Les actes de ce groupe de tortionnaires, qui ont largement dépassé les limites de la dignité humaine, ont conduit à la mort de Sanda le 7 décembre 2018, après qu’il a été hospitalisé avec la bouche et le nez en sang et une température corporelle de 28,7 degrés. Dans le même temps, les auteurs, qui avaient retardé le plus possible l’hospitalisation de Sanda, se sont efforcés de dissimuler les preuves de leur culpabilité.
La mort de Sanda Dia à la suite du rituel de baptême de Reuzegom – un groupe connu pour ses penchants racistes et discriminatoires – met en lumière la culture inquiétante des cercles étudiants et les limites des pratiques de bizutage. L’absence de sanctions adéquates à l’encontre des auteurs de ces actes renforce le sentiment d’injustice et souligne la nécessité d’adopter des mesures plus strictes pour prévenir de nouveaux abus.
On en a parlé avec quelques manifestant·es.
Jos (30 ans)
VICE : Pourquoi t’as décidé de venir aujourd’hui ?
Jos : Je pense que tout le monde sent que c’est injuste, qu’il s’agit d’une affaire de justice de classe. Pour moi, on doit envoyer un signal fort à la société pour dire que les choses doivent vraiment changer et ça ne sera possible que si beaucoup de personnes se mobilisent.
Tu penses qu’une sanction plus juste aurait pu être prononcée ?
Je pense que c’est au juge de décider, mais ce qui me dérange, c’est que les auteurs ne veulent pas accepter leur part de responsabilité, ils n’ont jamais voulu admettre qui avait administré l’huile de poisson, qui aurait menti sur la date de la fin du baptême, la justice ne peut donc statuer sur le fait qu’il y aurait eu ou non une abstention coupable. Le déséquilibre avec d’autres peines prononcées est trop important. Tiens, si tu bloques l’entrée du Delhaize, t’es passible d’une amende de 1 000 euros, ce qui vaut apparemment deux fois plus qu’une vie humaine.
Tu penses que c’est utile de venir manifester malgré tout ?
Oui, j’en ai la conviction. Tous les grands changements dans la société se font par la protestation. Même avec l’affaire Dutroux, on a vu de grands changements au sein de la police et de la justice, et j’espère qu’il en sera de même avec cette affaire.
Emile Luhahi (33 ans)
VICE : Tu t’attendais à ce verdict concernant les 18 étudiants impliqués ?
Emile : J’attendais rien du verdict, j’espérais juste qu’à la suite du procès les parents et la famille de Sanda Dia puissent avoir des réponses à toutes leurs questions. Et apparemment c’est pas le cas. J’espérais aussi que, selon les degrés d’implication pour certains d’entre eux, ce qui s’est passé figure dans l’extrait du casier judiciaire. Alors qu’ici, une fois leurs amendes payées et les travaux d’intérêt général effectués, à la limite c’est comme si tout ça n’avait jamais existé pour les auteurs. On parle bien d’actes dégradants et que certains ont tout fait pour faire disparaître dès le soir même tout ce qu’il s’était passé. Ils ont tout nettoyé.
Selon toi, qu’est-ce que révèle cette affaire ?
Ça révèle qu’au sein de la population, y’a une perception et un sentiment de deux poids deux mesures dans la justice. Ça révèle, ou confirme, qu’il y a une justice où les riches et les pauvres n’ont pas la même possibilité de se défendre et que le système juridique actuel est une vieille machine qui a besoin d’une mise à jour urgente. Y’a rien de juste dans la justice si elle n’est pas égale selon l’origine sociale. Les personnes qui manifestent actuellement sont principalement les jeunes. Comment voulez-vous expliquer aux jeunes qui sont victimes de profilage ethnique que tout fonctionne correctement ? Que la balance judiciaire est à l’équilibre ? Qu’il n’y a pas de différence selon votre origine ?
C’est quoi les armes qui nous permettent de nous battre contre ce genre d’injustices ?
