L'alimentation de qualité n'est pas uniquement pour les personnes fortunées.

ECONOMIE

L’alimentation de qualité n’est pas uniquement pour les personnes fortunées.

Il est regrettable que certaines réalités persistent. D’après une étude du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc) réalisée au milieu de l’année 2023, 16 % des Français ne consomment pas une alimentation suffisante, tandis que 45 % mangent suffisamment mais sans toujours pouvoir accéder aux aliments désirés.

Les conséquences de l’inflation sur ces manques sont significatives, comme le montre les statistiques des Restos du cœur : en 2022-2023, 18 % de personnes supplémentaires y ont reçu de l’aide par rapport à l’année précédente.

Les banques alimentaires se trouvent en première ligne. L’un de leurs principaux défis est d’augmenter l’approvisionnement en fruits et légumes. Bien qu’elles soient limitées par la composition des stocks invendus de la grande distribution qui leur sont destinés et la logistique plus contraignante des produits frais par rapport aux produits secs, elles bénéficient de l’aide d’organisations de l’économie sociale et solidaire qui se sont engagées à fournir des aliments de qualité aux plus défavorisés.

Collecte de fruits et légumes

C’est le cas de Solaal, une association qui regroupe onze antennes régionales (seule la région Nouvelle-Aquitaine est absente) et a été créée en 2013 pour lutter contre la précarité alimentaire et les pertes agricoles. L’association collecte les fruits et légumes auprès des producteurs « lorsqu’ils rencontrent temporairement des difficultés pour vendre leur production », souligne Angélique Delahaye, sa présidente.

Solaal s’occupe ensuite d’organiser le don dans son intégralité, du retrait à l’exploitation jusqu’au transport vers l’association d’aide alimentaire concernée (Restos du cœur, réseau d’épiceries solidaires, Secours populaire, etc.). En dix ans, 35 000 tonnes ont été sauvé de la benne, correspondant à 70 millions de repas.

Depuis quelques années, des récoltes sont également effectuées lors d’opérations de « glanage solidaire » pour des producteurs n’ayant pas pu tout cueillir, pour des raisons techniques ou de calibre. C’est une occasion de créer un lien entre les glaneurs bénévoles – des jeunes du milieu agricole ou des bénéficiaires de l’aide alimentaire – et les agriculteurs.

Ne générant jusqu’à présent aucun chiffre d’affaires, la structure, qui emploie six salariés à l’échelle nationale et quatorze dans ses antennes, dépend des subventions publiques et du mécénat privé.

Elle explore de nouveaux champs d’activité, en offrant la possibilité aux producteurs de vendre certains de leurs produits « à un prix qu’ils déterminent et que nous ne négocions pas », insiste Angélique Delahaye. Une petite part des revenus revient à Solaal, ce qui permet de maintenir la gratuité de la gestion des dons.

De leur côté, les associations d’aide alimentaire achètent les produits grâce aux aides nationales du fonds « Mieux manger pour tous », instauré en 2023 pour améliorer la qualité nutritionnelle des denrées alimentaires d’aide.

Bocaux antigaspi

A Romans-sur-Isère (26), la conserverie mobile et solidaire, réactivée en 2023 par une nouvelle équipe, a deux ambitions : sensibiliser à la cuisine locale et de saison, ainsi qu’à la lutte contre le gaspillage alimentaire. Pour cela, elle propose des animations dans des maisons de quartier, des centres sociaux ou selon les demandes de la communauté d’agglomération, ainsi que des ateliers de cuisine ou de préparation de conserves en bocaux.

Ce volet « animation » de La conserverie, constituée en société coopérative d’intérêt collectif (Scic) qui implique dans sa gouvernance les salariés, les maisons de quartier et les bénéficiaires, est associé à une activité de préparation de bocaux pour éviter le gaspillage de productions agricoles. Le tout s’effectue grâce à un camion équipé d’un autoclave capable de réaliser 200 bocaux simultanément.

