L’influence de Sedona Prince
La joueuse de basketball a été au cœur de la lutte pour mettre fin à l’amateurisme et améliorer l’équité entre les genres dans la N.C.A.A., et son histoire souligne la façon dont le sport universitaire évolue.
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Dominique Morisseau médite sur l’identité et sur les possibilités du langage dans sa nouvelle pièce, qui se déroule en Haïti.
Moins de cinq jours avant le jour des élections aux États-Unis, la plupart des gens ne peuvent s’empêcher de consulter les nouvelles—ou TikTok ou X—mais ce qu’ils voient peut aggraver leur anxiété. Il y a une raison à cela.
Des opérateurs en ligne sans scrupules diffusent des mensonges toxiques pour promouvoir des escroqueries au bitcoin et vendre des t-shirts MAGA aux utilisateurs de Facebook à l’approche de l’élection présidentielle américaine.
Une série de défis juridiques pourrait radicalement désarmer le Conseil national des relations du travail—et d’autres agences administratives—peu importe qui contrôle le Congrès ou la Maison Blanche.
Les jouets, les produits pharmaceutiques et les cosmétiques sont soupçonnés d’être parmi les produits non conformes disponibles pour les 90 millions d’utilisateurs européens de la plateforme de shopping chinoise.
Lorsqu’il s’agit de parler du tri des déchets en France, certaines opinions reviennent fréquemment : « Cela n’a aucune utilité », « Tout finit mélangé », « C’est envoyé et enfoui ailleurs »… En 2022, 59 % de nos compatriotes estimait que le recyclage était « un geste minime sans impact écologique véritable ».
Cependant, selon les industriels, le tri représenterait le « premier acte éco-responsable », et le recyclage un secteur industriel en plein essor. Les quantités recyclées augmentent en effet de manière continue et alimentent une industrie en expansion.
L’entreprise américaine Eastman développe en Normandie ce qu’elle appelle « la plus grande usine de recyclage de plastique au monde », capable de traiter 160 000 tonnes de déchets polyester chaque année. Située au bord de la Seine à quelques dizaines de kilomètres du Havre, à proximité d’importants axes de transport, elle pourra recevoir les déchets des grandes métropoles européennes.
Ce projet, qui s’élève à 2 milliards d’euros, attire l’attention de LVMH, Estée Lauder, L’Oréal ou Danone, qui cherchent à se procurer du plastique recyclé. TotalEnergies a, de son côté, investi 500 millions d’euros dans la transformation de sa raffinerie de Grandpuits (Seine-et-Marne) pour produire du biocarburant et du plastique recyclé en collaboration avec Paprec et l’espagnol Plastic Energy.
Suez est également de la partie, s’associant avec le canadien Loop Industries pour investir 250 millions d’euros dans une usine de recyclage de polytéréphtalate d’éthylène (PET) en Moselle. Ce plastique, l’un des plus courants, est fabriqué à partir de pétrole et fait l’objet d’investissements visant à améliorer ses capacités de recyclage.
On peut également mentionner la société française Axens et le japonais Toray, qui ont pour projet de construire une usine dans l’Ain pour recycler 30 000 tonnes de PET par an. Quel est donc ce secteur, présenté comme respectueux de l’environnement, vers lequel se dirigent nos déchets ?
Ce secteur économique a acquis une certaine ampleur. L’industrie du recyclage emploie 34 400 personnes en France et a généré en 2022 un chiffre d’affaires de 11,6 milliards d’euros, soit une augmentation de 7,7 % par rapport à l’année précédente, grâce à la vente de 39,8 millions de tonnes de matières premières issues du recyclage.
La Fédération professionnelle des entreprises du recyclage (Federec) regroupe 1 200 membres, dont deux tiers sont des PME et TPE. S’ajoutent à cela des start-up et des bureaux d’études.
« Les entreprises de ce secteur sont généralement des PME dispersées sur tout le territoire, précise Raphaël Guastavi, directeur adjoint à la direction économie circulaire de l’Agence de la transition écologique (Ademe). Lorsqu’elles croissent, elles sont souvent acquises par de grands groupes comme Veolia ou Suez, qui les transforment en filiales. »
Ce développement est principalement dû aux objectifs publics d’augmentation du recyclage. Sur le plan national, l’État a mis en place une stratégie de réduction, de recyclage et de réutilisation des déchets à travers la loi AGEC et la loi Climat-résilience.
Celles-ci prévoient notamment une réduction de 20 % des emballages plastiques à usage unique d’ici 2025 et un taux de collecte de 90 % pour les bouteilles plastiques destinées aux boissons d’ici 2029. Pour accompagner le déchet dans sa transformation en ressource, l’Union européenne a également établi des objectifs de taux de recyclage.
Pour concrétiser ces ambitions, l’État impose aux producteurs de mettre en place des filières REP – pour responsabilité élargie des producteurs – et définit des objectifs à respecter.
Ce système repose sur le principe du pollueur-payeur. En pratique, les producteurs de déchets versent une contribution financière à des entités appelées éco-organismes qui organisent le tri, la collecte et le traitement en collaboration avec les collectivités locales ou des entreprises privées. En d’autres termes : les producteurs doivent gérer la fin de vie de leurs matériaux.
C’est par exemple le cas de Citeo, l’éco-organisme chargé des déchets de papier et des emballages ménagers, dont le conseil d’administration comprend des dirigeants de Carrefour, Heineken, Danone, Henkel, etc. Alimenté chaque année à hauteur de 800 millions d’euros par des industriels, Citeo « finance 73 % des coûts bruts de référence associés aux opérations de collecte, tri et traitement des emballages ménagers ».
À l’heure actuelle, 23 filières REP existent en France et constituent donc cette industrie du recyclage. Les entreprises sont tenues par la loi de verser une contribution à une REP dès qu’elles fabriquent ou distribuent un produit concerné.
