Écrit et réalisé par Akiko OHKU – Japon 2020 2h13mn VOSTF – avec Non (c’est bien son nom), Kento Hayashi, Ai Hashimoto, Asami Usuea, Hairi Katagiri… D’après la nouvelle de Risa Wataya.
Du 31/08/22 au 13/09/22
Note liminaire à l’intention de celles et ceux pour qui la gastronomie ne s’envisage guère en dehors de la blanquette de veau ou du bœuf en daube : le tempura est un classique de la cuisine japonaise, un beignet à base de légumes ou de poisson, à la pâte divinement légère (donc pas facile à réussir). Cette précision culinaire apportée, venons-en à Mitsuko, l’héroïne de notre film.
À 31 ans, cette employée de bureau consciencieuse vit dans sa bulle : on peut dire sans exagérer qu’elle a toujours eu quelques difficultés avec les relations humaines. Au cœur d’un Tokyo trop grand pour elle, elle suit avec passion des cours de cuisine, dont elle tire des recettes qu’elle peaufine à l’abri de son petit appartement douillet. En célibataire somme toute épanouie (elle n’a cure qu’on la traite épisodiquement de « makeinu », terme familier et péjoratif utilisé au Japon pour désigner les femmes non mariées de plus de 30 ans : le mot implique que ces « vieilles filles » ont perdu un chien, autrement dit un homme !), elle se fixe chaque jour de nouveaux défis jusqu’à celui, inédit… d’inviter un garçon à dîner !
Mitsuko réfléchit trop, beaucoup trop. Ses pensées n’ont de cesse de converser à travers des échanges pas toujours simples avec une voix (d’homme) intérieure, qui est rarement d’accord avec elles. Si bien que si Mitsuko arrive par son raisonnement personnel à une vérité, il n’est pas rare que, la minute d’après, elle soit amenée par la voix volontiers influenceuse à penser exactement le contraire ! Comme suggéré plus haut, la jeune femme peine à s’émanciper de cette peur universellement répandue : celle de la connexion avec l’Autre. Mais avant de s’ouvrir à l’autre, il faut d’abord qu’elle s’ouvre à elle-même, à ses désirs, à ses aspirations, à ses convictions… Dans un Tokyo pourtant surpeuplé d’âmes aussi solitaires que la sienne, Mitsuko, quoique belle, intelligente, inspirante, est totalement livrée à elle-même. Jusqu’à sa rencontre avec Tada, un collègue de bureau qu’elle n’avait jamais remarqué, sans doute parce qu’il est assez nettement plus jeune qu’elle…
On ne compte plus les films japonais qui nous ont régalés et dont on parle avec gourmandise car ils épicent nos existences. La liste est longue des titres dont la simple évocation met les papilles en émoi : du délicat repas préparé pour sa grand-mère par Takumi dans La Saveur des ramen (2018) jusqu’aux délicieux dorayakis d’une mamie-gâteau dans Les Délices de Tokyo (2015). S’il y a bien un pays qui excelle dans l’art de rendre son cinéma savoureux, c’est celui dont la cuisine washoku est classée au patrimoine mondial de l’Unesco. Dans Tempura, on ne compte plus les séquences culinaires, toute la cristallisation amoureuse entre Tada et Mitsuko opérant autour de ses plats, passerelles timides de leur affection respective.
Tempura est par ailleurs une comédie au potentiel imaginatif aussi exalté que celui de sa protagoniste, échappant ainsi au formatage, aux stéréotypes. Akiko Ohku donne ici autant d’importance à l’introspection qu’à l’expression, incitant ses personnages à résoudre leurs mutines équations intérieures pour mieux s’épanouir… Un film touchant, sans cynisme, vivifiant, alliant romance et film conceptuel. La réalisatrice donne à son récit un ton d’une absolue liberté, qui fait de Tempura une fable touchante et toujours savoureuse… Avec son humour décalé, elle rappelle que nous pouvons être à la fois notre pire ennemi et notre meilleur allié. (merci à O.J. des Saisons Hanabi)