Une fois les bocaux confectionnés et la prestation rémunérée par les agriculteurs utilisant le camion – ils sont actuellement une dizaine à l’utiliser régulièrement – c’est à eux de gérer leur circuit de distribution : paniers pour des associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (Amap), marchés, vente directe, etc.

Cependant, une partie de la production de La conserverie est dédiée aux plus démunis.

« Nous menons des opérations de glanage solidaire avec des bénévoles, puis un processus de transformation collective en bocaux, qui sont ensuite distribués aux associations d’aide alimentaire », décrit Célia Schwaederlé, responsable de l’animation-formation de la structure.

Le but est d’étendre la production. « Nous réalisons des économies d’échelle avec les bocaux : plus nous en produisons, plus les coûts diminuent », admet Célia Schwaederlé. En attendant, c’est en grande partie grâce à l’animation que les trois mi-temps des salariées de La conserverie sont financés, soutenus en outre par des subventions publiques.

Du bio dans les quartiers prioritaires

A Nantes (44), la branche locale de l’association nationale Vrac s’adresse, quant à elle, aux résidents des quartiers prioritaires de la ville et des logements sociaux, à qui elle propose de faire des achats en vrac, principalement de produits bio. Elle dispose d’environ soixante produits, parmi lesquels des œufs, du fromage, du café, des pâtes, des haricots rouges et, récemment, une offre ponctuelle de fruits et légumes.

Vrac Nantes, avec ses quatre salariés à temps plein, dessert près de 800 foyers sur sept quartiers et collabore avec une vingtaine de producteurs.

« Lorsque nous devons choisir entre le bio et le local, nous privilégions le bio, car l’impact écologique des pratiques agricoles est plus déterminant que celui du transport », explique Guillaume Hernandez, responsable de Vrac Nantes. « Les producteurs qui nous ont rejoints au départ étaient plutôt motivés par un engagement militant pour rendre le bio accessible. Aujourd’hui, nous leur offrons un véritable débouché ! »

L’association fait appel à des dégustations pour se faire connaître auprès des habitants, par le biais de travailleurs sociaux, d’autres partenaires du quartier ou de bailleurs.

Pour les consommateurs, « nous sommes 30 à 40 % moins chers que les enseignes bio. Une boîte de six œufs bio et locaux coûte entre 1,10 € et 2,20 € », donne-t-il en exemple. Le prix constitue également le principal attrait pour les habitants.

« Au départ, lorsque l’on évoque le bio, les habitants sont réticents, pensant que cela est réservé aux ménages aisés en centre-ville », précise-t-il. « Des rencontres avec les producteurs, organisées plusieurs fois par an, permettent à certains de changer d’avis, en découvrant ce que le bio implique en termes de qualité des produits, de conditions de production, mais aussi de travail pour les agriculteurs. »

Ces visites et les ateliers de cuisine orientent les adhérents dans la préparation de plats avec les aliments fournis, mettant l’accent sur la sensibilisation à la nutrition chez Vrac.

En parallèle, l’association a récemment lancé l’expérimentation d’une caisse sociale de l’alimentation, qui est l’application locale des principes de la Sécurité sociale alimentaire, déjà en place à Montpellier, Lyon ou Bordeaux.

L’objectif est de démontrer sur le terrain que l’instauration de ce système, basé sur les mêmes trois piliers que notre système de santé – l’universalité, la cotisation et la convention des produits – peut structurellement répondre à la précarité alimentaire, qui est fondamentalement multifactorielle. Et mérite d’être instaurée à l’échelle nationale. Qu’en pensez-vous ?

POUR ALLER PLUS LOIN :

Le débat « Comment se passer des pesticides sans appauvrir les agriculteurs ?»  aura lieu le vendredi 29 novembre à 14 h 30 durant les Journées de l’économie autrement, à Dijon. Consultez le programme complet de cet événement organisé par Alternatives Economiques.