En plus du tri des déchets, la seconde source de revenu et d’activité est la transformation d’une partie des volumes récupérés en matière première de recyclage (MPR), qui sera ensuite réutilisée dans la fabrication d’un objet.
L’enjeu réside dans l’augmentation du taux d’incorporation, c’est-à-dire la proportion de MPR dans la matière totale utilisée par les industriels. En France, selon les flux, ce taux varie considérablement, principalement en raison des fluctuations de la demande pour ces MPR par rapport aux matières vierges.
La faible incorporation peut également être attribuée à la qualité du tri ou aux difficultés à séparer les flux de déchets. C’est particulièrement vrai pour les papiers graphiques, utilisés pour les prospectus, la presse ou l’édition, pour lesquels les centres de tri ont du mal à atteindre des normes de qualité.
Le plastique illustre bien les diverses difficultés auxquelles sont confrontées les filières de recyclage. Bien que son taux d’incorporation ait doublé entre 2018 et 2020, il demeure faible, en grande partie en raison de la crise énergétique provoquée par la guerre en Ukraine : cela a forcé les industriels à répercuter les coûts de collecte et de traitement sur les prix des MPR.
« Le coût de la résine de plastique recyclé a doublé en un an en 2021 à cause de l’augmentation des prix de l’énergie, perdant ainsi sa compétitivité par rapport aux résines vierges », constate Christophe Viant, président de Federec Plastiques.
Au premier semestre 2023, c’est l’effondrement du prix du baril de pétrole qui a réduit la demande en MPR car, mécaniquement, les matières vierges deviennent moins chères. « Sans débouchés fiables et constants, les opérateurs sont incapables d’écouler leurs stocks de matières et doivent ralentir la collecte des déchets en amont ainsi que leur valorisation », ajoute Christophe Viant.
Enfin, le cadre réglementaire concernant les plastiques destinés à l’usage alimentaire est très strict et renforce les exigences des industriels sur la qualité de la MPR. Par exemple, le polystyrène provenant des pots de yaourt n’est pas autorisé à revenir dans le circuit des emballages alimentaires et est désormais transformé en pots de fleurs ou en cintres.
Cependant, cette situation pourrait évoluer grâce aux innovations technologiques et à une réglementation imposant aux industriels des taux minimums d’incorporation. Les premières obligations à cet égard devraient entrer en vigueur le 1er janvier prochain.
Actuellement, seules les résines de PET transparent utilisées pour les bouteilles d’eau peuvent être réintégrées dans le circuit alimentaire. « Certaines résines n’ont pas encore de filière de recyclage pour usage alimentaire comme le polystyrène des pots de yaourt, les emballages composites ou le PET opaque contenant des additifs », rappelle Raphaël Guastavi.
Entre 2020 et 2022, l’État a ainsi affecté 226 millions d’euros de subventions dans le cadre de France Relance à de nouvelles solutions technologiques. Parmi celles-ci, le recyclage chimique se révèle particulièrement prometteur. Son principe consiste à modifier la structure des matériaux par des réactions qui séparent tous ses composants.
Désormais prête pour l’industrialisation, cette solution propose une alternative au recyclage mécanique, lequel ne peut que broyer certains types de plastique déjà purifiés. L’organisation Plastic Europe estime que 7,2 milliards d’euros d’investissements sont annoncés en Europe d’ici 2030 dans cette technologie.
Cependant, cette technologie fait débat. Au-delà des préoccupations soulevées par l’Agence européenne des produits chimiques concernant la fiabilité sanitaire, Polyvia (Union des transformateurs de polymères) soulève aussi des interrogations :
« Si ces technologies sont à présent développées pour traiter des déchets plastiques difficiles ou impossibles à recycler par une méthode mécanique, quel sera le véritable avenir de leurs approvisionnements ? Les réglementations adoptées ou envisagées aux quatre coins du monde visent en effet à éliminer de tels déchets. Vers quelles destinations – et surtout vers quels types de déchets plastiques – les acteurs du recyclage chimique se tourneront-ils à l’avenir ? »
Le développement de cette industrie fait face à un dilemme persistant : pour construire d’importantes capacités de recyclage, il faut continuer à générer un volume de déchets… « Y aura-t-il suffisamment de déchets plastiques pour alimenter toute la chaîne de recyclage, qu’elle soit mécanique ou chimique, dans quelques décennies ? », s’interroge Polyvia.
Cependant, cette inquiétude doit être nuancée, car selon les prévisions de Plastic Europe, la production de plastique devrait tripler d’ici 2050. Mais Christophe Viant estime que si toutes les mesures de prévention sont appliquées, ce volume ne sera « que » doublé :
« Il reste encore des gisements à exploiter. La question pour les entreprises est de savoir s’il est économiquement viable de collecter tous ces volumes supplémentaires. Le recyclage chimique ne pourra véritablement se développer que si les entreprises sécurisent leurs stocks et que le marché offre des débouchés pour les matériaux recyclés. »
En réalité, les industriels ainsi que les pouvoirs publics investissent massivement dans le recyclage, et la valeur des déchets est en constante progression. En 2021, la balance commerciale française du secteur, c’est-à-dire la différence entre les exportations et importations de déchets et de MPR, a enregistré un excédent de 4,9 milliards d’euros.
Alors que le volume des exportations doublait entre 1999 et 2021, leur valeur marchande a été multipliée par 5, indiquant qu’un même déchet a désormais plus de valeur. 84 % de ces échanges se font entre pays européens, et devraient encore augmenter avec la création de nouvelles capacités de recyclage et le refus de certains pays asiatiques de recevoir des déchets plastiques.
Au-delà de leur valeur économique, certains déchets sont devenus de véritables ressources stratégiques. Le Plan de relance prévoit ainsi, concernant les métaux critiques, un volet sur le recyclage des batteries au lithium et des déchets électroniques.
