Le Rassemblement national a annoncé sa volonté de proposer au vote l’abrogation de la réforme des retraites de Macron lors de sa niche parlementaire à la fin du mois d’octobre. La question divise nos rangs. Car dans notre camp, voter avec le Rassemblement national ne va pas de soi. Le RN le sait et en joue. C’est d’ailleurs la raison profonde pour laquelle il propose cette loi dont au fond il ne veut pas.
Le Pen et ses amis doivent d’un côté contenter la grande bourgeoisie pour qu’elle achève d’accepter l’hypothèse d’un gouvernement du RN, et de l’autre continuer d’apparaître comme des représentants des intérêts des classes populaires pour sécuriser une partie de son électorat. Cette proposition de loi leur offre une occasion rêvée de mener ces deux combats de front. Car les cerveaux du RN savent bien qu’il leur faut les voix de la gauche pour obtenir une majorité et que la gauche de rupture est encore prisonnière d’une conception morale de l’antifascisme pour la voter.
Ce faisant, l’extrême-droite fait d’une pierre trois coups. D’un côté, elle se présente aux yeux de ses électeurs, du peuple qui la soutient comme devant celui qui ne lui est pas encore acquis, comme la force qui représente les classes populaires. De l’autre, elle fait apparaître la gauche de rupture comme traitresse à son propre programme. Cerise sur le gâteau : le RN obtient, pour le grand capital, l’échec de l’abolition de la réforme des retraites en faisant porter la responsabilité sur notre camp !
L’antifascisme n’est ni une posture morale, ni une disposition éthique qui permet de garder les mains propres. C’est la lutte politique impitoyable contre le fascisme et tout ce qui le rend possible.
Toute la gauche de rupture aurait tort de ne pas se saisir de cette proposition, quand bien même elle émane du diable. Non seulement cette gauche doit respecter son électorat et son programme, au sein duquel l’abolition de la réforme des retraites figure en bonne place, mais elle doit aussi s’attacher à élargir sa base, notamment dans les « bourgs » et la « ruralité », captés ou tentés par le RN grâce à ce genre de tactique. Enfin, la gauche de rupture ne peut pas laisser le monopole de la lutte contre le néolibéralisme et la Macronie au RN. Le danger représenté par un gouvernement d’extrême-droite ne peut pas nous faire oublier que ce sont Macron et sa clique qui ont mené cette réforme, c’est eux qui occupent encore le pouvoir en dépit leur défaite aux élections et ce sont eux qui mènent des politiques fascisantes aujourd’hui.
En votant cette loi, notre camp ne perd rien. Au contraire il obtient le retrait d’une réforme qu’il a été le premier et le plus déterminé à combattre.
En réalité le RN sortirait sans doute affaibli d’une alliance tactique avec la gauche de rupture à l’Assemblée. Il compte au contraire sur une défection de la gauche sur ce sujet si central. Alors rappelons l’essentiel : l’antifascisme n’est ni une posture morale ni une disposition éthique qui permet de garder les mains propres. C’est la lutte politique impitoyable contre le fascisme et tout ce qui le rend possible.
En votant cette loi, notre camp ne perd rien. Au contraire il obtient le retrait d’une réforme qu’il a été le premier et le plus déterminé à combattre. Il évite aussi de tomber dans le piège de la fausse opposition que la macronie et le RN tentent de construire, alors qu’ils sont l’un pour l’autre les meilleurs alliés – la bénédiction donnée par Marine Le Pen au gouvernement Barnier en est la meilleure preuve.
Il serait irresponsable de laisser au RN le monopole de l’élaboration stratégique et se contenter de réagir maladroitement aux coups qu’il fomente. Il est temps d’obtenir des victoires. L’abrogation de la réforme des retraites doit être une victoire politique pour notre camp et la défaite de la tactique du Rassemblement national.
Premiers signataires : Frédéric Lordon (philosophe), Annie Ernaux (écrivaine), Stathis Kouvélakis (philosophe), Houria Bouteldja (militante décoloniale), Sandra Lucbert (autrice de littérature), Michèle Sibony (UJFP), Jean-Marc Schiappa (historien), Bernard Friot (économiste), Cédric Durand (économiste), Simon Assoun (Tsedek), Eyal Sivan (cinéaste), Julien Théry (historien), René Monzat (militant antifasciste)