Palumbo, quinquagénaire en CDI depuis 2021 avait été recruté par le gérant de l’établissement, Michel Fontana, à la recherche d’un chef capable selon La Stampa de « travailler à l’ancienne et connaissant les produits pour réaliser des plats fait-maison, dans la pure tradition italienne ». Un choix qui s’était révélé fructueux, le cuistot ravissant le palais des clients avec son assiette signature ; un poulpe snacké alla luciana accompagné de tomates, d’olives et de câpres.
Problème, avant de préparer des recettes typiques sur la Côte d’Azur, Nunzio Palumbo était Antonio Cuozzo Nasti, membre d’un gruppo di fuoco de la famille Mallardo appartenant à la Camorra, organisation mafieuse implantée à Naples et en Campanie. « C’est un élément dangereux chargé notamment des extorsions, une des spécialités du clan au même titre que l’infiltration frauduleuse des marchés publics et le recyclage d’argent sale », précise une source judiciaire citée par Le Monde.
Appréhendé en 2012 après le braquage d’une antenne de la banque Monte dei Paschi à Cercola, Nasti est condamné à seize ans de prison pour vol, recel et port d’arme illégal. Purgeant d’abord sa peine en prison, il est ensuite transféré dans un centre d’hébergement pour toxicomanes d’où il se fait rapidement la malle. Les autorités assurent avoir gardé sa trace tout au long de sa fuite – qui passe par l’Allemagne et le Royaume-Uni avant la France – mais quelques semaines après la publication d’un article sur le site de la ville saluant sa cuisine et dans lequel il pose en tablier noir, Nasti est interpellé à son domicile par des policiers français et des carabiniers italiens.
Si l’attention suscitée par ses plats mettent un terme à sa cavale, Nasti n’est pas le premier truand à tenter de se refaire une virginité dans le milieu de la restauration, ni le seul à avoir été trahi par la bouffe. Pasquale Brunese, également ancien homme de main camorriste, est arrêté une première fois en 2007 avant que les forces de l’ordre ne perdent sa trace. Condamné in absentia à neuf années de prison pour trafic de drogue, extorsion et appartenance à un groupe criminel, il est repéré en Espagne et arrêté à nouveau en 2015 dans sa pizzeria A mi Manera, à Puerto de Segunto, Valence, acquise sous un nom d’emprunt.
Pasquale Scotti fait preuve d’un peu plus de discrétion et d’esprit d’entreprise. L’ancien bras droit du boss Raffaele Cutolo s’était réfugié à Recife, dans le nord-est du Brésil, pour ne pas répondre de ses crimes – meurtre et dissimulation de cadavres. Après avoir échappé aux mailles de la justice pendant 31 ans, il est finalement interpellé dans une boulangerie. Sous l’identité de Francisco De Castro Visconti, il avait eu le temps d’investir dans plusieurs entreprises de restauration et de service.
Si les mafieux susnommés avaient cessé toutes incartades depuis leur reconversion, certains gardent une double toque. C’est le cas de David Ruggerio qui embrasse le destin de chef après une brève carrière sur le ring. Né à Brooklyn, il écume dans les années 1990 tout ce que New-York compte d’adresses à la mode – La Caravelle, Maxim’s ou Le Chantilly. Etoile montante de la gastronomie locale, il nourrit magnats de Wall Street et stars hollywoodiennes, chope de juteux contrats télévisés dont son propre show Ruggerio to go. Jusqu’à ce que le couperet tombe, le 2 juillet 1998. Au faîte de sa gloire, le cuisinier est accusé de fraude à la carte bancaire – une arnaque à 190 000 dollars. Face aux flics, Ruggerio confesse surtout avoir servi depuis ses débuts les intérêts du clan Gambino, une des cinq familles mafieuses new-yorkaises.
Marc Feren Claude Biart, 53 ans, n’est quant à lui pas un professionnel des fourneaux. Son truc, c’est le trafic de cocaïne entre la Sicile et les Pays-Bas pour le compte de la ‘Ndrangheta. Recherché depuis 2014, il coulait des jours heureux à Boca Chica en République Dominicaine. Ce citoyen au-dessus de tout soupçon pensait avoir trouvé la planque idéale. C’était le cas jusqu’à ce qu’il apparaisse furtivement dans un tuto cuisine uploadé par sa femme sur YouTube. Sa tête et son talent culinaire n’y sont peut-être pas visibles mais ses tatouages mettent la police sur sa piste. Fin de l’aventure.