Avec ses nombreux projets industriels, le recyclage pourrait incarner l’exemple parfait de la « croissance verte » prônée par le président Emmanuel Macron.
« Le problème de la réindustrialisation réside dans le fait que l’industrie manufacturière n’existe plus en France, tempère toutefois Manuel Burnand, directeur général de la Federec. Le prix de l’énergie, le coût de la main-d’œuvre, ainsi que les contraintes réglementaires et environnementales demeurent des obstacles à la relocalisation des industries. »
« Le monde du recyclage est en équilibre entre l’amont qui permet de capter un déchet correctement trié et un marché en aval qui le réintègre », conclut Jean-Marc Boursier. Extraire et fabriquer en France en assumant les coûts sociaux et environnementaux, voilà un enjeu qui dépasse le simple cadre de l’industrie du recyclage.
Les troubles liés au commerce international vont-ils s’intensifier suite à l’élection présidentielle américaine du 5 novembre prochain ? Donald Trump annonce pour sa part une intensification de la guerre commerciale. Le candidat républicain envisage d’augmenter de 10 points de pourcentage les tarifs douaniers sur tous les produits importés, et de 60 points pour ceux en provenance de Chine.
Cette hausse est significative, sachant que le droit de douane moyen mondial s’établit à 3,9 %. Aux États-Unis, il est même légèrement inférieur, à 3 %. Si le candidat l’emporte, ce durcissement du protectionnisme américain modifierait considérablement les échanges et l’équilibre du commerce international.
Est-ce un point de divergence majeur entre Kamala Harris et Donald Trump ? La candidate démocrate est relativement discrète sur ce sujet et suit globalement les traces de Joe Biden. Durant son mandat, celui-ci n’a guère dévié de l’héritage laissé par Donald Trump, qui avait lancé une guerre commerciale dès 2017, en particulier avec la Chine.
En augmentant les droits de douane sur divers produits stratégiques, le candidat républicain visait à la fois à contrer les déséquilibres commerciaux mondiaux et à réduire le déficit commercial des États-Unis, qui dépendent fortement de l’étranger pour l’approvisionnement en biens.
Il cherchait aussi à réindustrialiser le pays après une période où la part de l’industrie dans l’économie américaine a chuté de 21 % du PIB en 1980 à 10 % aujourd’hui.
« La désindustrialisation des États-Unis résulte en partie des stratégies des entreprises nationales qui, dès les années 1980, ont développé des chaînes de valeur mondiales, en divisant leur processus de production en plusieurs étapes et en externalisant les étapes moins rentables, ce qui a finalement permis d’augmenter la rentabilité des entreprises américaines axées sur l’innovation, » précise Benjamin Bürbaumer, économiste à Sciences Po Bordeaux.
Après son élection, Joe Biden a maintenu les droits de douane élevés par son prédécesseur et a même introduit des augmentations sur certains produits tels que les voitures électriques, l’acier et l’aluminium.
Cette continuité en matière de protectionnisme américain provient de la redéfinition des rapports de force entre les grandes puissances économiques mondiales. La part de la Chine dans les exportations mondiales n’a cessé d’augmenter depuis le début des années 2000, et ce pays a comblé (ou s’apprête à le faire) son retard technologique dans plusieurs secteurs.
En approchant de la pointe de l’innovation, la Chine menace désormais les fondements de la suprématie américaine, incitant Washington à tenter de conserver un écart.
« Les mesures protectionnistes ne limitent pas seulement la circulation du commerce mondial. C’est une façon pour les États-Unis d’intervenir de manière extraterritoriale dans la production chinoise pour tenter de garder durablement la Chine dans une position de retard sur le plan technologique, » analyse Benjamin Bürbaumer.
Car la guerre commerciale est principalement technologique. Donald Trump avait ouvert ce front en 2019 en tentant d’interdire toute collaboration ou commande des opérateurs de télécommunications américains avec Huawei, dans le but d’empêcher la domination de la société chinoise en matière de technologies 5G.
Joe Biden a poursuivi cette tendance en limitant fortement les partenariats des entreprises américaines avec des sociétés chinoises dans les domaines de l’intelligence artificielle et de l’informatique quantique, ainsi que leurs investissements dans ces entreprises.
S’il existe une continuité dans la politique menée par les deux présidents, Joe Biden a toutefois ajouté un aspect de politique industrielle qui faisait défaut dans la stratégie de son prédécesseur. Cette approche s’est concrétisée à travers le Chips Act de 2022, qui vise à stimuler la production de semi-conducteurs aux États-Unis, et l’Inflation Reduction Act (IRA), adopté la même année, combinant des subventions pour les industries américaines de la transition énergétique et des aides à l’achat assorties de conditions de production locale.
Le démocrate n’a donc pas uniquement agi sur le plan fiscal, mais a aussi cherché à orienter et à dynamiser les investissements vers des secteurs jugés stratégiques. Avec un certain recul, quels sont les résultats du protectionnisme américain, notamment l’augmentation des droits de douane ?
À court terme, cette politique entraîne une hausse des prix si le distributeur et le fabricant étranger ne modifient pas leurs marges. Les ménages américains ont donc supporté une grande partie du coût de cette politique. Concernant les déséquilibres commerciaux que Donald Trump souhaitait corriger, on peut observer une dissociation des économies américaine et chinoise.
« Il y a eu une baisse significative de la part de la Chine dans les importations des États-Unis, » précise Sébastien Jean, économiste au Cnam. « Celle-ci est passée de 27 % à 14 %. »
Cela a des répercussions pour le reste du monde. En effet, ce que la Chine n’exporte plus vers les États-Unis, elle l’envoie ailleurs, notamment vers l’Europe. Une intensification de la guerre commerciale en cas de victoire de Donald Trump pourrait exacerber ces impacts.