Montpellier initie sa 9e édition de "Coeur de ville en lumières" ce week-end, découvrez le programme

HERAULT NEWS

Montpellier initie sa 9e édition de “Coeur de ville en lumières” ce week-end, découvrez le programme

Les lieux emblématiques de la ville de Montpellier seront éclairés durant trois soirées. La 9e édition de “Cœur de ville en lumières” débute ce jeudi soir. Des spectacles lumineux se tiendront ce jeudi, vendredi et samedi, de 18h30 à 22h30. En 2024, la ville souhaite mettre en avant l’influence internationale de Montpellier.

Il y aura des jeux olympiques projetés sur l’Arc de triomphe, de l’histoire de l’art sur l’opéra comédie, et des danses méditerranéennes au théâtre de l’agora. De plus, deux nouveaux emplacements ont été ajoutés : la maison des relations internationales avec un spectacle sur les relations entre Montpellier et la Chine, ainsi que le jardin des plantes avec une projection botanique.

Cœur de Ville en Lumières 2024 – Teaser

Pour ceux qui préfèrent l’action, des sessions géantes de jeux vidéo sont organisées à l’agora de la danse avec les 200 étudiants en arts visuels qui ont conçu les projections.

Quelques ajustements en raison des travaux

En revanche, il n’y aura pas de spectacle sur la place Max Rouquette, sous le château d’eau aux Arceaux, en rénovation. À la Préfecture, la projection est maintenue, mais se déplacera vers une autre façade : direction la place du marché aux fleurs et non celle des martyrs de la résistance, actuellement en travaux.

Il sera nécessaire d’être patient à certains endroits, comme au parvis de l’église Saint-Roch, où des contrôles d’accès sont mis en place pour des raisons de sécurité. La ligne 4 du tramway sera également déviée de 18h à 23h, ne desservant pas le centre-ville.

La carte des onze sites illuminés.
La carte des onze sites illuminés.

Plus de 420.000 visiteurs étaient attendus durant ces trois jours d’illuminations en 2023.

Huit kilogrammes de stupéfiants interceptés dans un logement du cœur de Montpellier.

HERAULT NEWS

Huit kilogrammes de stupéfiants interceptés dans un logement du cœur de Montpellier.

Huit kilos de cannabis et de cocaïne ont été saisis au cœur de Montpellier. Des agents du groupe de sécurité de proximité (GSP) ont été intrigués par des mouvements suspects à l’entrée d’un bâtiment situé rue de la Valfère, dans l’Écusson à Montpellier.

Après avoir interpellé un premier individu de 25 ans qui a reconnu être consommateur, ils ont réussi à arrêter deux autres hommes, le plus jeune, âgé de 21 ans, étant le frère du premier. Il a révélé qu’il travaillait comme livreur. Un autre homme, de 23 ans, a déclaré n’être qu’une “nourrice“.

Une perquisition effectuée dans son appartement a permis de mettre au jour cinq kilos de marijuana, 2,7 kilos de résine de cannabis, 75 grammes de cocaïne, 1.300 euros en espèces, ainsi que du matériel de conditionnement de drogues destiné à la vente. On y a également trouvé 25 cartouches de 9 mm, mais aucune arme.

Les trois individus ont été placés en garde à vue.

Dans une chorale de Montpellier

HERAULT NEWS

Dans une chorale de Montpellier

Actuellement, 5% de la population en France est impliquée dans des chorales. Mais finalement, tout le monde peut-il vraiment chanter en chorale? Comment se déroule le chant à 50? Est-il possible d’apprendre à chanter juste même si l’on chante faux? Peut-on acquérir le sens du rythme?

5% de la population française participe au chant choral aujourd’hui. J’ai eu envie de découvrir qui sont ces passionnés de chant. Direction le cœur de Montpellier..

