’accompagnement des patientes, du temps qu’il leur faut pour digérer l’épreuve de l’accouchement. C’est une mécanique monstrueuse qui s’emballe, qui pousse à l’erreur même les plus aguerris. Alors quoi faire, s’accrocher, baisser les bras, plaquer un métier qu’on a tant désiré, qu’on aime indéniablement ?
C’est un film magistral qui pose la question de l’engagement, de la noblesse du Service (au) Public et de son démantèlement coupable.
Sages-femmes est d’autant plus fort et précis que ce sont de vrais accouchements qui sont montrés et que les parturientes ont accepté de jouer un rôle pour les besoins du scénario, au même titre que les actrices et acteurs professionnels.