Artemio BENKI – documentaire Argentine 2019 1h25mn VOSTF –
Du 30/06/21 au 20/07/21
« Passé le portail d’entrée d’El Borda, un ficus étrangleur s’enroule autour du tronc d’un palmier, tel une métaphore de la folie » raconte le réalisateur. « L’hôpital psychiatrique du Borda est une petite ville en soi. Les rues y portent des noms de docteurs, les bâtiments ont des allures de squats, il y a une église, un terrain de foot. Je l’ai visité pour la première fois en décembre 2014. Je me souviens du lieu, des visages que j’y ai croisés. J’avais envie d’y revenir et cette sensation que j’avais une histoire à raconter là-bas. »
L’incroyable histoire, la vraie, pleine d’enseignements philosophiques, c’est celle de Martín Aníbal Perino, « le Maestro » comme le surnomment les autres pensionnaires d’El Borda… Un personnage haut en couleurs, au destin hors du commun, qui hantera longtemps nos mémoires. On le découvre comme l’a découvert le cinéaste, plein d’humour et d’auto-dérision, en train de pianoter constamment, sur toute surface réelle ou imaginaire, des airs que lui seul entend mais qui prendront corps pour nous pour peu qu’on lui prête un piano. Ce qui paraît tout d’abord une attitude démentielle est le fruit d’un labeur incessant, intense, d’une passion dévastatrice, d’une enfance sacrifiée pour la conquête de la renommée. Martín fut cet enfant prodige, ce musicien virtuose, promis à une brillante carrière arrêtée en plein vol quand, se sentant perdre pied, il demanda à ce qu’on l’interne.
« Les gens normaux n’ont rien d’exceptionnel » titrait en d’autres temps un tout autre film. Une phrase qui fait caisse de résonance aux mots tellement lucides et sensés de Martín. On se demandera longtemps encore où se situe la frontière qui sépare folie et génie. Plus le film chemine, plus elle devient impalpable, nous échappe, nous perturbe tels les vibratos faussement déstructurés d’un opéra-comique contemporain. Chaque œuvre, chaque composition ne porte-t-elle pas en elle une part de danger inhérent au processus de création qui entraîne les artistes à la marge de la normalité ? Le film nous fait basculer dans cette humanité fragile qui se contorsionne, se débat comme elle peut pour survivre, avec ses pauvres armes.
Rapidement on s’attache à tous les personnages, à leurs parcours au travers de celui du principal protagoniste. Est dressé le portrait mouvant, émouvant d’un être qu’on ne se lasse pas d’observer, pendus à ses lèvres, à ses doigts endiablés, agiles, pourtant potelés par trop de médicaments.
On achèvera le périple frustrés, avec l’envie d’en savoir plus, de connaître la suite de ses batailles, d’entendre en entier ses fulgurantes compositions. Car même au fond du gouffre, l’esprit de Martín jamais ne sommeille vraiment, un état qui le tire autant vers la noirceur d’un enfer intérieur que vers une forme de rédemption lumineuse. « D’une certaine manière, la folie donne des ailes… à toi, à moi, au président de la nation » explique le pianiste…
Ses angoisses, ses errances nous ramènent aux nôtres. On perçoit la cruelle dualité qui l’assaille, pris en tenaille entre son désir de liberté mêlé à la peur d’avoir à décider de sa vie. Malgré les apparences, contre tout attente, les murs de l’hôpital sont aussi un nid protecteur et il faudra beaucoup de courage, d’amitié, d’entourage pour réussir à en sortir, à se sentir rassuré…
Solo, tout en tendresse et pudeur, qui parle d’un être qui s’élance à nouveau vers une nouvelle carrière, met un point d’orgue à celle d’Artemio Benki, mort prématurément alors que nous le découvrions à peine… « Ciao Maestro » !