La Âme Divisée de “Bad Kreyòl”
Dominique Morisseau médite sur l’identité et sur les possibilités du langage dans sa nouvelle pièce, qui se déroule en Haïti.
Dominique Morisseau médite sur l’identité et sur les possibilités du langage dans sa nouvelle pièce, qui se déroule en Haïti.
« Il y a trop de règles ! » Combien de fois avons-nous entendu ce constat de la part d’un segment de la classe politique, et encore plus fréquemment de la part des syndicats patronaux ?
À travers ses nombreuses fonctions, comme directeur général du Travail, juge au Conseil d’Etat, et directeur de cabinet de la Première ministre Elisabeth Borne, Jean-Denis Combrexelle a occupé une place centrale dans la haute administration française, celle qui génère des normes.
Dans son livre Les normes à l’assaut de la démocratie (Odile Jacob), il aborde l’inflation normative en France et souligne les multiples mécanismes par lesquels la technocratie a tendance à engendrer trop de normes.
Cependant, il ne perd pas de vue que sur ce marché, la demande de normes variées, en particulier de la part des entreprises, est cruciale ! Sans oublier l’influence des juges et des régulations européennes. Un panorama de la machine à générer des normes et ses répercussions sur l’économie française.
Quel est le positionnement de la France concernant l’encadrement normatif de l’économie ?
Jean-Denis Combrexelle : La France se situe dans la moyenne supérieure des pays européens : notre tradition étatique de production de normes est significative. Cependant, si l’on additionne les règles des gouvernements fédéraux et des cantons en Allemagne ou en Suisse, on arrive à des niveaux similaires.
Le véritable enjeu en France réside davantage dans l’inflation normative, car notre rythme de création de nouvelles normes est élevé. Ce phénomène est en partie dû à notre tradition d’État. Par exemple, lors de la canicule de 2006, c’était le ministre du Travail qui se rendait sur les sites de construction pour ordonner la distribution de bouteilles d’eau ! Dans de nombreux pays, cela relèverait de la responsabilité des entreprises.
Est-il possible de dire si ce haut niveau de normes constitue un problème pour la France, et peut-on en évaluer le coût ?
J.-D. C. : Je ne suis pas ici pour affirmer que les normes sont superflues. L’État de droit requiert des normes pour éviter que les rapports de force ne dominent. Montesquieu l’a exprimé de manière plus éloquente. Nous manquons d’éléments pour évaluer précisément le coût d’un excès de normes. Certaines sont indispensables, d’autres superflues voire nuisibles, mais il est complexe de déterminer leur répartition. Des avancées sont nécessaires à cet égard.
L’État est le principal producteur de normes en France. Passons en revue les éléments qui le poussent à générer une inflation normative, en commençant par sa volonté d’exhaustivité.
J.-D. C. : C’est une question de culture. La haute fonction publique regroupe de jeunes professionnels compétents, qui ne comptent pas leurs heures et qui veulent tellement bien faire qu’ils tombent dans le syndrome du Pont de la rivière Kwaï, un roman de Pierre Boule où un officier anglais prisonnier s’efforce tant d’être à la hauteur qu’il construit un splendide pont pour l’ennemi ! La technocratie aspire à produire des normes tellement parfaites qu’elle cherche à couvrir tous les cas imaginable. Il faudrait parvenir à accepter l’idée que tout ne peut pas être parfait.
Prenons l’exemple des 35 heures. En simplifiant, dans les anciennes lois, on aurait pu simplement substituer 39 heures par 35 heures. Au lieu de cela, toutes les compétences mobilisées ont entraîné l’élaboration d’une structure complexe du temps de travail, incluant jusque dans le détail le temps de déshabillage. Je ne remets pas en cause le choix politique, mais techniquement, nous avons été trop loin : il aurait été préférable d’établir des principes et de laisser la négociation collective trancher les détails, comme cela a été fait ultérieurement en 2016, car ce qui est applicable à une entreprise d’un secteur ne s’adapte pas nécessairement à une autre.
Autre illustration : lorsqu’on a instauré l’interdiction de fumer dans les lieux de travail. Alors que j’étais directeur du Travail, aussi bien les médias que les représentants des entreprises me réclamaient des précisions sur la procédure à suivre si un employé descendait fumer et se faisait percuter par une voiture !
Il y a aussi la volonté de contrecarrer l’optimisation et les situations abusives…
J.-D. C. : La mise en place d’un dispositif implique des coûts, donc les services cherchent légitimement à éviter l’optimisation fiscale et l’abus social. Dans la pratique, cependant, les fonctionnaires passent la plupart de leur temps à créer des normes anti-fraude, et beaucoup moins à établir les principes des dispositifs. En fin de compte, en encadrant excessivement, on alourdit la contrainte administrative pour les citoyens honnêtes, sans entraver les fraudeurs qui trouveront toujours des moyens de contourner les règles : un excès de paperasse ne changera rien.
La norme étatique devrait définir des principes et laisser leur application à des instances comme le préfet, le directeur régional d’administration, ou le maire. Cela implique, par exemple, que si vous introduisez une nouvelle prime pour les entreprises, il faut accepter que son application ne soit pas interprétée de la même manière à Dunkerque qu’à Marseille. On n’est pas encore prêt à l’accepter en France tant notre attachement au principe d’égalité est fort.