En ciblant tous les produits et pays, une simple hausse de 10 % sur l’ensemble des pays représenterait une augmentation des taxes de plus de 300 milliards de dollars par an. Comparativement, l’ensemble des mesures commerciales entreprises durant son premier mandat a engendré une hausse de seulement 84 milliards de dollars.
Si le découplage entre la Chine et les États-Unis devrait s’accentuer, Sébastien Jean souligne qu’il est en partie factice :
« Les importations en provenance de Chine ont effectivement diminué, mais comme il n’y a pas eu de réduction du déficit commercial, cela signifie que ce que les États-Unis n’importent plus de la Chine, ils l’importent d’autres pays. Les pays qui ont le plus augmenté leurs exportations vers les États-Unis sont le Vietnam et le Mexique, et eux-mêmes ont largement accru leurs importations en provenance de Chine. »
En d’autres termes, les entreprises chinoises ont en partie contourné les restrictions imposées par les États-Unis en s’installant dans des pays voisins.
Quant au déficit commercial des États-Unis, la guerre commerciale s’avère donc être un échec. Le solde entre les exportations et les importations a même continué de s’aggraver, atteignant en 2023 le seuil symbolique de 1 000 milliards de dollars.
De quoi placer en péril la première économie mondiale ? Paradoxalement, non. C’est l’un des privilèges du dollar, qui permet de soutenir les déficits.
« Quand un pays a un déficit de cette ampleur, cela signifie qu’il dépense plus que ses revenus et qu’il s’endette auprès de l’étranger, » résume Sébastien Jean. « Dans tout autre pays, cela conduirait à une crise, mais grâce au rôle du dollar dans le système financier international, les États-Unis n’ont jamais de difficulté à trouver des prêteurs. »
Sur le plan industriel, « l’impact des politiques de Joe Biden reste difficile à évaluer, » poursuit l’économiste. « On constate une forte augmentation des investissements et des dépenses de construction dans le secteur manufacturier, mais pas encore d’effet sur la production. »
Cependant, ces politiques marquent une inflexion « grâce à leur orientation claire du capital vers tout ce qui concerne l’électronique, l’informatique et les industries vertes – batteries, énergies renouvelables, etc. », ajoute Sarah Guillou, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Dans ce dernier domaine, « l’industrie américaine accusait un important retard. »
Cette faiblesse des États-Unis dans le secteur manufacturier est en partie le résultat de leur force dans le numérique.
« Les facteurs de production (travail, capital) sont limités dans une économie. Pendant des décennies, les États-Unis ont orienté le capital vers le secteur numérique, avec succès, » explique Sarah Guillou. « Cette allocation du capital s’est faite au détriment de l’industrie, mais pas de la croissance. Grâce à ces investissements dans les technologies numériques, les États-Unis disposent aujourd’hui d’une industrie parmi les plus puissantes au monde. »
« La recherche et développement (R&D) permet une appropriation démesurée de la valeur ajoutée du produit fini, » ajoute Benjamin Bürbaumer. « C’est donc le monopole sur la propriété intellectuelle qui constitue la source des revenus des entreprises américaines. »
Le cas d’Apple illustre bien cette dynamique : l’entreprise conçoit des téléphones et délègue leur fabrication, mais c’est elle qui se réserve in fine la majorité des revenus générés par la vente d’un iPhone, au détriment des sociétés qui fabriquent les différents composants ou de celles qui les assemblent. Nvidia, Qualcomm, Broadcom, pour ne citer que quelques autres géants américains des technologies, tirent également leurs profits de leur monopole intellectuel.
« Si la Chine réussit à rivaliser avec la capacité d’innovation des entreprises américaines, le modèle de ces entreprises est menacé, » constate Benjamin Bürbaumer.
Ainsi, qu’importe qui l’emportera lors de l’élection aux États-Unis : les forces qui ont conduit le pays vers une politique protectionniste continueront d’exister. D’une part, Kamala Harris n’envisage pas une diminution des tensions commerciales. D’autre part, Donald Trump promet d’accroître considérablement le niveau de confrontation.
Aucune des deux parties, démocrates ou républicains, n’a contribué à relancer l’Organisation mondiale du commerce (OMC), qui est en stagnation depuis des années, symbolisant un multilatéralisme censé veiller à une résolution collective des conflits.
« La crise climatique entraîne une crise sanitaire. » C’est ainsi que s’exprime Tedros Adhanom Ghebreyesus, le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Chaque année, depuis huit ans, cette agence des Nations unies élabore, en collaboration avec de nombreuses institutions internationales et académiques, un rapport phare sur les conséquences sanitaires du réchauffement climatique : le Lancet Countdown, qui est publié dans le Lancet, la réputée revue scientifique britannique.
Le rapport de sa huitième édition, écrit par 122 experts sous l’égide de l’Institute for Global Health du University College de Londres et rendu public le 30 octobre, met en garde contre les « menaces sans précédent » que la montée des températures représente pour la santé humaine :
« Des 15 indicateurs qui mesurent les menaces, les expositions et les impacts liés à la santé dus aux changements climatiques, 10 ont atteint des niveaux alarmants au cours de la dernière année de collecte de données. »
Cette édition 2024 est d’autant plus significative – et préoccupante – que l’année 2023 a été la plus chaude jamais enregistrée. Avec des répercussions tragiques sur la santé des individus. Le rapport indique qu’en moyenne, les personnes ont expérimenté 50 jours avec des températures nuisibles pour la santé qu’elles n’auraient pas connues sans le réchauffement climatique.
Les vagues de chaleur touchent en premier lieu les groupes les plus exposés, notamment les nourrissons et les personnes âgées.
« En 2023, les décès dus à la chaleur parmi les personnes de plus de 65 ans ont atteint des niveaux record (167 %) par rapport aux données des années 1990. C’est bien au-delà de l’augmentation de 65 % anticipée sans changement de température (en tenant uniquement compte de l’évolution démographique) », précise le rapport.
