« Le matin, j’allume mon ordinateur mais je n’ai envie de rien faire, je n’ai pas envie de répondre aux e-mails, pas envie de travailler sur mes projets en cours, je n’ai envie de rien », raconte avec une profonde lassitude Léo, 32 ans, chargé de projet dans un cabinet d’architecte. Depuis le début de la crise sanitaire, il a perdu toute ambition professionnelle et surtout tout intérêt pour le monde du travail en général. 

Après de longues études et une grande école, il a enchainé les opportunités pour monter les échelons et obtenir un “bon salaire”. « C’est quand on a été confiné que j’ai redécouvert ma femme et ma famille. Je n’ai pas envie de revenir à une vie où je rentre explosé chez moi à 20h. J’ai compris qu’il y avait une autre vie en dehors du taff. » Petit problème, comme pour la plupart des Français, Léo n’a pas d’autres choix que de continuer de travailler. Il n’est pas rentier et la retraite n’est pas prête d’arriver, alors il continue de se lever tous les matins pour gagner sa vie.

À la rédaction de VICE France, nous avons reçu presque 400 réponses à notre appel à témoignage de Français ressentant ce besoin, comme Léo, de tout arrêter. Si tout le monde a déjà rêvé de gagner au loto et ne plus jamais avoir besoin de travailler, le phénomène semble s’être accéléré ces derniers mois. 

Photo de LumiNola - Getty images​

Un cadre qui se demande pourquoi il bosse. Photo de LumiNola – Getty images​

Karine Sacco Pluquet, psychologue et psychothérapeute, voit de plus en plus de profils de ce genre dans son cabinet depuis le début de la crise sanitaire. « Avec le Covid, les gens se sont rendu compte qu’ils pouvaient s’épanouir autrement. J’ai beaucoup de patients qui n’en peuvent plus. Certains sont pour le revenu universel, qui va avec l’idée de vivre avec beaucoup moins d’argent, consommer moins mais prendre enfin le temps de vivre. » Pour la spécialiste, cette pause a mis en lumière un système vieillissant où les travailleurs dédient uniquement leur journée à leur travail et aux transports. Chez ses jeunes patients, elle remarque un souhait de s’investir dans quelque chose qui les touche personnellement comme des associations humanitaires. 

La psychologue tente de raisonner ses patients lorsqu’ils lui expriment le souhait de tout arrêter et ne plus rien faire, des signes avant-coureurs de dépression. « Il y a un décalage entre ce qu’ils souhaitent vivre et la réalité. Ce que j’essaye de leur faire comprendre, c’est qu’arrêter complètement de travailler ne va pas forcément les rendre plus heureux ou épanouis. Il faut forcément une occupation mais il faut qu’elle ait du sens. Et ça change complètement selon les personnes, pour certains ce sera s’occuper de sa famille par exemple ». 

Inès, 28 ans, a justement franchi le cap en 2022. Community manager, elle a accouché de son deuxième enfant, il y a quelques mois, et ne souhaite plus jamais travailler. « Je suis passée par plusieurs emplois dans ma vie et le seul moment où je me sens épanouie c’est quand je m’occupe de mes enfants. Ceux qui pensent que ce n’est pas un travail n’ont jamais vu tout ce qu’une mère au foyer faisait en une journée. » Entre les couches à changer, le ménage, la douche des enfants, la cuisine et l’organisation des activités extrascolaires, Inès n’a pas de quoi s’ennuyer.

« On peut nous considérer comme des profiteurs mais on a fait le choix d’abaisser notre train de vie pour que j’arrête de travailler inutilement. Tout le monde n’en est pas capable »

La jeune mère s’accorde tout de même un peu de repris tous les après-midi où elle part se balader en ville ou reste devant un film à la maison. « C’est ça dont je rêvais quand j’ai décidé d’arrêter de travailler ». Encore en congé maternité, son conjoint et elle ne se soucient pas encore de l’arrêt définitif du travail d’Inès. Cette dernière espère toucher le RSA qui lui permettra, grâce à l’arrivée de son deuxième enfant, d’obtenir un peu plus de 1 100€ par mois. « On peut nous considérer comme des profiteurs mais on a fait le choix d’abaisser notre train de vie pour que j’arrête de travailler inutilement. Tout le monde n’en est pas capable », affirme Inès, toujours sur la défensive quand on l’interroge sur son choix de vie.

Et s’il était possible de ne plus suivre le modèle du métro, boulot, dodo ? Combien de personnes en rêvent en secret ? En ce moment, certains secteurs, réputés pour leur difficulté et leur faible rémunération, peinent à recruter. Hôtellerie, bâtiment ou encore restauration font partie des métiers qui ont perdu le plus de personnels depuis le début de la crise sanitaire. Selon l’enquête mensuelle de la Banque de France réalisée auprès de 8 500 entreprises, elles étaient plus d’une sur deux, début janvier 2022, à déclarer avoir des difficultés à embaucher du personnel. Cependant, si des patrons ont des difficultés à embaucher, nous sommes loin d’un phénomène de grande démission comme aux États-Unis. Selon l’Insee, il y a même plus de Français salariés cette année qu’avant l’arrivée du Covid-19. Du côté des Américains, les démissions n’ont jamais été aussi importantes dépassant la barre des 4,5 millions fin 2021. Un phénomène massif, surnommé “La Grande démission”, imputé aux salaires extrêmement bas et aux horaires à rallonge des travailleurs.

« Repenser la place du travail et son organisation peut avoir des effets très positifs sur le plan de la santé, comme sur les plans écologiques ou éducatifs. »

L’arrêt du travail complet ou le télétravail a été une occasion unique de s’arrêter ou du moins de ralentir et prendre de la distance avec son emploi. Pour la sociologue du travail, Aurélie Jeantet, le Covid aura un impact à long-terme sur notre vision de l’emploi. « Depuis la révolution industrielle, il y avait une séparation très nette entre temps personnel et espaces de travail. Avec le télétravail, il y a une porosité entre ces deux sphères qui s’est créée. On peut ainsi espérer une meilleure prise en compte des émotions au bureau avec une attention à soi et aux autres. Repenser la place du travail et son organisation peut avoir des effets très positifs sur le plan de la santé, comme sur les plans écologiques ou éducatifs. ». 

Si la démission reste un fantasme que peu de Français assouvissent, ce souhait peut faire ressortir le pire comme le meilleur de chacun d’entre nous. Les confinements à répétition nous ont démontré notre facilité à nous complaire dans une routine où le moindre effort devient insurmontable et où tout est repoussé au lendemain. Mais s’interroger sur son emploi, c’est aussi chercher des solutions et tenter de voir le monde du travail plus sainement : s’accorder plus de temps, changer de métier et trouver enfin un emploi épanouissant… Ou s’agit-il d’une utopie de startupper qui cherche à nous faire croire que le travail est une partie de plaisir ? Peut-être bien.

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