Un autre problème est que chaque législation évolue dans son propre « couloire »…
J.-D. C. : Cela découle d’une logique administrative : chaque administration suit sa propre logique et ne prend pas suffisamment en compte, malgré de nombreuses réunions interministérielles, les effets combinés de « sa » loi et des autres lois gérées par d’autres ministères sur les entreprises et les particuliers. Par exemple, les régulations concernant les travailleurs étrangers touchent plusieurs ministères – Travail, Intérieur, Justice – et chacun opère selon sa propre logique.
Le plus inquiétant, c’est que tout cela a été théorisé par ce qu’on appelle le principe de l’indépendance des législations. Si une entreprise déclare : « Ce que exige votre norme m’impose des difficultés par rapport à une autre norme », la réponse sera que son argument est « inopérante », qu’il existe peut-être d’autres législations, mais que cela ne remet pas en cause l’injonction contradictoire à laquelle l’entreprise est soumise.
Vous décrivez un processus long alors qu’on a souvent l’impression que les lois sont faites rapidement et maladroitement.
J.-D. C. : Après avoir traversé le bureau administratif, la loi se rend à l’Assemblée, et il est possible de se retrouver avec des centaines, voire des milliers d’amendements. J’ai passé beaucoup de temps au Parlement, et il arrive un moment où l’on perd la vision d’ensemble. Entre le dépôt d’une loi et sa promulgation, le nombre d’articles peut augmenter d’environ 2,5, et dans des cas exceptionnels, cela peut grimper jusqu’à 10 !
Lorsque vous étiez directeur du Travail, vous avez participé à une recodification du Code du travail et ensuite à sa révision suite à votre rapport sur la négociation collective : le nombre d’articles a doublé…
J.-D. C. : Il y a une explication technique à cela : le principe d’« incompétence négative ». Si la loi détermine, par exemple, le taux de rémunération des heures supplémentaires, elle ne peut pas simplement affirmer : « Dorénavant, je laisse l’application aux partenaires sociaux. » La loi doit encadrer la négociation, fixer des minima et d’autres paramètres, etc. Cela a permis d’améliorer le contenu du code sans nécessairement réduire le volume.
Vous avez beaucoup œuvré sur ce sujet : quel état des lieux faites-vous du dialogue social actuel ?
J.-D. C. : Lorsque la direction des ressources humaines et les syndicats sont de bonne volonté, cela se passe bien au niveau de l’entreprise. Pour les branches, les organisations professionnelles n’ont pas toujours les ressources nécessaires pour négocier, ce qui souligne l’importance de restructurer les branches, tout en évitant de tomber dans une logique bureaucratique.
Le niveau le plus compliqué est celui des négociations interprofessionnelles. Il est ardu de concilier les syndicats, les organisations professionnelles et l’État. Ce dernier peut affirmer : « Ce n’est pas parce que les deux autres acteurs sont d’accord que je l’accepte, car un intérêt général que je considère non respecté prédomine. » Or, comme je l’ai constaté, les organisations professionnelles peuvent faire preuve d’une certaine méconnaissance vis-à-vis de l’État et qualifier ses demandes d’illégitimes. Il est impératif que tous les acteurs communiquent et se respectent mutuellement.
De manière concrète, le Code qui contient le plus d’articles est celui de la santé publique, suivi du Code du travail : sont-ils pleins de normes superflues ?
J.-D. C. : Il sera difficile de réduire l’ensemble de normes existant. Je propose de commencer par diminuer le flux. Il faut en finir avec l’habitude de créer une loi après chaque actualité. Pour un ministre, il est paradoxalement plus facile de répondre à un événement en déclarant : « Je vais légiférer. »
Les communicants, qui occupent une part disproportionnée, encouragent d’ailleurs cette idée. Pour le système politico-médiatique, si aucune loi n’est adoptée, c’est comme si rien n’était fait ! Si l’on mobilisait l’expertise de l’administration pour évaluer les résultats des lois passées dans le but de réduire les normes, cela bénéficierait au pays.
Beaucoup de politiques vous rejoignent sur ce point, plaidant pour des « chocs de simplification », des « comités de la hache ». Agissent-ils avec de vraies intentions politiques ?
J.-D. C. : Tous les politiques ne sont pas cohérents, ni même sincères, dans ce discours… Les chocs de simplification ne sont jamais apolitiques, car il y a toujours des choix importants à faire. Les politiques laissent entendre que seule l’administration est responsable des problèmes, et qu’il suffit de l’exposer à la réalité pour qu’elle change. Ils souhaitent agir sur l’offre de normes plutôt que sur la demande de normes, mais cela ne fonctionne pas ainsi ! Il existe également une forte demande pour des normes.
Quel rôle faudrait-il assigner aux garde-fous contre l’inflation normative : études d’impact en amont et évaluation des politiques publiques en aval ?
J.-D. C. : Les études d’impact sont là pour évaluer ex ante l’efficacité potentielle d’une loi, mais elles sont réalisées par les services qui conçoivent le texte. Ces études sont également influencées par le politique. Ainsi, pour un candidat élu démocratiquement avec l’objectif de créer un contrat de génération entre jeunes et seniors, il n’ira pas dire que l’étude d’impact montre des résultats peu probants : il veut que sa mesure soit mise en œuvre.
La France s’appuie peu sur l’évaluation des politiques publiques. Je plaide pour que les chercheurs s’engagent davantage dans ce domaine, même si cela représente un exercice délicat et que beaucoup d’entre eux craignent, à tort, de se compromettre avec le pouvoir.
Les acteurs de la société civile expriment une forte demande pour des normes. Première raison : chaque groupe souhaite faire reconnaître ses spécificités.