Le graphique ci-dessous illustre que la fréquence des vagues de chaleur touchant ces deux groupes augmente dans toutes les nations, indépendamment de leur développement – évalué ici à travers l’indicateur de développement humain (IDH), qui prend en compte les revenus, le niveau d’éducation et l’espérance de vie.
Également, même si ces vagues de chaleur affectent moins directement les populations moins vulnérables, elles entraînent des problèmes de santé. Elles privent notamment des centaines de millions de travailleurs de leur emploi. En 2023, 512 milliards d’heures de travail ont été perdues à l’échelle mondiale à cause du réchauffement climatique – un autre record – soit 49 % de plus que la moyenne annuelle de 1990 à 1999.
Ce phénomène touche particulièrement les pays à faible IDH (comme le Pakistan, le Nigeria et l’Éthiopie) ou à IDH moyen (comme le Bangladesh, l’Inde ou les Philippines). D’autant plus que la majorité de ces heures perdues proviennent du secteur agricole, prédominant dans les pays moins développés, bien que les secteurs de la construction et des services soient également de plus en plus affectés.
Ces heures de travail perdues engendrent des répercussions sur la santé, avec une perte de revenu global estimée à 835 milliards de dollars américains en 2023, générant ainsi une pression supplémentaire sur les dépenses de santé.
Pour les pays à faible revenu, ces pertes représentent en moyenne 7,6 % du PIB, tandis que pour les pays à revenus intermédiaires, ce chiffre est de 4,4 %, selon le rapport. Mais ce n’est pas tout.
« L’exposition à la chaleur influence également de plus en plus l’activité physique et la qualité du sommeil, ce qui a des conséquences sur la santé physique et mentale », rapporte le Lancet Countdown.
Les chercheurs ont ainsi constaté qu’en 2023, les individus pratiquant une activité physique en extérieur ont subi un stress thermique (modéré ou plus) pendant 27,7 % d’heures supplémentaires par rapport à la moyenne des années 1990. De plus, les températures élevées ont provoqué une réduction de 6 % des heures de sommeil comparé à la moyenne de 1986-2005. Un autre record.
Au-delà des effets directs de la chaleur sur le corps humain, le réchauffement climatique engendre de nombreuses conséquences indirectes sur la santé, car il intensifie la fréquence et la gravité des phénomènes météorologiques extrêmes. Cela inclut les pluies, en France et ailleurs dans le monde.
« Durant la dernière décennie (2014-2023), 61 % des terres émergées ont connu une montée des événements de précipitations extrêmes par rapport à la moyenne de 1961 à 1990, augmentant le risque d’inondations, de maladies infectieuses et de contamination de l’eau », précise le rapport.
Il en va de même pour les incendies de forêt : dans la majorité des pays, indépendamment de leur IDH, le nombre de jours présentant un risque d’incendie augmente. Géographiquement, seules l’Asie du Sud-Est et l’Océanie constatent une stagnation ou une légère diminution de ce risque.
Concernant les sécheresses extrêmes, elles ont été relevées sur 48 % des terres en 2023 pendant au moins un mois, atteignant le deuxième niveau le plus élevé jamais enregistré, avec des répercussions sanitaires alarmantes.
Le Lancet Countdown souligne que « la hausse de la fréquence des vagues de chaleur et des sécheresses est associée aux 151 millions de personnes supplémentaires souffrant d’insécurité alimentaire modérée à sévère par rapport à la moyenne annuelle entre 1981 et 2010 ».
Un autre effet des sécheresses, moins connu, est reconnu sérieusement par les chercheurs : l’augmentation des températures et la multiplication des sécheresses provoquent des tempêtes de sable et de poussière nuisibles pour la santé. Cela a entraîné une augmentation de 31 % du nombre de personnes exposées à des niveaux dangereux de particules fines entre 2003-2007 et 2018-2022.
Le type d’effet final, mais non des moindres, du réchauffement climatique sur la santé, est qu’il favorise la propagation de maladies en stimulant certains pathogènes et leurs vecteurs, en particulier les moustiques. Prenons le cas de la dengue, qui peut, selon les années, hospitaliser des centaines de milliers de personnes et causer entre 10 000 et 20 000 décès (y compris en France).
Alors que le chiffre des cas n’a jamais été aussi élevé – 5 millions en 2023 –, le rapport estime que le risque de transmission de la dengue par certaines espèces de moustiques (Aedes albopictus) a augmenté de 46 % entre 1951-1960 et la dernière décennie.
Plus redoutable encore, le paludisme, qui cause des centaines de milliers de décès annuels, connaît aussi des conditions de diffusion plus favorables en raison du réchauffement climatique.
Le Lancet Countdown ne se limite pas à faire un inventaire des risques sanitaires liés au réchauffement. Ses auteurs avancent également des critiques à l’égard des « gouvernements et entreprises [qui] continuent d’attiser le feu en poursuivant les investissements dans les énergies fossiles ».
Ils rappellent que 36,6 % des investissements dans l’énergie en 2023 ont été alloués au charbon, au pétrole et au gaz, et que la majorité des pays analysés (72 sur 84) ont subventionné ces énergies fossiles, pour un montant total de 1 400 milliards de dollars en 2022. Dans 47 de ces pays, ces subventions dépassent 10 % des dépenses de santé, et dans 23 pays, elles excèdent 100 %.
Malgré quelques nouvelles encourageantes, telles que la diminution des décès causés par la pollution de l’air liée aux énergies fossiles ou la montée des investissements dans les énergies renouvelables, le constat demeure sombre. « Un avenir sain s’éloigne chaque jour un peu plus », résume Marina Romanello, la directrice du Lancet Countdown.
