Dans le cas d’Aïcha* (23 ans), le vaginisme résulte des tabous et de la culture du silence dans laquelle elle a grandi. « Le vaginisme est également fréquent chez les femmes issues de milieux religieux, souvent musulmanes, ajoute la Dr. Ahankour. Surtout si elles ont grandi dans une famille où la sexualité était peu ou pas abordée. Ça peut créer une culture de la peur qui va de pair avec un intérêt marqué pour la préservation de l’hymen. La peur est le moteur du développement du vaginisme. »
À l’indicibilité de la sexualité s’ajoutent souvent des attentes indicibles : les musulmanes sont censées préserver leur honorabilité, ou plutôt leur virginité. La Dr. Ahankour le confirme : « Cette idée est inculquée dès le plus jeune âge, et provoque la peur du contact sexuel dès la puberté. Mais cette peur peut aussi résider dans les fréquentes histoires entendues sur des expériences négatives et des douleurs attendues. » Par conséquent, de nombreuses jeunes filles musulmanes décident très tôt de ne pas avoir de relations sexuelles avant le mariage.
« Inconsciemment, un mécanisme de défense se met en place, de sorte que la transition éventuelle vers une relation sexuelle n’est pas évidente, explique-t-elle. C’est difficile de se défaire de son imaginaire et de s’ouvrir à une relation intime d’un moment à l’autre. L’abstinence augmente aussi le seuil de capacité à entrer dans une relation de la sorte, la peur du contact sexuel ne disparaît pas du jour au lendemain ». Traiter le vaginisme ne peut se faire qu’avec l’aide de la psychothérapie et d’une thérapie du plancher pelvien.
Maintenant qu’elle en a conscience, Aïcha remet tout ça en question : les choix qu’elle a faits dans sa jeunesse, les obligations qu’elle s’est imposées et l’image idéale qu’elle se faisait de son avenir. Elle nous a parlé de son expérience personnelle.
Cette année, j’ai consulté une gynécologue pour la première fois de ma vie. Autour de moi, on dit qu’il ne faut y aller que lorsqu’on est sexuellement active. N’ayant jamais eu de rapports sexuels auparavant, j’ai jamais ressenti le besoin d’y aller. Mais comme je souffrais à cause de mes règles, j’ai quand même décidé de prendre rendez-vous. Ça a été une expérience étrange et douloureuse. Le moindre contact me faisait mal. Selon la gynécologue qui m’a examinée, c’était une réaction anormale. Après une longue discussion, elle a su déterminer la cause de mes souffrances. J’étais atteinte de vaginisme. J’en avais déjà entendu parler, mais je pensais que ça ne survenait qu’après un viol ou une agression sexuelle. En réalité, les causes sont multiples. Les idées préconçues sur l’intimité viennent de ton environnement et jouent un rôle important sur ton développement. Si tu grandis dans un milieu où ce qui touche à l’intime est tabou, où règne une culture du silence, ce qui était mon cas, tu développes automatiquement une peur de l’intimité.
Depuis que j’ai découvert que j’étais atteinte de vaginisme, je remets tout en question. Je m’interroge beaucoup, je commence à tout réanalyser : le passé, les choix que j’ai faits et les objectifs que je me suis fixés pour l’avenir.
J’ai grandi dans une famille musulmane. À la maison, on ne parlait jamais de sexe. C’était et c’est toujours un tabou. On m’avait même pas parlé du fait que les relations sexuelles n’étaient autorisées que dans le cadre du mariage, je l’ai appris par l’intermédiaire de mes ami·es musulman·es. Je savais donc pas non plus qu’en tant que femme adulte, il est vivement conseillé d’aller au moins une fois chez un·e gynécologue. Si j’avais pas eu mes règles, j’y serais jamais allée. J’aurais pas non plus su que j’étais atteinte de vaginisme. Ou du moins pas avant d’avoir eu des rapports sexuels, ce qui aurait été une expérience très désagréable. Qui sait, j’aurais peut-être encore pensé que cette énorme douleur était normale.
Dès l’adolescence, j’ai commencé à me chercher, moi, mon identité, mes racines, ma religion. Je voulais savoir qui j’étais et qui je voulais être. Je voulais savoir pourquoi je croyais, et ne pas me contenter de croire parce que c’est ce que j’avais reçu comme éducation à la maison. Plus je lisais, plus je me sentais proche de l’islam. Et parce que je voulais me protéger, j’ai décidé, quand j’étais jeune, d’attendre avant d’avoir des relations sexuelles. Je voulais pas avoir de première expérience désagréable. Je me suis dit que si j’attendais, ça allait forcément arriver avec la bonne personne.