J.-D. C. : L’expression que j’ai le plus souvent entendue durant ma carrière, c’est : « Nous sommes spécifiques » ! Et chacun désire que l’État traduise cette spécificité à travers les normes. L’administration commence par repousser ces demandes, mais dès qu’une porte s’ouvre, d’autres acteurs dans des situations similaires formulent la même requête. Cela alimente l’inflation normative. Par exemple, durant la pandémie de Covid, lorsque certaines contraintes ont été assouplies pour les théâtres ou les cinémas afin de soutenir la culture, les libraires ont rapidement demandé un traitement identique.
Deuxième raison : les acteurs économiques recherchent une sécurité juridique.
J.-D. C. : C’est un point fondamental, car cela concerne les relations avec la justice. Les chefs d’entreprise doivent savoir où se situe clairement la limite entre ce qu’ils peuvent ou ne peuvent pas faire. En cas de dépassement, ils risquent des sanctions administratives, pénales, et des atteintes à leur réputation – les fraudeurs volontaires étant l’exception. Les organisations patronales réclament constamment une simplification des normes tout en souhaitant parallèlement l’ajout de règles pour garantir leur sécurité juridique.
Elles tentent ainsi de répondre à l’énorme pouvoir des juges administratifs, civils et commerciaux, qui exercent leur influence à partir d’une certaine vision sociétale. La frontière est donc définie par la loi et la jurisprudence, et elle reste floue. Les organisations patronales estiment que plus la loi est précise, plus elle les protégera des jugements, ce qui est une vue simpliste : le pouvoir d’interprétation de ces juges est large et indépendant.
En contrepartie, il est essentiel que les juges soient plus en phase avec la société, en acceptant, tout en respectant leur indépendance, de dialoguer « à froid » avec les entreprises, les syndicats de travailleurs, les maires, etc., afin d’évaluer les impacts de leurs décisions et de considérer des enjeux au-delà du cadre purement juridique.
Le Premier ministre Michel Barnier a suggéré que la France surtransposa les directives européennes, est-ce une réalité ?
J.-D. C. : Cela résulte de plusieurs facteurs. Lorsque l’on introduce une directive européenne, la réaction initiale de l’administration française est souvent de la juger mal conçue et de chercher à la réécrire lors de sa transposition. Par la suite, si cette nouvelle loi est acceptable, on tend à considérer que l’ancienne loi nationale était de meilleure qualité… Ainsi, on se retrouve avec les deux qui coexistent, sur le fond et l’application.
De plus, si une directive indique, par exemple, qu’il doit y avoir une valeur limite de 10 pour une substance chimique, alors qu’une agence française d’évaluation du risque préconise 8, le fonctionnaire qui valide le passage de 8 à 10 prend des risques sur le plan pénal en cas de problème. Par conséquent, il cherchera à conserver le 8. Cela dit, d’importants progrès ont été réalisés ces dernières années, et la surtransposition a diminué. Il faut également reconnaître que la surtransposition n’est pas toujours synonyme de négativité, elle peut revêtir un intérêt.
Comment réduire effectivement l’inflation normative ?
J.-D. C. : Il faut reconstruire des espaces de dialogue où les gens peuvent échanger et parvenir à des compromis, à l’image de ce qui se faisait dans les commissions du Plan. Pour cela, il est nécessaire que les organisations professionnelles deviennent plus conceptuelles, en développant une vision au lieu de se limiter à des postures, notamment antiétatiques.
Il n’existe pas de solution miracle. Toutefois, si nous ne parvenons pas à gérer cette situation, en produisant plus de normes que de résultats, les citoyens auront une impression encore plus forte d’écart entre la création des normes par l’État et l’amélioration de leur quotidien. Cela peut conduire à des constats selon lesquels la démocratie n’est pas efficace et qu’il faudrait réduire le cadre de l’État de droit. C’est là un véritable danger politique associé à l’inflation normative.
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Depuis des mois, les responsables de l’État se préparent à gérer la menace des complotistes d’extrême droite qui pourraient essayer de « stopper le vol ».
Lorsqu’il s’agit de parler du tri des déchets en France, certaines opinions reviennent fréquemment : « Cela n’a aucune utilité », « Tout finit mélangé », « C’est envoyé et enfoui ailleurs »… En 2022, 59 % de nos compatriotes estimait que le recyclage était « un geste minime sans impact écologique véritable ».
Cependant, selon les industriels, le tri représenterait le « premier acte éco-responsable », et le recyclage un secteur industriel en plein essor. Les quantités recyclées augmentent en effet de manière continue et alimentent une industrie en expansion.
L’entreprise américaine Eastman développe en Normandie ce qu’elle appelle « la plus grande usine de recyclage de plastique au monde », capable de traiter 160 000 tonnes de déchets polyester chaque année. Située au bord de la Seine à quelques dizaines de kilomètres du Havre, à proximité d’importants axes de transport, elle pourra recevoir les déchets des grandes métropoles européennes.
Ce projet, qui s’élève à 2 milliards d’euros, attire l’attention de LVMH, Estée Lauder, L’Oréal ou Danone, qui cherchent à se procurer du plastique recyclé. TotalEnergies a, de son côté, investi 500 millions d’euros dans la transformation de sa raffinerie de Grandpuits (Seine-et-Marne) pour produire du biocarburant et du plastique recyclé en collaboration avec Paprec et l’espagnol Plastic Energy.
Suez est également de la partie, s’associant avec le canadien Loop Industries pour investir 250 millions d’euros dans une usine de recyclage de polytéréphtalate d’éthylène (PET) en Moselle. Ce plastique, l’un des plus courants, est fabriqué à partir de pétrole et fait l’objet d’investissements visant à améliorer ses capacités de recyclage.