La directrice de la chorale

Chaque mercredi soir, une cinquantaine d’hommes et de femmes se retrouvent à 18h30 à la Maison pour Tous Joseph Ricôme. Ce soir, nous y serons également avec Thierry, le technicien du son. La chorale La vocale du Diable est sous la direction d’Odile Fargère, une petite brune avec des yeux bleus éclatants et une énergie débordante.

Avant l’arrivée des choristes, je discute avec elle d’une vaste étude sur le chant choral publiée en 2024, qui évoque l’essor de cette pratique. Elle partage ensuite son parcours en tant que chanteuse et musicienne ainsi que la création de sa chorale.

Les choristes se retrouvent régulièrement pour des concerts
Les choristes se retrouvent régulièrement pour des concerts

Les dames

L’Hérault n’échappe pas à la tendance du chant choral : chaque année, de plus en plus de personnes issues de toutes les couches sociales s’y mettent. Mais la parité est-elle respectée?

Le hall de la Maison pour Tous Joseph Ricôme est bondé.

C’est le cas à la chorale montpelliéraine pop-swing : La vocale du Diable. Quelques instants avant le début de la répétition, un groupe de femmes âgées de 45 à 60 ans discute et rit ensemble, visiblement ravies de se retrouver.

Les échauffements

À la Vocale du Diable, on ne perd pas une seconde pour la répétition ! C’est normal : les horaires à la Maison pour Tous Joseph Ricôme sont très stricts et à 20h précises, une autre chorale va prendre la suite !

Alors que les choristes déposent leurs affaires et s’installent, Odile Fargère, musicienne et cheffe de chœur, m’explique sa méthode de travail.

Les choristes se placent maintenant devant leur cheffe de chœur. Ils s’installent en arc-de-cercle et s’organisent par pupitre, des plus graves à gauche aux plus aigus à droite. Avant de vérifier si chacun a commencé à travailler chez lui sur le nouveau morceau du jour : “Champagne” de Jacques Higelin, on commence par un échauffement. Pour faire les notes, Odile utilise un mélodica, un instrument ressemblant à un piano portatif.

Quatre personnes entrent dans la salle et essaient de se faufiler discrètement parmi les choristes… En vain !

L’échauffement est maintenant terminé. Le playback commence. Et les choristes se lancent pour la première fois…

Beaucoup de sourires et d'échanges joyeux: pas de doute: chanter fait du bien!
Beaucoup de sourires et d’échanges joyeux: pas de doute: chanter fait du bien!

La cadence

Tout le monde peut-il intégrer une chorale? Sommes-nous tous faits pour chanter ? Pas forcément !!!

La chorale La vocale du Diable à Montpellier compte une cinquantaine de membres âgés de 45 à 65 ans. Ce jour-là, ils travaillent sur un nouveau morceau : Champagne de Jacques Higelin. Formés en arc-de-cercle devant la cheffe de chœur, ils terminent leur premier essai…

Alors que les choristes se détendent, je me rapproche de la cheffe de chœur : On dit que lorsqu’on chante faux, on peut le travailler, mais que pour le rythme c’est impossible. Si on ne l’a pas, on ne l’a pas, est-ce vrai ?

Et il y a ceux qui sont plus, enfin qui sont moins, enfin qui sont derrière quoi !!

Odile, une Cheffe de Coeur heureuse
Odile, une Cheffe de Coeur heureuse

Chanter en chœur !

Chanter peut déjà représenter un défi pour certains, mais chanter à 50, comment y parvient-on ?

La répétition touche à sa fin à la Maison pour Tous Joseph Ricôme à Montpellier. Les 50 choristes ont répété une dizaine de fois la chanson d’Higelin, d’abord par pupitre, c’est-à-dire voix par voix, ensuite plusieurs voix ensemble puis tous ensemble…

Après presque 1h30 de chant, Odile Fargère, la cheffe de chœur, conserve une énergie intacte…

Il est 20h, La vocale du Diable doit rapidement libérer la salle pour accueillir une autre chorale. En sortant, je croise Hervé, un jeune retraité qui a récemment rejoint la chorale. Que peut-on tirer du chant en groupe?