Roubaix, Nord (59) – Cela fait déjà deux ans que les machines de l’entrepôt de la marque de vêtements Camaïeu, située sur l’avenue Jules Brame, ne résonnent plus. La vaste allée de platanes, autrefois empruntée par les ouvriers pour se rendre au parking, est aujourd’hui oubliée et encombrée de déchets emportés par le vent. Les stocks et les murs ont été cédés à bas prix aux opportunistes tandis que « les employés se retrouvent en difficulté », déplore Sophie (1), les yeux plissés par le vent. Elle a consacré plus de trois ans de sa vie à cette usine textile, recevant la marchandise avant de l’expédier vers les magasins à travers la France. Mais le fleuron roubaisien de la mode féminine, qu’elle a tant chérie, est désormais disparu:
« Ce ne sont pas seulement 2.600 employés qu’ils ont licenciés, mais aussi toutes leurs familles. »
Derrière elle, son compagnon Christophe (1) l’écoute sans l’interrompre. « Pourquoi ressasser le passé ? Mon destin est déjà scellé », semble indiquer son visage triste. Le quinquagénaire laisse sa femme narrer à sa place son parcours en tant qu’employé logistique dans le quartier des Trois-Ponts à Roubaix, son licenciement inattendu en septembre 2022 et, depuis, les multiples rendez-vous à France Travail, où se multiplient les entretiens d’embauche infructueux :
« Nous sommes désormais deux au chômage. Ils ont plongé mon mari dans la galère et nos enfants aussi. »
Les heures de gloire des usines textiles de Roubaix semblent révolues. La Redoute, les 3 Suisses, Damart, et Phildar font partie de ces marques de prêt-à-porter emblématiques de la région. Aujourd’hui, les célèbres « mille cheminées » des manufactures ne fument plus et les enseignes en lettres capitales disparaissent peu à peu des façades de briques rouges. La liquidation judiciaire de Camaïeu marque la fin d’une ère. Les ouvrières – pour la plupart des femmes attirées par cette marque qui leur ressemblait – estiment que cette chute a été précipitée par les manigances irresponsables d’un seul actionnaire : Michel Ohayon, l’ex-propriétaire de l’enseigne, classé 104ème fortune de France en 2022. « Nous étions ses petits playmobils. Le jour où il ne souhaitait plus jouer, il s’est débarrassé de nous pour passer à une autre marque », s’insurge Cathy (1), l’une des leaders de la contestation qui a amené le milliardaire devant les prud’hommes.
La liquidation judiciaire de Camaïeu marque la fin d’une ère. /
Crédits : Archives municipales de Roubaix
« J’espère que chacun d’entre nous réussira à retrouver un travail dans lequel il se sentira bien. Car pour nous, la retraite, ce n’est pas encore pour maintenant », écrit une ancienne employée dans le groupe Facebook « des anciens de Camaïeu ». Ce groupe réunit environ 800 salariés nostalgiques. Depuis la fermeture, les messages de soutien affluent, accompagnés d’offres d’emploi et de conseils juridiques dénichés sur Internet. Cathy a quant à elle transformé son appartement en permanence administrative pour ses collègues aux prises avec les nombreuses démarches suite à leurs licenciements : demandes d’aides au reclassement, inscriptions aux formations et contrats de sécurisation professionnelle, calcul des indemnités… « Pour ma part, je me suis vite relevée. J’avais l’intérim dans le sang. Mais les plus expérimentés ont eu plus de mal à tourner la page », explique la syndicaliste de 40 ans, tirant distraitement sur sa cigarette électronique :
« Certains avaient 30 ans de boîte et ne savaient plus comment rédiger un CV ou une lettre de motivation. »
Aujourd’hui, les célèbres « mille cheminées » des manufactures ne fument plus et les lettres capitales des enseignes ont disparu des façades de briques rouges. /
Crédits : Archives municipales de Roubaix
Cette solidarité a débuté bien plus tôt, se remémore Louisa, une autre ancienne de l’usine Camaïeu. « Nous avons tenu deux mois ensemble devant le siège après l’annonce de la liquidation en 2022. Ceux qui se sont retrouvés seuls chez eux ont sombré dans la dépression. » La sexagénaire a été licenciée après 28 années de service. « Un soir, un ancien collègue m’a même appelés pour dire qu’il envisageait de mettre fin à ses jours », s’émeut-elle.
Plus de la moitié des ouvriers licenciés en 2022 n’auraient pas retrouvé d’emploi. /
Crédits : Captures d’écran de vidéos de l’INA
Un plan de sauvegarde de l’emploi a été mis en place lors de la fermeture de l’enseigne. Une procédure légale, à la charge des mandataires judiciaires, pour éviter de laisser des centaines d’ouvriers sur le carreau. « Dans ce plan, ils souhaitaient absolument me former aux métiers de l’aide à domicile ou de la main-d’œuvre. Ils ne pensaient pas un instant que je pourrais vouloir faire autre chose », se souvient Louisa avec amertume, qui a finalement réussi à obtenir une formation dans le domaine administratif. « Les postes pour le reclassement étaient situés à Toulouse (31), Bordeaux (33), Paris (75) ou Lyon (69) », ajoute Cathy, qui a rejeté les diverses offres qu’elle considère déconnectées de la réalité :
« On nous a demandé de tout quitter pour devenir femmes de ménage ou serveuses dans les hôtels d’Ohayon. »
Elle a finalement décroché un emploi de caissière dans la grande distribution de la ville. Selon la syndicaliste, plus de la moitié des employés licenciés en 2022 n’ont pas retrouvé d’emploi depuis.