On peut également mentionner la société française Axens et le japonais Toray, qui ont pour projet de construire une usine dans l’Ain pour recycler 30 000 tonnes de PET par an. Quel est donc ce secteur, présenté comme respectueux de l’environnement, vers lequel se dirigent nos déchets ?
Ce secteur économique a acquis une certaine ampleur. L’industrie du recyclage emploie 34 400 personnes en France et a généré en 2022 un chiffre d’affaires de 11,6 milliards d’euros, soit une augmentation de 7,7 % par rapport à l’année précédente, grâce à la vente de 39,8 millions de tonnes de matières premières issues du recyclage.
La Fédération professionnelle des entreprises du recyclage (Federec) regroupe 1 200 membres, dont deux tiers sont des PME et TPE. S’ajoutent à cela des start-up et des bureaux d’études.
« Les entreprises de ce secteur sont généralement des PME dispersées sur tout le territoire, précise Raphaël Guastavi, directeur adjoint à la direction économie circulaire de l’Agence de la transition écologique (Ademe). Lorsqu’elles croissent, elles sont souvent acquises par de grands groupes comme Veolia ou Suez, qui les transforment en filiales. »
Ce développement est principalement dû aux objectifs publics d’augmentation du recyclage. Sur le plan national, l’État a mis en place une stratégie de réduction, de recyclage et de réutilisation des déchets à travers la loi AGEC et la loi Climat-résilience.
Celles-ci prévoient notamment une réduction de 20 % des emballages plastiques à usage unique d’ici 2025 et un taux de collecte de 90 % pour les bouteilles plastiques destinées aux boissons d’ici 2029. Pour accompagner le déchet dans sa transformation en ressource, l’Union européenne a également établi des objectifs de taux de recyclage.
Pour concrétiser ces ambitions, l’État impose aux producteurs de mettre en place des filières REP – pour responsabilité élargie des producteurs – et définit des objectifs à respecter.
Ce système repose sur le principe du pollueur-payeur. En pratique, les producteurs de déchets versent une contribution financière à des entités appelées éco-organismes qui organisent le tri, la collecte et le traitement en collaboration avec les collectivités locales ou des entreprises privées. En d’autres termes : les producteurs doivent gérer la fin de vie de leurs matériaux.
C’est par exemple le cas de Citeo, l’éco-organisme chargé des déchets de papier et des emballages ménagers, dont le conseil d’administration comprend des dirigeants de Carrefour, Heineken, Danone, Henkel, etc. Alimenté chaque année à hauteur de 800 millions d’euros par des industriels, Citeo « finance 73 % des coûts bruts de référence associés aux opérations de collecte, tri et traitement des emballages ménagers ».
À l’heure actuelle, 23 filières REP existent en France et constituent donc cette industrie du recyclage. Les entreprises sont tenues par la loi de verser une contribution à une REP dès qu’elles fabriquent ou distribuent un produit concerné.
En plus du tri des déchets, la seconde source de revenu et d’activité est la transformation d’une partie des volumes récupérés en matière première de recyclage (MPR), qui sera ensuite réutilisée dans la fabrication d’un objet.
L’enjeu réside dans l’augmentation du taux d’incorporation, c’est-à-dire la proportion de MPR dans la matière totale utilisée par les industriels. En France, selon les flux, ce taux varie considérablement, principalement en raison des fluctuations de la demande pour ces MPR par rapport aux matières vierges.
La faible incorporation peut également être attribuée à la qualité du tri ou aux difficultés à séparer les flux de déchets. C’est particulièrement vrai pour les papiers graphiques, utilisés pour les prospectus, la presse ou l’édition, pour lesquels les centres de tri ont du mal à atteindre des normes de qualité.
Le plastique illustre bien les diverses difficultés auxquelles sont confrontées les filières de recyclage. Bien que son taux d’incorporation ait doublé entre 2018 et 2020, il demeure faible, en grande partie en raison de la crise énergétique provoquée par la guerre en Ukraine : cela a forcé les industriels à répercuter les coûts de collecte et de traitement sur les prix des MPR.
« Le coût de la résine de plastique recyclé a doublé en un an en 2021 à cause de l’augmentation des prix de l’énergie, perdant ainsi sa compétitivité par rapport aux résines vierges », constate Christophe Viant, président de Federec Plastiques.
Au premier semestre 2023, c’est l’effondrement du prix du baril de pétrole qui a réduit la demande en MPR car, mécaniquement, les matières vierges deviennent moins chères. « Sans débouchés fiables et constants, les opérateurs sont incapables d’écouler leurs stocks de matières et doivent ralentir la collecte des déchets en amont ainsi que leur valorisation », ajoute Christophe Viant.
Enfin, le cadre réglementaire concernant les plastiques destinés à l’usage alimentaire est très strict et renforce les exigences des industriels sur la qualité de la MPR. Par exemple, le polystyrène provenant des pots de yaourt n’est pas autorisé à revenir dans le circuit des emballages alimentaires et est désormais transformé en pots de fleurs ou en cintres.
Cependant, cette situation pourrait évoluer grâce aux innovations technologiques et à une réglementation imposant aux industriels des taux minimums d’incorporation. Les premières obligations à cet égard devraient entrer en vigueur le 1er janvier prochain.