Toutes les femmes qui choisissent d’attendre pour avoir des rapports sexuels ne développent pas un vaginisme. Tout dépend de la façon dont tu gères ça. Moi, je l’ai pris tellement au sérieux que c’est devenu toxique. Je m’imaginais devenir une mauvaise personne, que si ça se produisait c’était ma faute. Sans m’en rendre compte, j’ai commencé à développer une grande peur liée à tout ce qui touche à la sexualité. Attendre me semblait donc être la meilleure option – et la plus sûre.
Comme j’accordais beaucoup d’importance à l’abstinence, j’évitais tout ce qui pouvait mener au sexe. C’est pourquoi, à l’adolescence, j’ai jamais eu de petit ami, je voulais pas risquer de faire de « faux-pas ». Au début, ça m’a pas posé de problèmes. Mais en grandissant, et en m’ouvrant davantage aux relations, le défi m’a paru de plus en plus grand.
Quand je me suis mise à sortir avec quelqu’un, je me sentais obligée de lui dire que je voulais attendre avant d’avoir des relations sexuelles. J’ai vite remarqué que les hommes étaient choqués par ça. J’ai souvent été nextée pour cette raison, même auprès des hommes musulmans, qui devraient pourtant comprendre. Peut-être se disaient-ils que je voulais me marier tout de suite ? Tout ce que je voulais faire comprendre, c’est que j’irai pas plus loin que le simple baiser. À chaque fois, mes relations finissaient par s’essouffler au bout d’un moment. Et puis un jour je me suis dit : si les hommes musulmans n’acceptent déjà pas ça, quid des hommes en général ? Je me sentais incomprise, comme une extraterrestre.
C’est à mes 21 ans que j’ai connu ma vraie première relation. Comme j’étais à l’aise avec mon copain de l’époque, j’ai cherché à flirter de plus en plus avec mes limites, en essayant de les repousser petit à petit. Au début, j’allais pas plus loin que de simples baisers, mais les préliminaires étaient la nouvelle limite que je me fixais. Je voulais pas aller au-delà. J’étais jamais complètement détendue non plus. Pendant ces moments intimes, j’essayais toujours de garder le contrôle de la situation, de peur que ça n’aille trop loin. Je me méfiais tellement que j’arrivais jamais à être totalement dans le moment. Rétrospectivement, je dirais que je me suis sentie très étrangère à moi-même. Je me sentais coupable parce que j’avais l’impression d’avoir fait une grosse erreur. J’avais pas réalisé à l’époque que cette culpabilité était aussi le fruit d’une culture du silence et d’attentes non exprimées dans laquelle j’ai grandi.
Je veux guérir. Que ce soit avec ou sans sexe, ça n’a pas d’importance pour moi. Je veux apprendre à envisager l’intimité d’une manière saine. Je consulte un psy et je suis une thérapie du plancher pelvien, une méthode qui consiste à apprendre à sentir les muscles du plancher pelvien et à les utiliser consciemment. C’est comme ça que j’essaie progressivement de changer mon état d’esprit.
L’environnement dans lequel j’ai grandi m’a laissée dans l’ignorance, avec une image toxique de ce que sont le sexe et l’intimité. Aujourd’hui, j’essaie de me libérer des vieilles conceptions des choses qui, finalement, étaient pour moi l’option la plus sûre pour avancer. Et même si je suis devenue plus critique, c’est toujours un défi. Car une fois qu’on s’est forgé un certain état d’esprit, c’est difficile d’en changer. C’est pas impossible, mais c’est pas facile. Quand on est enfant ou ado, on n’a pas conscience de l’impact de ses propres choix sur le reste de sa vie. C’est normal d’adopter les normes et les comportements de son entourage. Souvent, on ne les remet en question que plus tard.
Je pense qu’il y a beaucoup d’autres femmes musulmanes qui souffrent de vaginisme. Des femmes qui peuvent ou non choisir d’attendre, des femmes qui ont grandi dans un environnement plein de tabous, des femmes qui ne savent pas et continuent de penser que la douleur c’est quelque chose de normal. C’est maintenant évident pour moi que les tabous ont des effets négatifs sur nos vies. Mais pour les briser, on doit en parler. Il n’y a que comme ça qu’on pourra mettre fin à tout ce qui est toxique en termes d’intimité.
*Aïcha est un pseudonyme, en raison de la sensibilité du sujet et pour protéger son identité.