Enseignement supérieur privé lucratif : la master class de l'arnaque

Enseignement supérieur privé lucratif : la master class de l’arnaque

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« J’ai mis vraiment du temps à arrêter de culpabiliser, de me dire que c’était de ma faute », évoque à mi-voix Elsa. La jeune femme a découvert l’année dernière que son diplôme, obtenu après son année de bachelor au sein de l’ENACO, n’était pas reconnu.

« Après mon BTS, je me suis inscrite en 3e année de bachelor dans cette école de commerce en ligne, qui coûtait 5 000 euros, et tout ça pour rien », grince-t-elle.

Son école de commerce ne délivre pas de titre RNCP, qui atteste d’un niveau de qualification professionnelle reconnu par l’État. De fait, son diplôme n’est reconnu que par la Fédé, une organisation européenne. Mais la jeune fille l’apprend bien des mois plus tard, en master 1.

« Comme mon diplôme de bac+3 n’est pas reconnu, c’est mon inscription même en master qui est remise en cause », regrette l’étudiante qui avait pourtant déjà commencé son mémoire. « Pour continuer en master, il faut que je repasse par une licence 3. Heureusement que j’ai effectué un BTS avant ce bachelor, j’ai au moins un bac+2 ! »

Des étudiants comme Elsa, l’avocat Théo Clerc en voit passer chaque année dans son cabinet parisien.

« Ils prennent conscience de la non-reconnaissance de leur diplôme a posteriori, observe-t-il. Soit lors de la poursuite de leurs études, soit en cas de reconversion professionnelle. »

Un de ses clients a travaillé dix ans dans l’hôtellerie, après avoir obtenu un obscur master. « Lors de sa reconversion dans le public, il a découvert que son diplôme n’était pas reconnu. De fait, dans la grille salariale, il est retombé au niveau licence. »

Qu’ils s’agissent de diplômes non reconnus, de fausses promesses d’apprentissage ou encore de frais de scolarité exorbitants pour des stages à l’étranger qui se déroulent finalement à Angers, les pratiques trompeuses des établissements de l’enseignement supérieur privé lucratif sont nombreuses, même si l’on peine encore aujourd’hui à savoir combien d’étudiants sont inscrits dans ces formations.

Des diplômes très faux

En décembre 2022, la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF) avait constaté, en enquêtant sur 80 établissements apposant dans leur communication des labels de diplômes « contrôlés par l’Etat », que 30 % d’entre eux présentaient des pratiques frauduleuses.

Les enquêteurs avaient notamment identifié l’utilisation de termes tels que « licence », « master » ou « doctorat » ou d’un terme approchant, alors que l’établissement n’était pas habilité à délivrer ces diplômes. La DGCCRF notait par ailleurs que « dans la communication de plusieurs établissements, l’usage de mentions valorisantes dépourvues de toute justification vérifiable a été constaté comme, par exemple, des mentions sur l’employabilité post-diplôme ou sur des partenariats non formalisés avec des grandes entreprises. »

« On constatait beaucoup cette tromperie sur les termes, par exemple entre master et mastère, il y a quelques années, explique Théo Clerc. Mais depuis, il y a eu un effort de clarification. En revanche, les enjeux autour de la valeur du diplôme et de sa reconnaissance sont toujours aussi obscurs pour les familles. »

Il faut dire que le marché n’a cessé de se complexifier, regrette Arnaud. Enseignant en sciences économiques et sociales dans un lycée de Cergy-Pontoise (95), et à ce titre amené à conseiller dans leur orientation les élèves dont il est le professeur principal en Terminale, il s’est formé seul sur l’enseignement supérieur privé. « Ma première année d’enseignement a aussi été la première année de Parcoursup. Il me fallait répondre aux multiples questions des élèves. Et depuis, je continue. »

Avec ses élèves, Arnaud traque les informations sur les diverses écoles privées.