Cela fait déjà deux ans que les machines de l’entrepôt de la marque de vêtements Camaïeu ne résonnent plus. /
Crédits : Captures d’écran de vidéos de l’INA
1993. Louisa enchaîne plusieurs petits boulots précaires lorsque son grand-frère lui suggère de tenter sa chance chez Camaïeu. Née en 1984, l’entreprise locale est alors en pleine expansion. « La marque ouvrait sans cesse de nouveaux magasins et jouissait d’une excellente réputation. J’habitais à proximité de l’entreprise, c’était idéal », se remémore l’ancienne employée. Embauchée dès son premier entretien, elle garde de sa carrière les plus beaux souvenirs :
« Nous étions tous solidaires et sur un même pied d’égalité. Quand de nouvelles personnes arrivaient, nous faisions tout pour les accueillir. »
Jean-Pierre Torck, PDG de l’époque, mise sur le circuit court pour contrer les délocalisations, devenues monnaie courante dans le domaine textile. Il résume sa stratégie avec la formule « 80 % de la production dans un périmètre de 300 km autour de Roubaix » – soutenu par les subventions de la municipalité et de la préfecture du Nord. L’homme d’affaires fonde Camaïeu avec trois autres dirigeants de l’empire Mulliez, une famille influente dans le Nord qui possédait déjà plus d’une centaine de magasins Auchan à l’époque. Les quatre jeunes entrepreneurs des années suivant la récession souhaitaient également profiter de la success-story roubaisienne et entendaient « relancer une nouvelle industrie textile » en s’adressant aux femmes de la classe moyenne. Une collection tendance mais accessible, promettant à la clientèle de se vêtir de la tête aux pieds. « Le vrai bonheur est fait de petits bonheurs », résume leur slogan.
En 2008, la marque ouvre 116 nouveaux magasins et enregistre un chiffre d’affaire de 709 millions d’euros. /
Crédits : Captures d’écran de vidéos de l’INA
Le concept fonctionne et Camaïeu connaît son heure de gloire. Rien qu’en 2008, la marque ouvre 116 nouveaux magasins et affiche un chiffre d’affaires de 709 millions d’euros. C’est durant cette période de succès que Cathy rejoint avec fierté la « famille Camaïeu », devenue une icône du prêt-à-porter féminin en Europe. Après un divorce difficile et de nombreuses missions intérimaires, elle signe son premier CDI en tant qu’employée logistique. Avec les 200 salariés de Roubaix, elle est chargée de réceptionner les marchandises, d’emballer les vêtements, de les étiqueter, avant de les envoyer aux magasins. « Je ne souhaitais pas porter des charges jusqu’à ma retraite, mais j’ai rapidement compris que mon poste n’était pas figé. Il n’y avait aucune limite si l’on souhaitait s’investir », se souvient-elle, charmée par cette organisation du travail fondée sur la participation des ouvriers.
Jean-Pierre Torck a fondé Camaïeu avec trois autres cadres de l’empire Mulliez. /
Crédits : Archives municipales de Roubaix
Le début du nouveau millénaire coïncide avec la montée de l’e-commerce. Les dirigeants manquent le coche et le marché est grignoté par Primark, Zalando et d’autres précurseurs de la vente en ligne. Camaïeu accumule les dettes aussi vite que les conditions de travail de ses employés se détériorent. « Lors de chaque réunion mensuelle, nous étions traités comme des lapins de six semaines : un directeur nous assénait des informations tirées du JT pour expliquer les soucis de l’entreprise, avant de nous rassurer », s’énerve encore Cathy :
« Nous aurions pu sauver notre peau en cherchant du travail ailleurs. Mais ils nous ont laissés poireauter jusqu’à la dernière minute. »
En 2012, une grève éclate au siège de Roubaix. Les employés logistiques, souvent obligés de recourir aux compléments RSA pour atteindre le SMIC, exigent une augmentation de salaire. Ils sont soutenus par Eva Joly et Jean-Luc Mélenchon, qui dénonce alors « des prédateurs qui s’enrichissent au détriment de la misère des autres ». Le député fait référence aux 23 millions d’euros de stock-options attribuées en 2008 à l’ancien PDG sortant, Jean-François Duprez. Les salariés obtiennent enfin satisfaction, mais les exigences de rendement demeurent croissantes et la gestion devient agressive. Cathy évoque « des méthodes militaires » :
« Alors, nous mettions ces managers aux machines, les laissions patauger et nous leur demandions : “Alors, c’est qui les patrons maintenant ?” Les terminators, c’est nous qui les avons mis à genoux. »
La combattante se souvient des noms donnés aux anciennes machines de l’entrepôt : Océane, Corail, Calypso, Atlantis… Elle avait même la responsabilité de leur entretien parfois. Pour réaliser des économies, les budgets de maintenance avaient été supprimés…
Le début du nouveau millénaire correspond à l’essor du e-commerce. Les dirigeants voient leur marché grignoté par la vente en ligne. Camaïeu s’endette, les conditions de travail des ouvriers se détériorent. /
Crédits : Captures d’écran de vidéos de l’INA et archives municipales de Roubaix.
2016, Camaïeu cumule une dette d’un milliard d’euros. En 2018, l’entreprise est mise sous sauvegarde par le tribunal du commerce et un mandataire judiciaire est désigné. L’entreprise parvient tout de même à tenir le coup, et les actionnaires continuent à investir, parfois de manière hasardeuse. Camaïeu maintient son image face aux tempêtes : elle est élue en 2017 et 2018 « enseigne de vêtements préférée des Françaises », puis « meilleure chaîne de magasins de la catégorie Mode Femmes ». Les ouvriers de Roubaix refusent de croire en l’effondrement et s’accrochent. « Personne ne s’imaginait que cela puisse vraiment se produire. Jusqu’au bout, les collègues étaient dans le déni », se désole Louisa.