Actuellement, seules les résines de PET transparent utilisées pour les bouteilles d’eau peuvent être réintégrées dans le circuit alimentaire. « Certaines résines n’ont pas encore de filière de recyclage pour usage alimentaire comme le polystyrène des pots de yaourt, les emballages composites ou le PET opaque contenant des additifs », rappelle Raphaël Guastavi.
Entre 2020 et 2022, l’État a ainsi affecté 226 millions d’euros de subventions dans le cadre de France Relance à de nouvelles solutions technologiques. Parmi celles-ci, le recyclage chimique se révèle particulièrement prometteur. Son principe consiste à modifier la structure des matériaux par des réactions qui séparent tous ses composants.
Désormais prête pour l’industrialisation, cette solution propose une alternative au recyclage mécanique, lequel ne peut que broyer certains types de plastique déjà purifiés. L’organisation Plastic Europe estime que 7,2 milliards d’euros d’investissements sont annoncés en Europe d’ici 2030 dans cette technologie.
Cependant, cette technologie fait débat. Au-delà des préoccupations soulevées par l’Agence européenne des produits chimiques concernant la fiabilité sanitaire, Polyvia (Union des transformateurs de polymères) soulève aussi des interrogations :
« Si ces technologies sont à présent développées pour traiter des déchets plastiques difficiles ou impossibles à recycler par une méthode mécanique, quel sera le véritable avenir de leurs approvisionnements ? Les réglementations adoptées ou envisagées aux quatre coins du monde visent en effet à éliminer de tels déchets. Vers quelles destinations – et surtout vers quels types de déchets plastiques – les acteurs du recyclage chimique se tourneront-ils à l’avenir ? »
Le développement de cette industrie fait face à un dilemme persistant : pour construire d’importantes capacités de recyclage, il faut continuer à générer un volume de déchets… « Y aura-t-il suffisamment de déchets plastiques pour alimenter toute la chaîne de recyclage, qu’elle soit mécanique ou chimique, dans quelques décennies ? », s’interroge Polyvia.
Cependant, cette inquiétude doit être nuancée, car selon les prévisions de Plastic Europe, la production de plastique devrait tripler d’ici 2050. Mais Christophe Viant estime que si toutes les mesures de prévention sont appliquées, ce volume ne sera « que » doublé :
« Il reste encore des gisements à exploiter. La question pour les entreprises est de savoir s’il est économiquement viable de collecter tous ces volumes supplémentaires. Le recyclage chimique ne pourra véritablement se développer que si les entreprises sécurisent leurs stocks et que le marché offre des débouchés pour les matériaux recyclés. »
En réalité, les industriels ainsi que les pouvoirs publics investissent massivement dans le recyclage, et la valeur des déchets est en constante progression. En 2021, la balance commerciale française du secteur, c’est-à-dire la différence entre les exportations et importations de déchets et de MPR, a enregistré un excédent de 4,9 milliards d’euros.
Alors que le volume des exportations doublait entre 1999 et 2021, leur valeur marchande a été multipliée par 5, indiquant qu’un même déchet a désormais plus de valeur. 84 % de ces échanges se font entre pays européens, et devraient encore augmenter avec la création de nouvelles capacités de recyclage et le refus de certains pays asiatiques de recevoir des déchets plastiques.
Au-delà de leur valeur économique, certains déchets sont devenus de véritables ressources stratégiques. Le Plan de relance prévoit ainsi, concernant les métaux critiques, un volet sur le recyclage des batteries au lithium et des déchets électroniques.
Avec ses nombreux projets industriels, le recyclage pourrait incarner l’exemple parfait de la « croissance verte » prônée par le président Emmanuel Macron.
« Le problème de la réindustrialisation réside dans le fait que l’industrie manufacturière n’existe plus en France, tempère toutefois Manuel Burnand, directeur général de la Federec. Le prix de l’énergie, le coût de la main-d’œuvre, ainsi que les contraintes réglementaires et environnementales demeurent des obstacles à la relocalisation des industries. »
« Le monde du recyclage est en équilibre entre l’amont qui permet de capter un déchet correctement trié et un marché en aval qui le réintègre », conclut Jean-Marc Boursier. Extraire et fabriquer en France en assumant les coûts sociaux et environnementaux, voilà un enjeu qui dépasse le simple cadre de l’industrie du recyclage.
« La crise climatique entraîne une crise sanitaire. » C’est ainsi que s’exprime Tedros Adhanom Ghebreyesus, le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Chaque année, depuis huit ans, cette agence des Nations unies élabore, en collaboration avec de nombreuses institutions internationales et académiques, un rapport phare sur les conséquences sanitaires du réchauffement climatique : le Lancet Countdown, qui est publié dans le Lancet, la réputée revue scientifique britannique.
Le rapport de sa huitième édition, écrit par 122 experts sous l’égide de l’Institute for Global Health du University College de Londres et rendu public le 30 octobre, met en garde contre les « menaces sans précédent » que la montée des températures représente pour la santé humaine :
« Des 15 indicateurs qui mesurent les menaces, les expositions et les impacts liés à la santé dus aux changements climatiques, 10 ont atteint des niveaux alarmants au cours de la dernière année de collecte de données. »
Cette édition 2024 est d’autant plus significative – et préoccupante – que l’année 2023 a été la plus chaude jamais enregistrée. Avec des répercussions tragiques sur la santé des individus. Le rapport indique qu’en moyenne, les personnes ont expérimenté 50 jours avec des températures nuisibles pour la santé qu’elles n’auraient pas connues sans le réchauffement climatique.
Les vagues de chaleur touchent en premier lieu les groupes les plus exposés, notamment les nourrissons et les personnes âgées.
