Photo : Panthermedia | Montage : VICE
Insister lourdement sur la perte de poids d’une personne peut se révéler problématique pour tout un tas de raisons. D’abord, parce que cela renforce le mythe qui veut qu’en étant plus maigre on soit toujours plus belle, et qu’il faut toujours féliciter quelqu’un qui a perdu une taille. Ensuite, c’est oublier un peu vite le fait qu’une perte de poids, surtout aussi importante, peut être due à autre chose qu’un régime volontaire. Cela peut relever d’une maladie, d’un excès de stress ou de troubles alimentaires. Dans certains cas, encourager quelqu’un à perdre du poids peut s’avérer vraiment néfaste pour sa santé mentale.
Nous avons discuté avec six femmes qui nous ont raconté leurs histoires de pertes de poids, en évoquant aussi les conséquences des commentaires et des remarques qu’elles ont reçues.
Jessy\*, 32 ans, travailleuse indépendante
Il y a trois ans, j’ai connu un premier gros épisode dépressif dans ma vie, et l’une des conséquences a été une importante perte de poids. Je ne sortais que très rarement de mon lit. Mais quand je me retrouvais en société, tout le monde me parlait de mon poids. Des points de vue aussi divers que « Oh, tu n’as pas l’air d’aller très fort » ou « Tu as l’air superbe ». Et dans les deux cas, ces commentaires rendaient la situation encore plus difficile. Je me détestais, mais en même temps, des remarques de ce genre venaient renforcer ma perte d’appétit. J’aimais bien le fait d’être perçue comme une jolie femme sans avoir fait grand-chose pour le mériter. J’étais triste, mais j’avais l’impression qu’on me remarquait. C’était une situation assez absurde, puisque l’on identifiait ma perte d’appétit comme une attitude positive envers la vie.
Quelques mois plus tard, j’ai perdu mon père. C’est la période la plus traumatisante de toute mon existence. Pendant cette période, j’ai perdu plus de dix kilos. Et les retours des gens étaient absolument surréalistes. Je me sentais extrêmement coupable, et pendant que je mourais de l’intérieur, j’avais l’air « magnifique » de l’extérieur. Des amis m’ont même dit : « Ça te va vraiment très bien, ne change rien ! » Donc, selon eux, j’aurais dû rester endeuillée pour le restant de mes jours. Drôle d’idée, non ?
J’essayais de m’habiller de manière à ce qu’on ne remarque pas mon poids, parce que je devais ravaler mes larmes au moindre commentaire. Le pire dans tout ça, c’est que j’avais le sentiment de trahir mon père, comme si tous ces compliments s’opposaient à mon deuil. Certains plaisantaient en disant que j’étais méconnaissable. Mais moi non plus, je ne me reconnaissais plus.
Tammy, 23 ans, étudiante infirmière
J’ai toujours eu une relation problématique avec la nourriture. Quand j’étais jeune, cela se manifestait par une volonté de manger pour oublier des frustrations, une suralimentation et des épisodes où je m’empiffrais sans limites. Résultat, j’ai pris pas mal de poids.
Il y a environ neuf ans, j’ai décidé d’arrêter de me gaver. Parfois, je ne mangeais rien pendant plusieurs jours et, lorsque je mangeais, ce n’était que des toutes petites quantités. Je me suis également mise à faire beaucoup d’exercice physique. J’ai rapidement perdu du poids, ce qui n’est, bien évidemment, pas passé inaperçu. J’ai reçu des compliments dans tous les sens. Des gens me demandaient des conseils. Cela m’incitait à continuer dans cette démarche où je m’affamais, et je me suis enfoncée dans ma dépression, parce que la souffrance et la douleur qui étaient derrière ma perte de poids passaient inaperçues.
Au bout du compte, j’ai fini à l’hôpital. Mes troubles alimentaires se sont améliorés, après de nombreux revers, mais cela reste une bataille quotidienne.