Née en 1984, l’entreprise Camaïeu est à ses débuts en plein essor. /
En mai 2020, Camaïeu est placé en redressement judiciaire : 450 employés sont licenciés, parfois privés d’indemnités pendant plusieurs mois. Au tribunal du commerce, le patron Ohayon se manifeste. Il assure qu’il embauchera tous les salariés et investira 84 millions d’euros pour sauver l’enseigne. Le juge le sélectionne pour le rachat. Un nouvel espoir germe chez les ouvriers. « Au début, nous souhaitions lui accorder notre confiance, il avait mille projets. Et puis, nous avons commencé à ressentir que quelque chose n’allait pas », se remémore Cathy. Louisa ajoute :
« Dès la première réunion, il nous assénait de grands discours. Nous le surnommions : “La vérité si je mens”. »
Le prêt de l’État qu’Ohayon espérait pour relancer l’activité lui est refusé, et les factures continuent à s’accumuler. L’entreprise tente un ultime coup de com’ début 2022 avec une campagne en ligne représentant des femmes victimes de violences conjugales. Accusée de « glamouriser les violences », le bad buzz est immédiat.
La pandémie de Covid-19 aggrave la situation, comme partout ailleurs : jugés comme secteur non essentiel, les 511 magasins du réseau ferment durant le premier confinement. Cependant, les ouvriers de Roubaix ne cessent de lutter, raconte Cathy :
« Dès que nous avons eu la permission de reprendre le travail sur une base volontaire pendant le confinement, nous sommes retournés à l’entrepôt avec des visières et des masques. Nous faisions des journées de 10 heures non-stop. Nous ne voulions pas couler ! »
De son côté, Thierry Siwik, délégué CGT de Camaïeu, tente de solliciter de l’aide auprès du ministre du Travail de l’époque, Roland Lescure. En vain. « Nous avons même présenté un projet de sauvetage de la société avec de nouveaux fonds. Nous avons mis 30 millions sur la table qui auraient pu préserver 1.800 emplois. Ils ont refusé d’en entendre parler », soupire le syndicaliste, qui dénonce une « faillite orchestrée par les actionnaires ». Le 28 septembre 2022, l’alarme retentit. Ohayon fait son apparition au tribunal du commerce avec un plan de continuité bâclé sur une feuille A4. L’entreprise est placée en liquidation judiciaire et les 2.600 employés sont licenciés sur le champ. « On nous a laissé une demi-heure pour vider nos vestiaires. Je n’oublierai jamais les cris de désespoir de mes collègues », s’attriste Louisa.
Le patron Sébastien Bismuth a acquis la marque pour une bouchée de pain. 11 nouveaux magasins consacrés aux collections femmes ouvrent sous une nouvelle identité : « Be Camaïeu ». /
Crédits : Archives municipales de Roubaix et Jeremie Rochas
« Camaïeu va rouvrir ses portes. Un symbole de la France, quoi ! Ils visent à devenir une marque cool, créative, inclusive et surtout moderne », s’enthousiasme Léna Situation dans une vidéo sponsorisée. L’influenceuse aux 4,7 millions d’abonnés sur Instagram a été engagée par le groupe Célio, tout récent propriétaire de Camaïeu, pour annoncer la résurrection de la marque. Le patron Sébastien Bismuth a acquis la marque à bas prix, récupérant les murs et tout le reste. 11 nouveaux magasins dédiés aux collections féminines ouvrent sous une nouvelle identité : « Be Camaïeu ». Mais les centaines d’ouvrières remerciées en 2022 ne font pas partie de l’aventure. Bien que quelques postes aient été proposés dans le nouveau magasin du centre commercial de Lille (59) inauguré fin août, les recruteurs ont rapidement été recalés. « Camaïeu est mort en 2022 avec ses 2.600 salariés, laissez-nous tranquilles », rugit Cathy :
«Aujourd’hui, aucune d’entre nous ne souhaite postuler. Ce sont les valeurs de Camaïeu qui nous attiraient et elles ont disparu. »
Des ouvrières licenciées de Camaïeu racontent la lente mort de la marque, jusqu’à sa résurrection sous la bannière de Célio… sans elles. /
Les anciennes ouvrières ont intenté plusieurs recours aux Prud’hommes pour licenciement abusif. Au tribunal de Roubaix, un petit groupe d’anciens salariés de l’entrepôt est rassemblé derrière Maître Fiodor Rilov, avocat renommé des laissés-pour-compte par les multinationales. Fidèle à son poste, il fait résonner sa voix rauque dans la petite salle d’audience des Prud’hommes :
« Nous sommes là pour faire payer les responsables de cette catastrophe sociale ! »
En février dernier, Cathy et Louisa ont également déposé plainte contre Michel Ohayon pour « abus de biens sociaux », avec 200 autres anciens employés de Camaïeu. Le propriétaire de la holding Financière immobilière bordelaise, qui regroupe plus de 150 sociétés, est accusé d’« un certain nombre d’opérations opaques, anormales et injustifiées » et d’« agissements fautifs », considérés comme « la cause première et déterminante de la faillite de l’entreprise ». En septembre 2021, un trou de 26 millions d’euros dans les comptes de la société avait été mis au jour. « Nous avons compris qu’il utilisait notre travail pour régler les factures de ses autres sociétés pendant que nous travaillions d’arrache-pied pour sauver la boîte », fulmine Cathy. Contactée par StreetPress, la société de Michel Ohayon n’a pas répondu à nos questions. Elle lutte néanmoins pour faire renvoyer l’affaire. Une situation éprouvante pour les ouvrières. Mais Cathy, pleine de détermination, ne compte rien laisser passer :
« Même si ça dure 15 ans, je serai toujours présente. Et si nous perdons, nous lui aurons au moins fait payer les frais d’avocats. »
Les anciennes ouvrières ont engagé plusieurs recours aux Prud’hommes pour licenciement abusif. /
Crédits : Archives municipales de Roubaix
Les prénoms ont été modifiés.
Illustration de Une de Timothée Moreau.
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