« En 2023, les décès dus à la chaleur parmi les personnes de plus de 65 ans ont atteint des niveaux record (167 %) par rapport aux données des années 1990. C’est bien au-delà de l’augmentation de 65 % anticipée sans changement de température (en tenant uniquement compte de l’évolution démographique) », précise le rapport.
Le graphique ci-dessous illustre que la fréquence des vagues de chaleur touchant ces deux groupes augmente dans toutes les nations, indépendamment de leur développement – évalué ici à travers l’indicateur de développement humain (IDH), qui prend en compte les revenus, le niveau d’éducation et l’espérance de vie.
Également, même si ces vagues de chaleur affectent moins directement les populations moins vulnérables, elles entraînent des problèmes de santé. Elles privent notamment des centaines de millions de travailleurs de leur emploi. En 2023, 512 milliards d’heures de travail ont été perdues à l’échelle mondiale à cause du réchauffement climatique – un autre record – soit 49 % de plus que la moyenne annuelle de 1990 à 1999.
Ce phénomène touche particulièrement les pays à faible IDH (comme le Pakistan, le Nigeria et l’Éthiopie) ou à IDH moyen (comme le Bangladesh, l’Inde ou les Philippines). D’autant plus que la majorité de ces heures perdues proviennent du secteur agricole, prédominant dans les pays moins développés, bien que les secteurs de la construction et des services soient également de plus en plus affectés.
Ces heures de travail perdues engendrent des répercussions sur la santé, avec une perte de revenu global estimée à 835 milliards de dollars américains en 2023, générant ainsi une pression supplémentaire sur les dépenses de santé.
Pour les pays à faible revenu, ces pertes représentent en moyenne 7,6 % du PIB, tandis que pour les pays à revenus intermédiaires, ce chiffre est de 4,4 %, selon le rapport. Mais ce n’est pas tout.
« L’exposition à la chaleur influence également de plus en plus l’activité physique et la qualité du sommeil, ce qui a des conséquences sur la santé physique et mentale », rapporte le Lancet Countdown.
Les chercheurs ont ainsi constaté qu’en 2023, les individus pratiquant une activité physique en extérieur ont subi un stress thermique (modéré ou plus) pendant 27,7 % d’heures supplémentaires par rapport à la moyenne des années 1990. De plus, les températures élevées ont provoqué une réduction de 6 % des heures de sommeil comparé à la moyenne de 1986-2005. Un autre record.
Au-delà des effets directs de la chaleur sur le corps humain, le réchauffement climatique engendre de nombreuses conséquences indirectes sur la santé, car il intensifie la fréquence et la gravité des phénomènes météorologiques extrêmes. Cela inclut les pluies, en France et ailleurs dans le monde.
« Durant la dernière décennie (2014-2023), 61 % des terres émergées ont connu une montée des événements de précipitations extrêmes par rapport à la moyenne de 1961 à 1990, augmentant le risque d’inondations, de maladies infectieuses et de contamination de l’eau », précise le rapport.
Il en va de même pour les incendies de forêt : dans la majorité des pays, indépendamment de leur IDH, le nombre de jours présentant un risque d’incendie augmente. Géographiquement, seules l’Asie du Sud-Est et l’Océanie constatent une stagnation ou une légère diminution de ce risque.
Concernant les sécheresses extrêmes, elles ont été relevées sur 48 % des terres en 2023 pendant au moins un mois, atteignant le deuxième niveau le plus élevé jamais enregistré, avec des répercussions sanitaires alarmantes.
Le Lancet Countdown souligne que « la hausse de la fréquence des vagues de chaleur et des sécheresses est associée aux 151 millions de personnes supplémentaires souffrant d’insécurité alimentaire modérée à sévère par rapport à la moyenne annuelle entre 1981 et 2010 ».
Un autre effet des sécheresses, moins connu, est reconnu sérieusement par les chercheurs : l’augmentation des températures et la multiplication des sécheresses provoquent des tempêtes de sable et de poussière nuisibles pour la santé. Cela a entraîné une augmentation de 31 % du nombre de personnes exposées à des niveaux dangereux de particules fines entre 2003-2007 et 2018-2022.
Le type d’effet final, mais non des moindres, du réchauffement climatique sur la santé, est qu’il favorise la propagation de maladies en stimulant certains pathogènes et leurs vecteurs, en particulier les moustiques. Prenons le cas de la dengue, qui peut, selon les années, hospitaliser des centaines de milliers de personnes et causer entre 10 000 et 20 000 décès (y compris en France).
Alors que le chiffre des cas n’a jamais été aussi élevé – 5 millions en 2023 –, le rapport estime que le risque de transmission de la dengue par certaines espèces de moustiques (Aedes albopictus) a augmenté de 46 % entre 1951-1960 et la dernière décennie.
Plus redoutable encore, le paludisme, qui cause des centaines de milliers de décès annuels, connaît aussi des conditions de diffusion plus favorables en raison du réchauffement climatique.
Le Lancet Countdown ne se limite pas à faire un inventaire des risques sanitaires liés au réchauffement. Ses auteurs avancent également des critiques à l’égard des « gouvernements et entreprises [qui] continuent d’attiser le feu en poursuivant les investissements dans les énergies fossiles ».
Ils rappellent que 36,6 % des investissements dans l’énergie en 2023 ont été alloués au charbon, au pétrole et au gaz, et que la majorité des pays analysés (72 sur 84) ont subventionné ces énergies fossiles, pour un montant total de 1 400 milliards de dollars en 2022. Dans 47 de ces pays, ces subventions dépassent 10 % des dépenses de santé, et dans 23 pays, elles excèdent 100 %.