Bea, 32 ans, réalisatrice de podcasts
En 2012, j’ai rédigé la totalité de ma thèse de Master en six semaines. Ça a été une période stressante pendant laquelle je mangeais très peu et je dormais à peine. Lorsque j’ai bouclé cette thèse, la tension et l’anxiété qui avaient accompagné sa rédaction sont restées avec moi. J’étais continuellement tendue comme une arbalète. Lorsque j’ai fini par monter sur une balance, j’avais perdu 38 kg. Résultat, j’ai attrapé diverses maladies. J’ai perdu mes cheveux et j’ai eu des problèmes de dents et de peau. Tout mon corps défaillait.
Ma relation avec mon corps est difficile, notamment parce que j’ai été victime de harcèlement quand j’étais petite parce que j’étais ronde. On m’appelait « la grosse vache ». Après avoir perdu du poids, j’ai reçu de nombreux compliments. J’avais obtenu un diplôme avec mention, mais les gens semblaient s’en moquer ; ils ne remarquaient que mon apparence. J’étais heureuse de ne plus être cette « grosse vache », mais je savais que je devais cette perte de poids à un problème de santé mentale. Cela n’avait rien de très sain.
Pour beaucoup de gens, la tâche la plus importante pour une femme est d’être belle, autrement dit, d’être maigre. Peu importe comment on se sent à l’intérieur. L’apparence, le corps vu de l’extérieur, est ce qu’il y a de plus important. Que vous soyez dévalorisée pour votre poids ou que cela vous vaille des compliments.
Ena, 23 ans, étudiante
J’ai eu un cancer des os à l’âge de 17 ans. Certains jours, je ressemblais à un poisson-globe shooté à la cortisone, d’autres fois, j’avais l’air d’une candidate de l’émission America’s Next Top Model. Et dans les deux cas, le résultat n’était pas vraiment à mon goût. Je ne peux toujours pas m’alimenter normalement. Du coup, je regarde des émissions de cuisine à la télé en imaginant ce que je pourrai manger dans le futur.
Récemment, j’ai parlé de mes problèmes à une amie. Je lui ai dit que j’avais perdu environ six kilos. Et elle m’a répondu : « Ah, au moins, il y a un côté positif. » Depuis, j’essaie de comprendre quel est l’avantage de ne pas être capable de manger. Du fait de mes expériences, je ne fais jamais de commentaire sur l’apparence des gens, à moins que je ne me fasse vraiment du souci pour leur santé. Et dans ce cas, je pose des questions en multipliant les précautions.
Julia, 22 ans, étudiante
Depuis mes 12 ans, j’ai régulièrement des épisodes de dépression. L’an dernier, ça a été assez violent, et plus qu’un épisode, ça a été une saison complète de dépression.
L’alimentation est devenue quelque chose de problématique et, parfois, cela me semblait carrément impossible d’avaler quoi que ce soit. Petit à petit, je me suis retrouvée à perdre du poids jusqu’à des niveaux vraiment inquiétants. Comme j’étais très maigre, j’ai commencé à recevoir des compliments. J’essayais de dissimuler mon corps en portant des vêtements amples, mais les gens continuaient de me féliciter pour ma perte de poids. Je ne les ai jamais remerciés pour ces compliments. Parce que je n’ai jamais voulu perdre ce poids. Et cet amaigrissement n’était pas un objectif ou un succès quelconque à mes yeux.
L’an dernier, j’ai eu toutes les peines du monde à rentrer chez mes parents pour Noël. J’allais recroiser de vieux amis qui me diraient tous que j’ai l’air « superbe ». Ça me rendrait encore plus triste. Un véritable succès serait de lutter contre ma dépression. Lorsque quelqu’un me fait un compliment sur mon poids, je dois m’empêcher de penser que ces kilos sont la seule chose que je contrôle. Et puis je me demande : est-ce que ces gens penseront que c’est une mauvaise chose si, quand je me sentirai mieux, je reprends quelques kilos ?
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