« Avant, j’avais un indice précis : lorsque l’on précisait que le diplôme était un bachelor, cela voulait dire que ce n’était pas reconnu par l’État. Mais depuis quelques années, certains bachelors ont le grade licence, et sont donc reconnus ! Sans compter l’apparition du Bachelor universitaire de technologie (BUT), diplôme d’État qui a remplacé le DUT… »

Pour l’enseignant, il est désormais nécessaire de faire ce travail en amont, « notamment auprès des jeunes dont les familles n’ont pas les codes et explications ». Lui le fait surtout « par conviction ». Outre l’enjeu social de l’orientation, « en tant que prof d’économie, j’en ai marre de voir mes élèves se faire avoir par des pseudo-écoles ».

Des écoles qui ferment du jour au lendemain

Le rapport de la DGCCRF pointe également des anomalies concernant les tarifs et les frais pas toujours justifiés. « Pas toujours justifiés, c’est le moins qu’on puisse dire ! » grince Mathilde. La jeune fille a encore en tête sa mésaventure au sein du campus d’Aix-en-Provence de la Campus Academy.

« J’avais trouvé cette école sur internet, avec plein de bons avis Google. Je me suis laissé convaincre, mais je me dis maintenant que c’était eux qui les avaient rédigés. »

La jeune fille s’inscrit alors en Bachelor stylisme au sein de cet établissement qui a été lancé par l’homme d’affaires Michel Ohayon, spécialisé dans la reprise d’entreprises en difficulté. Deux ans plus tard, l’établissement fermait ses portes, le 14 février 2023, laissant Mathilde et 250 étudiants sur le carreau.

« J’aurai dû voir les signes avant-coureurs : les élèves et les professeurs partaient, on avait même eu des coupures d’électricité… », se rappelle la jeune fille. Mais, avec ses parents, elle est alors inquiète de son diplôme et espère beaucoup de ses stages. Aussi, lorsqu’en première année, l’école lui demande de payer sa deuxième année avant le mois d’avril, elle s’exécute.

« Ils argumentent que si l’on payait tôt, on aurait une réduction de 1 000 euros. Sur ce coup, j’ai vraiment été naïve… »

En mars 2023, avec une trentaine d’autres camarades, Mathilde a déposé une plainte pour escroquerie.

« Mes parents ont perdu plusieurs milliers d’euros. En encore, j’ai de la chance : certains de mes camarades ont dû emprunter et payer jusqu’à 15 000 euros, pour n’avoir aucun diplôme à la fin. »

Récupérer les recalés de Parcoursup

La jeune femme se souvient d’avoir choisi la Campus Academy aussi parce que ces formations « recrutaient hors Parcoursup ».

Désormais, « les élèves ont compris que les formations hors Parcoursup sont loin d’être toujours gage de qualité. Malgré tout, le recrutement hors de la plateforme reste encore un bon argument », constate Arnaud. L’enseignant francilien voit, chaque année, des élèves refusés ou en attente sur Parcoursup se tourner vers des formations privées.

« Ils veulent faire du commerce ou du marketing et découvrent des formations sur l’e-sport, l’e-communication, des secteurs assez nouveaux. Surtout, cela leur permet d’échapper à l’attente de Parcoursup : ce sont souvent des élèves avec un niveau très moyen, qui se retrouvent en bas des listes d’attente. »

Il faut dire que les établissements usent et abusent de la communication et du marketing pour cibler ces étudiants. Dans leur rapport rendu public en avril dernier, les députées Béatrice Descamps (Liot) et Estelle Folest (MoDem) évoquent l’arsenal marketing de ces établissements,« efficace, offensif et parfois trompeur ». Les élues constatent que les discours publicitaires mentionnent très souvent Parcoursup en jouant notamment sur les angoisses et incertitudes des élèves et des familles.

Dans d’autres filières en tension, comme le droit, l’avocat Théo Clerc a vu apparaître des formations privées post-licence, dans la foulée de la mise en place de la sélection en première année de Master :

« Des étudiants qui ont validé une licence de droit, qui ne sont pas pris en Master 1 se tournent vers le privé lucratif avec l’espoir de revenir dans le public en 2e année. Mais comme leur diplôme n’est pas reconnu, cela est impossible. »

C’est peut-être ainsi que l’enseignement supérieur privé lucratif va évoluer, en s’adaptant aux nouvelles politiques sélectives du public.

Retrouver notre dossier « Le privé à l’assaut de l’enseignement supérieur »

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