Les librairies autonomes, cruciales et fragiles

ECONOMIE

Les librairies autonomes, cruciales et fragiles

Être entouré de livres n’immunise pas contre les fluctuations économiques. Depuis le printemps passé, Emilie Grieu, créatrice de la librairie Les Pipelettes à Romainville (Seine-Saint-Denis), a « souvent été à découvert dès le dix de chaque mois », partage-t-elle. « C’est inédit », précise cette quadragénaire dynamique.

Pour les environ 3 700 librairies indépendantes présentes en France (au sein de 25 000 points de vente de livres au total, y compris hypermarchés et stations-service, selon le ministère de la Culture), l’année 2024 s’annonce comme un challenge. Après l’enthousiasme des lecteurs et lectrices pour leur librairie de quartier, qualifiée de « commerce essentiel » durant la crise de la Covid, les ventes stagnent.

Selon l’Observatoire de la librairie française, les ventes reculent même pour les livres, hors papeterie (- 0,9 % de janvier à septembre 2024 par rapport aux neuf premiers mois de l’an passé).

Pour les plus petites librairies, celles dont le chiffre d’affaires annuel ne dépasse pas 500 000 euros, comme Les Pipelettes, la condition devient alarmante. D’après une analyse du cabinet Xerfi, de nombreux commerces pourraient faire face à la faillite dès l’année prochaine. Unique au monde grâce à la densité de son réseau, essentielle pour le lien social et le tissu territorial autant que pour l’échange d’idées, cette industrie se retrouve prise dans un redoutable effet ciseau.

Augmentation des coûts

D’une part, les coûts ont fortement grimpé depuis 2021. L’énergie en tête. Les plus grandes librairies indépendantes, parmi les plus coûteuses à chauffer, ont enregistré une hausse de 150 % de leur facture d’électricité.

Contrairement aux boulangers, d’autres commerçants « essentiels », les libraires n’ont pas bénéficié de tarifs plafonnés. Résultat ? Comme beaucoup de patrons de PME, certains libraires expriment parfois le sentiment de « travailler pour Engie », confie Amanda Spiegel, à la tête de Folie d’encre à Montreuil (Seine-Saint-Denis) et vice-présidente du Syndicat de la librairie française (SLF).

En outre, la flambée des prix des carburants impacte également les frais de transport (+13 % depuis 2021) que supportent les libraires : ils doivent financer l’acheminement des livres commandés et le retour des invendus au distributeur.

Ce n’est pas tout. Les commerces indépendants, généralement situés en centre-ville, doivent aussi gérer la hausse des loyers, un important poste de dépenses. Dans le quartier populaire en transformation de Romainville, Emilie Grieu doit débourser 3 000 euros par mois pour 70 mètres carrés de surface de vente en rez-de-chaussée et un sous-sol de 30 mètres carrés.

Concernant le personnel, souvent mal rémunéré, il a fallu augmenter les salaires (+10 % de masse salariale) pour faire face à l’inflation, atteignant en 2024 un salaire moyen de 1 720 euros nets, somme modeste pour des diplômés engagés et cultivés.

Dans les librairies indépendantes, la masse salariale représente une part plus conséquente du budget (environ 20 % contre 14 % à la Fnac, 10 % en grande surface, 5 % sur Amazon). C’est logique : conseiller les clients, valoriser des titres méconnus et inviter des auteurs requiert du temps et des compétences. « C’est vital », résume Emilie Grieu, qui emploie Cécile, libraire expérimentée en CDI, et un stagiaire, Alexis, apprenti libraire et passionné de sciences humaines.

À l’opposé, les prix ne suivent pas. Fixés par les éditeurs selon la loi Lang de 1981 sur le « prix unique du livre », ils n’ont crû que de 2,2 % en moyenne en 2024. Cette législation a le mérite de protéger l’écosystème des librairies indépendantes de la concurrence des grandes surfaces, sauvegardant ainsi la pluralité éditoriale.

