Émilie FRÈCHE – France 2022 1h38mn – avec Benjamin Lavernhe, Julia Piaton, Youssouf Gueye, Catherine Hiegel, Bruno Todeschini… Scénario d’Émilie Frèche et Gaëlle Macé.
Du 07/12/22 au 20/12/22
On vit tous un peu comme David : les yeux baissés, histoire de se protéger face aux choses trop lourdes qui nous entourent, sur lesquelles on pense ne pas avoir de prise à notre petit niveau… Kiné à Briançon, David partage sa vie entre son cabinet, sa nouvelle vie de famille avec Gabrielle, mère de deux gamins, qui a quitté son mari et Marseille pour le rejoindre, et ses escalades de fin de semaine, encordé à son flic de pote Vincent (nobody’s perfect), sur les vertigineuses parois alpines toutes proches.
Tout à ses patients et à sa recomposition familiale (ces choses-là ne sont jamais très simples), il n’aurait sans doute jamais vraiment prêté attention aux drames de l’immigration qui se jouent dans sa ville si, un soir de retour de virée montagnarde, le hasard n’avait mis, littéralement, Jocojayé, un de ces gamins perdus, en travers de sa route. Quasiment sous ses roues, pour être précis. Jocojayé est ce que l’administration appelle un MIE, un mineur isolé étranger. Un enfant qui a traversé un, parfois deux continents, par tous les moyens imaginables, qui a vécu un calvaire, traqué, enfermé, violenté, dans un voyage acharné vers l’occident et ses promesses, sinon de bonheur, du moins de conditions de vie décentes. D’abord guidé par la culpabilité et malgré la peur de poursuites judiciaires, David planque le gamin dans sa voiture, le réchauffe, le nourrit, avant de l’emmener au Refuge où, dit-on, une infrastructure gérée par une petite armada de bénévoles serait à même de le prendre en charge. Espérant bien sûr oublier là cette histoire pour s’en retourner à sa vie somme toute agréable. Mais voilà : on ne se débarasse pas comme ça de sa conscience. Les quelques scènes entrevues de la vie quotidienne au refuge, le chemin de croix qui attend Jocojayé pour se faire reconnaître comme MIE par des autorités qui préféreraient l’envoyer séance tenante au diable, les petits liens qui ont commencé à se tisser entre cet ado perdu et les enfants de sa compagne, conduisent instinctivement David à se rapprocher des bénévoles et à aider plus avant son jeune protégé.
Welcome, bienvenue dans les Alpes. Tout comme Calais ou la vallée de la Roya, la région de Briançon est un incontournable des parcours de la migration « illégale ». Comme ailleurs, il est si facile de faire abstraction et ne jamais voir les réfugiés traqués, planqués – qui pour l’essentiel ne sont que de passage, tentant d’échapper qui aux guerres, qui aux massacres, aux persécutions, aux famines ou tout simplement à la misère… Des ombres sur les bords des routes et des gros titres dans les journaux, à peine un caillou dans la chaussure des élus locaux. On les sait là, du fait de la forte présence des policiers et gendarmes qui, inlassablement, traquent et reconduisent à la frontière. Émilie Frèche a longuement enquêté, rencontré, discuté avec ces hommes et ces femmes qui, poussés par l’urgence, bravent les polices du monde entier. Elle a tout aussi longuement travaillé auprès des Briançonnais qui, comme les Calaisiens, comme le premier Cédric Herrou venu, offrent spontanément, sans tergiverser, du temps, de l’argent, de leur vie, pour venir en aide aux exilés en détresse. Passent leurs nuits en maraudes dans la montagne, accompagnent les enfants dans les démarches administratives, les habillent, les nourrissent, vont parfois jusqu’à les héberger… Par simple souci d’humanité. Les Engagés est le fruit de ce travail d’enquête, mis en histoire et en images, magnifiquement. Devant la caméra attentive de la réalisatrice, Benjamin Lavernhe campe énergiquement ce kiné de province, redresseur de tors, que les aléas la vie vont amener à se vouloir redresseur de torts. Au risque d’y perdre ses proches lorsque, passé de l’autre côté de la barrière, la police de son pays se met à le surveiller, à le harceler. Vous avez dit : « délit de solidarité » ?