Malgré quelques nouvelles encourageantes, telles que la diminution des décès causés par la pollution de l’air liée aux énergies fossiles ou la montée des investissements dans les énergies renouvelables, le constat demeure sombre. « Un avenir sain s’éloigne chaque jour un peu plus », résume Marina Romanello, la directrice du Lancet Countdown.
UbuesqueUbuesque. Les débats concernant les revenus du projet de loi de finances 2025, dont la majorité des amendements ont été analysés entre le lundi 21 et le samedi 26 octobre, ont pris un tournant inattendu à la fin de la semaine. Après avoir rapidement réalisé qu’ils seraient en minorité sur plusieurs questions, les députés macronistes ont choisi de se présenter en très petit nombre aux discussions, laissant ainsi le champ libre au Nouveau Front populaire (NFP) pour faire passer ses amendements.
Il y a un peu plus de quatre ans, à l’arrivée au pouvoir du président, la situation était unique : son prédécesseur Donald Trump, ferme opposant à l’écologie, avait déployé une énergie importante pour réduire les réglementations environnementales et affaiblir les pouvoirs fédéraux dans ce domaine.
Après avoir retiré les Etats-Unis de l’accord de Paris, seulement six mois après le début de son mandat, l’administration républicaine avait méthodiquement abrogé et affaibli plus d’une centaine de normes environnementales, arguant qu’elles nuisaient à la compétitivité économique des États-Unis.
S’alignant sur une politique de la terre brûlée, l’administration Trump s’était non seulement désengagée des discussions multilatérales, mais avait également tenté d’affaiblir les compétences de l’exécutif en matière climatique et environnementale, en supprimant des postes essentiels ou en les laissant vacants intentionnellement.
Les espoirs placés dans le nouveau président démocrate étaient donc immenses avant même son accession au pouvoir. L’administration Biden devait redresser les inégalités du mandat précédent et replacer les Etats-Unis sur une voie d’émissions conforme à ses engagements internationaux. Cependant, son objectif réel était d’affirmer le leadership américain dans la transition énergétique.
Ainsi, dès janvier 2021, un souffle de renouveau s’est installé aux Etats-Unis, avec la formation d’une équipe gouvernementale compétente et déterminée, et une volonté claire de faire de la transition écologique une priorité tant politique que législative.
Dès son entrée au bureau ovale, Joe Biden a confirmé le retour des Etats-Unis dans l’accord de Paris sur le climat. Ensuite, contournant la vision républicaine, le président démocrate a choisi de faire de la transition énergétique un axe à la fois transversal et fondamental de sa politique économique, montrant que cela engendrerait croissance et emplois, tout en améliorant la compétitivité américaine face à la Chine et à l’Europe.
Son administration s’est ainsi engagée dans deux législations phares : une loi sur l’investissement dans les infrastructures et l’emploi adoptée en novembre 2021, suivie de la loi sur la réduction de l’inflation (IRA) qui a été finalisée en août 2022.
Cependant, l’euphorie verte des débuts a été de courte durée, et les partisans d’une action climatiquement forte ont rapidement déchanté face aux obstacles politiques, notamment au sein du camp démocrate, en raison d’un système politique défaillant.
Après avoir proposé un plan législatif – Build Back Better – pour reconstruire une Amérique durable post-Covid, avec plus de 1 700 milliards de dollars dédiés à des projets d’infrastructures durables et à la transition énergétique, l’administration Biden s’est trouvée bloquée par son sénateur le plus centriste, Joe Manchin, dont le soutien était indispensable pour tout progrès législatif.
Manchin, sénateur de Virginie-Occidentale, un État charbonnier et parmi les plus pauvres des Etats-Unis, est un ancien lobbyiste de l’industrie du charbon. À lui seul, il a engagé un bras de fer avec l’administration, la maintenant en échec jusqu’à réduire considérablement l’ampleur des propositions législatives.
Bien que la Chambre des représentants ait voté un ensemble de projets de loi pro-climat très ambitieux, il a finalement fallu plusieurs mois de négociations intenses pour rallier Joe Manchin et parvenir à un accord au sein des démocrates : ce sera l’IRA – Inflation Reduction Act – un ensemble d’incitations économiques et fiscales de près de 340 milliards de dollars pour accélérer la transition.
L’IRA avait deux objectifs principaux : d’abord, réduire le déficit (300 milliards de dollars), puis mettre en place des politiques climatiques et de sécurité énergétique (339 milliards de dollars) qui ont stimulé le secteur de la production d’énergie propre, et donc l’emploi associé.
Malgré des avancées inégalées sur le plan climatique et un budget sans précédent, une partie de la société civile américaine a perçu ce processus politique comme un pas en arrière, voire un échec. En réalité, les mesures ambitieuses adoptées par une Chambre des représentants dominée par les démocrates ont engendré des attentes démesurées au sein de la base démocrate.
Cependant, pour obtenir l’unanimité au sein de son camp au Sénat (condition essentielle pour faire passer chaque loi en l’absence de tout vote républicain), l’administration a dû faire de grandes concessions, en particulier en ce qui concerne les énergies fossiles, le gaz en particulier.
Ironiquement, c’est pendant le mandat de Biden que les Etats-Unis sont devenus le plus grand producteur d’hydrocarbures au monde, atteignant des niveaux de production et d’exportation sans précédent, bien que ces évolutions soient en grande partie le résultat d’investissements lancés sous l’administration Trump.