Le souci, c’est que les remises accordées par les éditeurs aux libraires, d’environ un tiers du prix de vente, ne suffisent plus : « Il faudrait obtenir 38 % à 40 % », estime Emilie Grieu. En conséquence, les marges des librairies se resserrent. Cette année, elles ne dépassent pas 1 % de leur chiffre d’affaires moyen, l’un des taux de marge les plus bas dans le commerce de détail, « avec les fleuristes », nous informe-t-on.

Trois fois plus qu’il y a trente ans

Les livres deviendraient-ils jetables ? En termes logistiques, c’est certain. Toutes catégories confondues, du manuel scolaire au livre de cuisine en passant par le roman, environ 75 000 publications voient le jour chaque année, soit trois fois plus que dans les années 1990. Et ce, alors même que la population n’a augmenté que de 20 % et que les Français ne lisent pas davantage.

Bien que cette richesse puisse illustrer une diversité bienvenue dans l’offre de lecture, il en résulte qu’à peine arrivées en rayon, les nouveautés doivent céder la place à des titres encore plus récents. « Nous passons notre temps à décharger et à remplir des cartons », témoigne Anne Martelle. La production éditoriale pousse les cadences à un rythme insoutenable :

« On n’a plus le temps de lire ! s’écrie sa collègue Amanda Spiegel. Dans ces conditions, on ne parvient plus à faire découvrir les livres, on perd l’essence même du métier. »

Cette précipitation impacte également l’empreinte carbone de la filière : l’écologie était l’un des thèmes majeurs des rencontres nationales de la librairie, tenues à Strasbourg en juin dernier. Au début de l’année, l’association de libraires indépendants Pour l’écologie du livre a lancé une « trêve des nouveautés », sous l’égide de sa cofondatrice Anaïs Massola, libraire au Rideau rouge, à Paris.

Ingénieux, les participants ont refusé certains ouvrages selon des critères délibérément surprenants (comme la couleur de la couverture…). Cette initiative incitera-t-elle les éditeurs à réduire leur production (un peu) ? Les libraires auraient tout à y gagner, car le rythme élevé des commandes et des retours pèse sur leur budget.

Diversité de l’offre culturelle

Et après ? « Déjà sur le fil, écrivent les spécialistes de Xerfi, la situation financière des librairies (indépendantes, NDLR.) pourrait encore se détériorer dans les années à venir ». Dès 2025, précisent-ils, les plus petites pourraient encaisser des « pertes considérables » et des fermetures.

Cette vulnérabilité menace la pluralité de l’offre culturelle en France et soulève également une question politique. Dans un contexte économique délicat, les libraires se trouvent en effet exposés aux manœuvres de riches entrepreneurs d’idées, souvent proches de l’extrême droite. En septembre 2023, Vivendi, le groupe dirigé par Vincent Bolloré, a acquis l’Écume des pages, célèbre enseigne parisienne située à Saint-Germain-des-Prés.

Cet automne, un autre milliardaire « patriote » (sic) s’intéresse aux librairies indépendantes : Pierre-Edouard Stérin, leader du fonds Otium Capital, finance le projet nommé « Périclès » à hauteur de 150 millions d’euros pour « l’enracinement, l’identité » et « l’anthropologie chrétienne ».

Après avoir échoué l’an passé à acquérir le groupe Editis (Belfond, Julliard, Robert Laffont…) puis, en août dernier, le magazine Marianne, il a publié une annonce. Il recherche « un entrepreneur » afin de constituer d’ici cinq ans « un réseau de 300 librairies indépendantes dans les régions françaises » qui organiseraient « plus de 5 000 événements culturels locaux ». L’objectif ? « Réinventer le concept de librairie multi-activités avec une offre culturelle au service des familles ». Une bataille culturelle est en cours.