Le résultat a de quoi surprendre, mais il est bien établi par l’analyse : l’Etat-providence a beau être plus restreint aux Etats-Unis qu’en Europe, les plus pauvres en sortent là-bas mieux lotis – relativement à leur situation de départ – que ceux du Vieux Continent !

Ce résultat vient d’être remis sur le devant de la scène par Christopher Pope avec une étude du Manhattan Institute, un think tank américain très conservateur. Mais il ne sort pas de nulle part puisqu’on le trouve déjà dans une étude publiée fin 2021 par le World Inequality Lab de l’Ecole d’économie de Paris, sous la plume de Thomas Blanchet, Lucas Chancel et Amory Gethin.

Pour autant, la façon de lire ce résultat diffère du tout au tout entre les deux travaux.

Le modèle social américain supérieur au modèle social européen ?

Partons de l’étude d’origine. En s’appuyant sur les données de 2017, les économistes français montraient que les 50 % des Américains les plus pauvres reçoivent en transferts nets l’équivalent de 6 % du revenu national, contre 4 % en Europe de l’Ouest et du Nord et 3 % en Europe de l’Est.

L’un des éléments d’explication tient à ce qu’ils sont moins taxés que leurs homologues européens, leur taux d’imposition global étant environ moitié moindre. La conclusion de l’étude est claire :

« La redistribution semble réduire davantage les inégalités aux Etats-Unis qu’en Europe, malgré des niveaux globaux plus faibles d’impôts et de transferts observés aux Etats-Unis. »

Christopher Pope part de ce même constat. Il commence par expliquer que, du fait des cotisations sociales et des impôts indirects type TVA élevés en Europe et qui pèsent relativement plus sur les revenus des 50 % les plus pauvres, ces derniers sont moins taxés de l’autre côté de l’Atlantique.

Alors que l’Europe prélève sur ses travailleurs pauvres pour financer les retraites et les allocations chômage de tout le monde, y compris des plus riches, les Etats-Unis ciblent les impôts sur les plus riches et les aides sur les plus pauvres. Et si, finalement, les inégalités sont plus fortes aux Etats-Unis, c’est parce que les riches Américains gagnent beaucoup plus que les riches Européens.

Il n’en reste pas moins, concluait le chercheur du Manhattan Institute, que le modèle social américain, plus redistributif, est supérieur au modèle social européen.

En réalité, l’Europe redistribue plus

Mais attention : ce n’était pas du tout la conclusion des économistes français. « Les 50 % du bas sont tellement pauvres aux Etats-Unis que la redistribution est nécessaire pour que le système social tienne », nous explique Lucas Chancel.

Un constat déjà effectué dans l’étude de 2021 : « L’Europe a eu beaucoup plus de succès que les Etats-Unis pour s’assurer que les groupes à faible revenu bénéficient d’emplois relativement bien rémunérés. » Autrement dit, si la redistribution se doit d’être aussi forte envers les travailleurs les plus pauvres aux Etats-Unis, c’est parce que leurs revenus primaires y sont bien plus faibles que chez nous.

D’ailleurs, si l’on regarde la redistribution vers les 20 % les plus pauvres, on trouve un niveau équivalent des deux côtés de l’Atlantique. Preuve que ce sont plutôt les déciles 3, 4 et 5 (ceux situés entre les 20 % les plus pauvres et les 50 % les plus riches) qui en bénéficient aux Etats-Unis plutôt que les très pauvres, souligne le chroniqueur du Financial Times Martin Sandbu.

Enfin, lorsqu’on va au-delà des simples transferts monétaires pour élargir l’analyse à l’impact de l’accès aux services publics (santé, éducation…), le constat est clair : l’Europe (la France notamment), redistribue bien plus que les Etats-Unis.

Une fois tout pris en compte, « on part avec moins d’inégalités primaires et on finit avec moins d’inégalités après redistribution. Nous disposons d’un modèle social plus protecteur en Europe », conclut Lucas Chancel.

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