Toute les photos sont de Kévin “DroidXace” Hatterer.
Sur la scène du grand hall de la Seine musicale, à Boulogne-Billancourt, les matchs du championnat français de League of Legends s’enchaînent face à un public surexcitée en cette soirée caniculaire du jeudi 21 juillet 2022. Banderoles, bâtons gonflables et cris de guerre sont présents. Depuis la crise sanitaire qui a frappé le monde entier en 2020, ce genre de spectacle en physique se fait encore plutôt rare et nombre des fans présents ce soir n’auraient manqué ça pour rien au monde. Si la plupart d’entre eux ont joué la sobriété en portant un maillot de leur équipe préférée, un fan en particulier se distingue de la foule.
Dans un costume de vache premier prix, résolument trop épais pour passer un moment agréable dans la moiteur chaude de la salle en délire, Abraham Kindo, 30 ans, essaie tant bien que mal de se frayer un chemin dans la foule. Une cloche à la main, il frappe en rythme sur son instrument, entraînant dans son sillage un concert d’applaudissements passionnés et cacophoniques. Autour de lui, les fans de League of Legends le connaissent bien. Depuis cinq ans, ce garçon au costume de vache se rend systématiquement à toutes les rencontres importantes de son jeu favori dans ce même déguisement qu’il a acheté à bas prix dans une petite boutique près de chez lui.
« Au départ, c’était juste censé être une blague, s’amuse Abraham, quelques jours après l’événement. Mais j’ai eu tellement de retours positifs quand je suis arrivé déguisé la première fois que c’est devenu mon petit plaisir personnel de remettre ça dès que je peux. » Au téléphone, cet ingénieur en informatique rennais ne manque pas d’enthousiasme lorsqu’il s’agit de parler de l’origine de son costume. « En 2017, c’était la première fois que les championnats d’Europe de League of Legends avaient lieu en France et j’avais réussi à avoir des billets. Alors je me suis dit que ce serait amusant de trouver une façon de me démarquer lors de l’événement. »
Comme un signe du destin, une simple blague lancée par un commentateur à propos d’un nouveau skin sorti sur le jeu lui donne l’idée tant attendue. Ce nouveau skin qui fait tant parler de lui est un Minotaure déguisé en vache qui tape frénétiquement sur une cloche… Voilà qui suffit à enflammer de nombreux fans du jeu. Animateur de formation et amateur de déguisements en tous genres, Abraham n’hésite pas une seconde et se rend dans la boutique de déguisement la plus proche pour récupérer son fameux costume, un masque et une cloche de batterie : pour coller un maximum au véritable son du skin.
« C’est clairement ce qu’on peut appeler un cosplay bricolage, j’avais mis un oreiller sur le ventre pour avoir l’air plus gros et c’était tout. J’avais presque honte de recevoir autant de compliments sur mon déguisement alors que le rendu était quand même très loin de ce que peuvent faire de vrais cosplayeurs amateurs. » Mais le principal intérêt de son costume n’est pas vraiment esthétique. Il est surtout sonore. Devant le stade où se massent des milliers de fans prêts à en découdre, il se lance dans des rythmes endiablés qui font vibrer le public.
« Au début tout le monde était étonné parce que c’est assez rare d’avoir des cosplays bruyants », se souvient Abraham avec un brin de nostalgie. « Je pense qu’une des raisons pour laquelle ça a très vite été accepté et intégré par la communauté, c’est que l’une des présentatrices phares de la scène esportive mondiale a pris une vidéo de moi et l’a publiée directement sur les réseaux sociaux. » L’année suivante, lorsqu’il se rend à l’une des plus importantes rencontres internationales sur le jeu, le Mid-Season Invitational, qui a lieu à Paris, il fait alors la rencontre d’une deuxième vache visiblement très inspirée par l’initiative d’Abraham. Ensemble, ils auront même la chance de monter sur la scène du Zénith devant plus de 6 000 personnes.
Cinq ans après avoir enfilé son costume pour la première fois, Abraham n’a rien perdu de sa fantaisie. Toujours avec la même cloche et le même déguisement un peu défraîchi, Abraham fait désormais partie intégrante du foklore qui entoure la communauté des fans de League of Legends. Car, dans ce jeu de stratégie – comme dans toute discipline compétitive – il existe un certain nombre de codes, de règles et de traditions que les fans connaissent et respectent instinctivement. Des chants de supporters que tout le monde connaît par cœur, aux pas de danse absurdes répétés depuis les gradins, jusqu’aux mascottes mignonnes et bigarrées qui s’invitent à toutes les rencontres décisives. Tout un folklore célébré par les communautés de fans qui semble presque absurde et ridicule pour toute personne n’ayant jamais mis un pied dans un stade.
Autour de lui, les fans de plus en plus motivés se sont organisés en groupes pour soutenir leurs équipes armés de leurs tambours et de leurs drapeaux. « La communauté française des fans de League of Legends a toujours été très créative, confirme Abraham. On chante, on danse, on crie, on se déguise. Après tout, ce n’est pas pour rien défend le titre de meilleur public du monde. »
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