En 2023, les pauvres ont été appauvris et les riches enrichis par le gouvernement
Prélever 300 euros aux moins favorisés pour en faire bénéficier les plus aisés : tel est, en quelques mots, l’impact des décisions sociales et fiscales adoptées par le gouvernement en 2023, d’après un rapport dévoilé hier par l’Insee. Durant cette année, deux types de politiques publiques ont infléchi le niveau de vie des Français : d’une part, l’arrêt des aides exceptionnelles de pouvoir d’achat en 2022, qui a touché les moins privilégiés ; et d’autre part, l’ultime étape de la suppression de la taxe d’habitation, qui a favorisé les ménages les plus riches.
Globalement, les choix opérés sous l’égide d’Elisabeth Borne (Première ministre de mai 2022 à janvier 2024) ont fait reculer le revenu disponible des ménages de 2,2 milliards d’euros. Si l’on compare avec une situation où ces décisions n’auraient pas été appliquées, cela équivaut à une diminution moyenne de 0,2 % du niveau de vie, soit 50 euros en moins par individu sur l’année.
Cependant, cet effet n’est pas uniformément réparti. La politique sociale et fiscale du gouvernement a généré 19 millions de perdants, soit deux ménages sur trois, contre 5,7 millions de gagnants. Ainsi, 70 % des Français les moins fortunés figurent parmi les victimes de ces mesures. Mais c’est le 1er décile de niveau de vie (les 10 % les plus pauvres) qui a été le plus durement touché : en moyenne, une perte de 290 euros annuels par personne, représentant un recul de 2,7 % de leur niveau de vie.
« 290 euros en moins chaque année, c’est dramatique, cela peut précipiter bien des individus », déclare Marie-Aleth Grard, présidente d’ATD Quart Monde.
Dans le détail, c’est l’absence en 2023 de la revalorisation anticipée des minima sociaux, accordée en 2022, qui a le plus pesé sur le budget des plus modestes (- 2,2 milliards d’euros). Il en va de même pour la fin de l’indemnité inflation, introduite en 2021 pour une durée de deux ans et non prolongée en 2023. Cette décision a engendré un manque significatif dans le revenu disponible des Français (- 1,8 milliard).
Exit également le doublement du chèque énergie en 2022 par rapport à 2021 et l’attribution d’un chèque exceptionnel de 100 euros aux foyers modestes non éligibles à cette aide. Ces deux dispositions n’ont pas été reconduites en 2023 (- 1,3 milliard) et ont majoritairement affecté les 20 % les plus défavorisés. On peut aussi citer l’abandon de l’allocation exceptionnelle de rentrée scolaire (- 1,1 milliard) et l’absence de hausse anticipée des bourses secondaires (20 millions).
Bien sûr, ces soutiens avaient été annoncés comme temporaires lors de leur adoption. Il est donc délicat de reprocher leur mise en œuvre au gouvernement : « Ces mesures étaient indispensables en 2022, contribuant à limiter la montée de la pauvreté à ce moment-là, modère Manuel Domergue, directeur des études à la Fondation Abbé Pierre. Mais étant donné la persistance de l’inflation en 2023, leur prolongation aurait été légitime tant qu’elles restaient utiles. » Une autre analyse de l’Insee rappelle que l’inflation s’élevait encore à 4,9 % en moyenne annuelle en 2023, seulement 0,4 point de moins qu’en 2022. Et l’organisme précise : « l’ampleur du choc a été deux fois plus importante pour les 20 % les plus modestes, déjà soumis aux contraintes économiques les plus élevées, que pour les 20 % les plus riches. » Entre 2022 et 2023, l’inflation a rogné 7,1 % du pouvoir d’achat du premier décile contre 3,1 % pour le dernier. De quoi justifier la nécessité d’un ciblage mieux ajusté en faveur des plus vulnérables. « Mais 2023 n’était pas une année présidentielle, contrairement à 2022 …», nuance Manuel Domergue.
« Ensemble, nous sommes parvenus à surmonter les crises sanitaire et inflationniste, estime Pascal Brice, président de la Fédération des acteurs de la solidarité. Mais le quoi qu’il en coûte a manqué de discernement, et la suppression des mesures exceptionnelles se fait dans la confusion, en sacrifiant les plus fragiles qui en paient le prix fort. »
Petit lot de consolation : la prime de Noël destinée aux familles monoparentales au RSA a été augmentée de 35 % en 2023, ce qui représente un gain moyen de 10 euros pour les plus modestes. Cependant, cette initiative est jugée insuffisante par Marie-Aleth Grard :
« On ne peut répondre à ces problématiques par des mesures ponctuelles et précaires, qui inquiètent les personnes et bloquent toute projection à long terme. Ce sont des palliatifs dérisoires. Il faudrait une réelle revalorisation du RSA pour permettre aux plus précaires de retrouver une autonomie et s’insérer durablement. »
Champagne pour les plus riches
À l’opposé, les ménages les plus aisés n’ont guère de quoi se plaindre. Pour les 30 % les mieux nantis, les réformes sociales et fiscales de 2023 ont eu des effets tangibles : + 60 euros en moyenne pour le 8e décile et 280 euros pour le dernier décile. En particulier, la suppression finale de la taxe d’habitation a été un gain significatif : + 300 euros pour le dernier décile.
« On se demande vraiment qui sont les assistés, s’interroge Marie-Aleth Grard. C’est d’autant plus absurde que cela n’impacte pas leur quotidien et leur semble probablement risible, alors que de tels montants pourraient offrir un peu de stabilité aux plus démunis. »
La déconjugalisation de l’allocation adulte handicapé (AAH) a également contribué à creuser les inégalités, car cette réforme a pénalisé certains bénéficiaires parmi les moins favorisés, notamment ceux en couple avec une personne ayant des revenus plus faibles.
En conclusion, « les mesures sociales et fiscales de 2023 ont amplifié les inégalités », affirme l’Insee. Tous les indicateurs habituels en attestent : l’indice de Gini, le rapport interdécile ou encore la répartition entre les niveaux de vie détenus par les 20 % les plus riches et ceux des 20 % les plus modestes, tous orientés à la hausse.
Sans compter l’augmentation de 0,6 point du taux de pauvreté monétaire consécutive à l’arrêt des mesures exceptionnelles de 2022. Et il est peu plausible que les choix politiques de 2024 aient corrigé le tir…