Il faut, selon moi, principalement travailler et éduquer les gens sur des principes tels que les biais inconscients. On en a tou·tes, et déjà rien que le fait de le savoir peut aider. La société n’est pas juste, tout le monde est différent et le plus grand défi de notre société, c’est le vivre ensemble. La société évolue rapidement, bien plus vite qu’une institution telle que l’école, par exemple. Il faut aussi comprendre le poids de nos structures et de nos institutions. Les parlements, la magistrature, les conseils d’administration, les postes stratégiques dans les entreprises ne reflètent que trop peu la société cosmopolite des grandes villes actuelles. Il faut que nos structures soient beaucoup plus conformes à notre société. Pour le quotidien, je préconise le dialogue et l’éducation permanente.
Tu penses qu’on devrait interdire les baptêmes ?
Si les baptêmes ne sont pas synonymes de souillage et de déshonneur, alors il n’y a aucun problème. Le baptême est secondaire à l’affaire Sanda Dia. On a besoin de célébrer le baptême d’une société plus juste où chacun trouve sa place. Sanda lui-même cherchait sa place. Repose en paix frérot.
Sintayehu (25 ans)
VICE : Pourquoi t’es venue aujourd’hui ?
Sintayehu : Pour soutenir la famille et montrer mon visage. Je soutiens pas du tout la décision du tribunal, je devais le manifester d’une façon ou d’une autre. En plus, je suis vraiment déçue par le nombre de personnes présentes aujourd’hui. Si on en croit les réseaux sociaux, tout le monde aurait dû être là, mais malheureusement y’a beaucoup moins de monde que je l’espérais.
C’était quoi ta première réaction quand t’as pris connaissance du verdict ?
Ça m’a pas choquée, c’était clair pour moi depuis un certain temps que la peine qu’ils recevraient, quelle qu’elle soit, allait être légère. Mais c’est vrai que je m’attendais pas non plus à ce qu’elle soit aussi ridicule.
Selon toi, quelle aurait été la peine la plus juste dans ce cas ?
Au moins une peine de prison. Mais on a tou·tes vu que retirer son enfant à quelqu’un c’est puni au mieux d’une amende, c’est absurde.
Tu penses quoi des baptêmes étudiants ?
Ils sont inutiles, surtout après ce qui est arrivé à Sanda. J’y ai jamais participé et je l’ai pas regretté un seul instant.
Tu penses que ça servira à quelque chose de manifester ?
Absolument. Même si on n’est pas beaucoup, on veut montrer qu’il existe un ras-le-bol collectif, et je pense qu’on arrive à faire passer ce message. C’est utile et il faut surtout pas que ça s’arrête. Ça devrait pas être la dernière fois qu’on se rassemble pour Sanda.
Aline (25 ans)
VICE : C’est quoi la raison de ta venue aujourd’hui ?
Aline : Je suis en colère contre le système judiciaire et l’issue du procès Reuzegom. Dans ce pays, on peut s’en sortir avec n’importe quoi tant qu’on est de bonne famille et je peux tout simplement pas accepter ça. L’inégalité de traitement entre les personnes issues de l’immigration et les autochtones est flagrante et ça ne devrait plus être acceptable, c’est pour ça que je suis ici aujourd’hui.
Quelle a été ta première réaction quand t’as eu connaissance du verdict ?
J’étais extrêmement frustrée, en colère et triste. Par-dessus tout, j’ai ressenti un sentiment de détresse.
Tu penses quoi des baptêmes étudiants en général ?
Je pense que c’est une tradition incroyablement stupide et dépassée. Je trouve ça anormalement pathétique de devoir faire ses preuves par des tâches humiliantes pour appartenir à un groupe ou de nouer des amitiés. Le fait de devoir se soumettre à un rituel pour nouer des amitiés ou trouver une place au sein de votre faculté c’est tordu, et c’est ce qui est arrivé à Sanda, qui n’était qu’un garçon noir qui voulait trouver un bon groupe d’amis dans une école blanche et qui en a été la victime. Les écoles devraient interdire ça, c’est dépassé !
Tu penses que c’est utile de manifester ?
Je pense que manifester pacifiquement est un début pour faire entendre sa voix et que ça peut souvent pousser dans la bonne direction, mais je pense aussi que ça ne peut pas suffire à apporter le changement structurel qui est nécessaire. Je pense que ce qui peut provoquer ce changement… vous savez ce qu’il faudrait.