Pourtant, malgré ces obstacles, le bilan environnemental de Joe Biden est loin d’être négatif. Il a finalement réalisé plus pour l’environnement que n’importe quel autre président américain avant lui. En particulier, il a établi un cycle de financements massifs qui pourrait perdurer pendant de nombreuses années, même en cas de victoire républicaine en 2024, les États « rouges » étant les premiers à en bénéficier.
Ce succès repose sur la stratégie pragmatique adoptée par Joe Biden pour ancrer la question climatique au cœur des politiques publiques américaines : la présenter comme un atout en matière d’emploi, de compétitivité et de croissance économique.
Cette approche reflète parfaitement la vision bipartisane traditionnellement défendue par Joe Biden, mêlée à une conception classique de la croissance américaine. Contrairement à ses concurrents démocrates lors des primaires de 2020, Biden n’a pas formulé la nécessité de remodeler l’économie américaine de façon radicale pour répondre aux enjeux climatiques.
Il a rejeté une stratégie maximaliste pour un « Grand Soir vert » qui aurait exacerbé la polarisation électorale. Au contraire, il a favorisé un récit classique, consensuel et unificateur, celui d’une Amérique qui prospère en investissant dans les secteurs d’avenir pour ramener industries et emplois verts.
Cette approche étape par étape l’a valu des critiques au sein d’une partie de la société américaine, pour qui la transition écologique devrait impliquer une transformation systémique profonde. D’abord par la prise en compte des externalités négatives dues à l’utilisation des énergies fossiles, en intégrant ce coût dans leur prix via une taxe carbone ; ensuite sous l’angle de la justice environnementale, faisant de l’écologie un vecteur de justice sociale.
L’approche protectionniste adoptée par le président Biden via l’IRA a ainsi permis de mobiliser des montants colossaux pour renforcer la transition énergétique américaine et la rendre irréversible. Cependant, en initiant une guerre commerciale avec l’UE et la Chine, cette stratégie a contribué à l’augmentation des coûts des technologies à faibles émissions de carbone, faisant grimper l’inflation et limitant l’accès à ces technologies, en particulier pour les ménages modestes.
Cependant, cette approche « middle of the road » a permis à Biden de naviguer dans un paysage politique tumultueux et de parvenir à intégrer la transition énergétique dans le tissu économique et industriel américain, notamment dans certains États républicains.
Quel en sera le résultat après les élections de la semaine prochaine ? Quelles attentes pour l’avenir ?
Les antécédents de Donald Trump sont bien connus : en plus des nombreuses réglementations environnementales abrogées et de l’assouplissement de plusieurs normes, reculant ainsi les protections contre la pollution de l’eau, il a permis la construction du célèbre Dakota Access Pipeline et a supprimé des financements, y compris les versements au Fonds vert pour le climat…
Un second mandat serait sans aucun doute dans la continuité, mais en accentuant les mesures, comme le signale le « Project 2025 » préparé par la très conservatrice Heritage Foundation, servant de feuille de route pour une future administration républicaine.
Du côté démocrate, Kamala Harris affiche un bilan environnemental solide. En tant que procureure générale de Californie, elle s’était opposée à la fracturation hydraulique offshore et avait mené une enquête pour déterminer si les mensonges d’Exxon Mobil à ses actionnaires et au public concernant les risques liés au changement climatique relevaient de la fraude boursière.
Elle a également infligé des amendes à des géants des hydrocarbures tels que Chevron et BP pour non-respect des lois sur la pollution. En tant que sénatrice, Harris avait co-parrainé le Green New Deal et proposé une législation sur l’équité climatique qu’elle a coécrite avec Alexandria Ocasio-Cortez, une représentante très progressiste.
Lors de sa campagne de 2020, elle avait même appelé publiquement à interdire la fracturation hydraulique, une position qui contraste avec ses récentes déclarations sur le sujet, suscitant des préoccupations chez certains progressistes.
En fait, les sujets environnementaux et climatiques sont complètement absents des débats récents, jugés trop clivants, ce qui incite à abandonner cette vision progressiste dans une élection aussi disputée.
Cela ne fait cependant pas craindre la gauche américaine, paralysée par l’idée d’un second mandat de Trump et convaincue que Kamala Harris et son coéquipier Tim Walz continueront sur la lancée de Joe Biden et agiront pour le climat comme ils l’ont déjà prouvé.
Il est néanmoins envisageable que, même en cas de victoire du duo Harris-Walz, les républicains gardent leur majorité à la Chambre des représentants et prennent le contrôle du Sénat, obligeant la nouvelle présidente à collaborer avec ses opposants pour répondre aux attentes des Américains inquiets des conséquences du changement climatique.
Au cours des quatre dernières années, la position idéologique de Donald Trump et du parti républicain est restée constante, prônant un revirement total par rapport aux années Biden. Toutefois, rien ne garantit qu’une administration ou un congrès à majorité républicaine s’en prendra aux fondements établis par le président Biden.
Le choix de Joe Biden de faire de la transition énergétique un pilier de la croissance économique – sans polluer ce discours avec des signaux culturels ou idéologiques polarisants – pourrait finalement porter ses fruits. En positionnant les Etats-Unis comme leaders mondiaux des technologies vertes, le président Biden a élevé ce secteur au rang de fleuron incontestable et apolitique de l’économie américaine, tout comme l’agriculture ou l’industrie automobile l’ont été par le passé.
David Levaï est chercheur associé à l’IDDRI et à la Fondation des Nations unies
Canning Malkin est coordinatrice de la recherche à la Fondation Iswe
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