La nourriture s’avère être un auxiliaire non négligeable dans la traque des criminels. En France, pour lutter contre les vols récurrents de palourdes, homards et plus particulièrement d’huîtres, les producteurs se dotent de faux coquillages équipés de traceur, permettant de suivre les mouvements suspects par GPS. Ailleurs, les services de police n’ont pas attendu qu’Interpol alerte en 2020 sur la recrudescence de l’utilisation des services de livraison de bouffe dans le transport de drogues pour s’adapter – enfilant même parfois les uniformes Deliveroo ou suivant les colis comestibles comme autant de miettes laissées par un malfrat distrait.
Servando Gomez Martinez, dit La Tuta, en a fait l’amère expérience. Ce baron de la drogue mexicain, à la tête du cartel des chevaliers templiers, tombe en 2015 à cause d’une banale livraison de son propre gâteau d’anniversaire. Traqué par les forces de l’ordre et les groupes d’autodéfense communautaires formés par les habitants de l’État de Michoacan, c’est sa petite amie Maria Antonieta Luna Avalos qui prend l’initiative de la commande fatale permettant aux policiers de restreindre une liste de dix planques potentielles à une seule et bonne maison. Le cake a été retrouvé intact dans le frigo.
Une pizza Domino’s conclut l’exil de Tonya Couch et de son fils Ethan, accusé d’être responsable de la mort de quatre personnes, arrêtés après avoir utilisé leur téléphone pour passer commande et se faire livrer dans la station balnéaire de Puerto Vallarta. Une autre dévoile l’endroit où se cache le couple formé par Sarma Melngailis et Anthony Strangis qui ont tapé 1,6 million de dollars dans la caisse de leur restaurant afin de couvrir d’importantes dettes de jeu. Même destin pour Renaldo Rose, cerveau derrière le kidnapping d’Eddie Lampert, à la tête d’un fonds d’investissement, et sa bande. Un acolyte de Rose aura le flair d’utiliser une des cartes de crédit de la victime pour acheter une pizza.
« L’idée qu’un morceau de nourriture ou de chewing-gum puisse constituer une preuve est encore assez subtile » – David Foran
Les progrès de la police scientifique permettent aujourd’hui de pincer des criminels grâce à d’infimes traces laissées sur des aliments. Comme le racontait Gigen Mammoser en 2016, c’est un morceau de cheeseburger de chez Wendy’s qui va mener à l’arrestation de Dominick Johnson et Nathan Benson, demi-frères partis sur les routes du Michigan dans une litanie de braquages à mains armées.
Le 8 janvier 2015, ils heurtent une congère en tentant de sortir du parking de la Old National Bank qu’ils viennent de dévaliser à Oshtemo Township. Benson, qui se charge du casse et Johnson, qui gère la fuite en bagnole, sortent du véhicule et parviennent à l’extraire du monticule de neige. Les deux acolytes poursuivent leur route sans savoir que, dans la précipitation, une moitié de sandwich a été éjecté de leur caisse et que ce morceau contient assez d’ADN de Johnson pour l’identifier et le mettre en cause dans l’opération – en plus des témoignages de plusieurs des témoins oculaires.
Une méthode similaire est appliquée à Washington, D.C. dans le quadruple homicide de l’affaire Savopoulos. La salive retrouvée sur une part de… pizza Domino’s aboutit à l’arrestation de Daron Wint, présent sur les lieux du crime. Interrogé en 2016 par VICE, David Foran, directeur du Forensic Science Program à la Michigan State University, notait le recours de plus en plus systématique à cette technologie, permettant à la bouffe de jouer un plus grand rôle : « Les enquêteurs ont conscience que ce genre de moyens existent. Ça fait longtemps qu’ils récupèrent des mégots sur les scènes de crime mais l’idée qu’un morceau de nourriture ou de chewing-gum puisse constituer une preuve est encore assez subtile. »
Carl Stewart, 39 ans, n’a pas eu besoin de laisser son empreinte génétique sur un repas pour être appréhendé. Ses empreintes digitales, visibles dans une photo publiée sous le pseudonyme de « Toffeeforce » sur EncroChat, un service de messagerie chiffré, d’un morceau Mature Blue Stilton (« délicieusement riche et crémeux ») de chez Marks et Spencer, mènent à son arrestation pour trafic de cocaïne, MDMA, héroïne et kétamine.
Parfois, la chute du criminel n’est qu’une question de malchance – ce Marshal du Kansas qui mange dans le même restaurant qu’un des fugitifs les plus recherchés du moment ou ce hooligan polonais accusé de meurtre qui bosse dans un Subway à quelques centaines de mètres d’un commissariat. Mais à chaque fois, la bouffe joue un rôle, comme pour rappeler que les origines du crime organisé prennent souvent racines dans le commerce des denrées alimentaires.
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