Au tribunal, le jugement de la fraternité policière
Paris, Cour de justice, 29 octobre 2024 – Lors d’un procès pour violences policières, il est inhabituel qu’un représentant légal d’un agent décide de blâmer l’ensemble du service dans sa défense. Pourtant, maître Grégory Hania a choisi cette approche en milieu d’après-midi : « Tous ont vu, tous auraient pu être poursuivis pour non-assistance à personne en danger. » Ce « tous », c’est notamment son client Clément B., ancien chef de poste du commissariat des 5e et 6e arrondissements de Paris, assis sur le banc des accusés pour avoir ignoré les faits et ensuite menti pour couvrir les agissements de ses collègues Maxime D. et Matthieu D. Ces derniers, en garde à vue, ont asséné des coups violents à Mario (1), un homme péruvien d’une quarantaine d’années, dans la nuit du 24 juillet 2024, juste avant la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques, sous le regard d’autres policiers et des caméras de surveillance.
Les enregistrements, dévoilés par Libération, retracent une nuit marquée par des agressions et des humiliations successives. L’homme, sous l’emprise de l’alcool et arrêté pour outrage à gendarmes, est giflé dès son arrivée au commissariat par Maxime D. pour un prétendu manque de rapidité à remettre un objet personnel. Dans la salle de fouille, ce même policier utilise une matraque télescopique pour le frapper avant de lui infliger un coup de clef pendant son envoi en cellule, provoquant une importante blessure à l’arcade. Les violences atteignent un paroxysme avec Matthieu D., qui, pendant que Mario, le bras fracturé, attend son transfert à l’hôpital, le frappe à répétition. Face à cette nuit où il a cru mourir, la victime est allée jusqu’à écrire avec son propre sang « à l’aide » en espagnol sur le sol de sa cellule, signant son prénom dans l’espoir que quelqu’un chercherait à comprendre ce qui s’était passé.
Les images du déchaînement de violences subi par un homme dans un commissariat à Paris
Le 24/07, Mario a été placé en garde à vue. Avant-bras fracturé, coup de clé dans l’arcade sourcilière… Libe révèle les graves violences dont il a été victime : https://t.co/0gIWKH81FY pic.twitter.com/rCwzw4MAPe
— Libération (libe) September 19, 2024
Des « sourires complices » et des « jeux de ping-pong » tout proche
Aujourd’hui encore, des plaisanteries circulaient entre anciens collègues. Mais face aux vidéos diffusées à grande échelle au-dessus des juges, les trois accusés baissent les yeux. À chaque gifle retransmise, un silence assourdissant emplit la salle. Un mélange de désarroi et de révolte se propage devant l’inaction totale de la plupart des autres agents présents.
Ces violences, qualifiées de « stupéfiantes » par le procureur, se sont déroulées en partie au centre même du commissariat. « Devant tous, sans la moindre opposition, avec des sourires complices et des jeux de ping-pong à côté », s’indigne-t-il. Pourtant, parmi l’ensemble des fonctionnaires présents lors des faits, seul Clément B. est poursuivi pour non-assistance à personne en danger, qui, en tant que chef de poste, est accusé de ne pas être intervenu pour protéger le détenu. Le juge questionne :
« Vous ne vous êtes pas dit : “Il faut protéger Mario, stop et l’isoler ?” »
À la barre, vêtu d’un col roulé, l’homme évoque un « état de sidération », affirmant avoir été « choqué » par les coups de matraque dans la salle de fouille. Cependant, une autre vidéo, filmée après ces violences, montre Clément B. arborant un sourire complice, comme les autres policiers. « Un mécanisme pour évacuer la tension », tente-t-il d’expliquer sous le regard perplexe du président. Un autre policier présent lors des événements a avoué qu’il ne savait « pas réagir, alors [il a] rigolé avec [ses] collègues ». Un autre encore a admis qu’il aurait dû intervenir :
« J’ai vu mes collègues rester immobiles. Il n’y avait aucune raison pour que Matthieu le frappe. »
Jugé aussi dans cette session pour un autre incident, Maxime D. prétend que ses actions étaient justifiées. Selon lui, la gifle était une réaction à une insulte supposée de Mario. Concernant le coup de clef, il explique que c’était pour l’empêcher de « quitter sa cellule ». Quant aux coups de matraque ayant causé la fracture, il indique que Mario s’était levé de manière « provocante ». « Ce n’était pas : “Ah, je vais me défouler sur lui aujourd’hui” », ironise-t-il. Vêtu d’élégance mais visiblement sous pression, Matthieu D. s’excuse de « s’être laissé emporter ». Son avocat Jérôme Andrei renvoie cependant la faute au groupe, déclarant que ses collègues n’ont rien fait pour « le stopper ou l’aider ». « Ils l’ont laissé s’enfoncer », plaide-t-il.
Pas un agent n’a pourtant averti la hiérarchie des événements. C’est Mario, depuis son lit d’hôpital, qui informe un cadre des violences subies. Devant le tribunal, le procureur fustige :
« C’est comme ces trois singes : “Je n’ai rien vu, rien capté, rien dit.” »
Une accusation contre la victime
Inversant les rôles, Maxime D. dépose une plainte accusant Mario de tentative de « coup de tête » et comportement indécent, sans mentionner les coups de matraque infligés précédemment. Clément B. et un autre policier appuient son récit. Cependant, un troisième policier, pris de remords, les dénonce et accuse Maxime D. d’avoir voulu « masquer la vérité ». Cette plainte mensongère conduit les agents à être également jugés pour dénonciation calomnieuse, une qualification « très rare », d’après le procureur, soulignant la suppression de messages compromettants entre les trois policiers.
Grégory Hania, défenseur de Clément B. et fervent soutien des forces de l’ordre, décrit les commissariats comme « des écosystèmes isolés ». « Il est difficile de s’opposer à un collègue. Vous exposez tout le monde, y compris vous-même », explique-t-il. Quelques instants plus tard, il critique cependant le policier dénonciateur pour son absence à l’audience – celui-ci ayant déjà opté pour une procédure de plaider-coupable.
Durant sa plaidoirie, Julie Fragonas, l’avocate de Mario, dénonce avec véhémence un « système » et le corporatisme au sein de la police. « Sauver la face passe par le rire », condamne-t-elle. Sa consœur Juliette Chapelle appuie : « C’est une banalité pour eux, un autre jour, une autre personne subissant la même chose ». Elle affirme que ces violences ne sont ni nouvelles ni isolées. Les avocates rappellent enfin que Mario, conseillé par son psychiatre, n’a pas pu se présenter à l’audience. Outre les 30 jours d’ITT, Mario souffre encore de séquelles physiques et psychologiques lourdes.
Pour répondre à ces actes, le procureur a requis des peines de sursis : 24 et 30 mois pour Maxime D. et Matthieu D. avec interdiction permanente d’exercer. Concernant Clément B., il a proposé 12 mois avec sursis et six mois d’interdiction temporaire. Quant aux autres policiers impliqués en périphérie, aucune poursuite n’a été engagée. Le verdict sera rendu le 15 janvier 2025.
(1) Mario est un prénom d’emprunt utilisé par Libération pour préserver l’anonymat de la victime. Nous suivons cette démarche.
Illustration réalisée par Vincent Victor pour la Une.