Sophie LETOURNEUR – France 2020 1h41mn – avec Marina Foïs, Jonathan Cohen, Jacqueline Kakou, Ayala Cousteau… Scénario de Sophie Letourneur et Mathias Gavarry.
Du 16/09/20 au 13/10/20
Claire, pianiste de renommée internationale, a la quarantaine rugissante. Altière, fière et bosseuse, sûre de son talent, elle fait vibrer des salles de concerts enthousiastes aux quatre coins du globe. Autant elle est vive, fonceuse et perfectionniste dans son art, autant la vie quotidienne lui semble une terre étrangère à la langue inconnue, parsemée d’inextricables contingences matérielles et d’obscures obligations tantôt sociales, tantôt administratives devant lesquelles elle a vite fait de perdre pied… Les choses étant tout de même bien faites, pour lui permettre d’avancer dans ce brouillard, Claire a trouvé en Frédéric la perle rare : mari passionné, agent intraitable, secrétaire méticuleux, garde du corps intransigeant, comptable scrupuleux, amant attentif, ami plein d’humour… Des billets d’avions aux contrats de concerts, des courses alimentaires aux prises de rendez-vous, des essayages de robes à la prise de sa pilule contraceptive, il gère, assume, organise, règle dans les moindres détails une vie qu’elle peut dès lors traverser comme en apesanteur, libérée de toute contrainte, en se consacrant exclusivement à la musique.
Cette belle mécanique bien huilée, qui reproduit en négatif le schéma habituel de la femme de tête et de ménage totalement dévouée au bien être de son « grand homme » (artiste, scientifique, politique…), aurait pu permettre à nos deux tourtereaux-voyageurs de filer des jours heureux ainsi que le parfait amour si, par un de ces hasards dont la Providence et les scénaristes ont le secret, Frédéric ne s’était pas retrouvé au cours d’un vol de nuit à assister maladroitement (mais avec succès) un toubib pour un accouchement un peu précipité. Dès lors, rien ne sera plus comme avant. Le désir de paternité va devenir pour lui une obsession grandissante, tandis que Claire, dont la fibre maternelle n’est pas extrêmement développée, ne comprend pas bien pour quelle impérieuse raison il faudrait transformer leur couple en famille, avec des conséquences pour le moins incertaines sur sa carrière professionnelle. D’autant que, jusqu’à preuve du contraire, c’est bien SON ventre qui deviendrait le laboratoire difforme de cette transformation familiale. Rongé par son obsession, Frédéric va tout tenter pour parvenir à ses fins – jusqu’à, puisqu’il a la main, jouer les apprentis-sorciers avec la contraception de sa compagne…
Impeccablement écrite, la comédie flirte en permanence avec un malaise diffus mais pas si désagréable. Le parti-pris initial, l’inversion des positions femme-homme dans la représentation du couple (occidental) traditionnel, est rapidement posé et sa logique poussée au maximum donne lieu, parfois subtilement, parfois avec une grâce réjouissante d’éléphant dans un magasin de porcelaine, à des effets comiques irrésistibles et salutaires – et Marina Foïs et Jonathan Cohen s’en donnent visiblement à cœur joie, dans des registres très différents. Avec, c’est un peu la signature des films de Sophie Letourneur, cette délicieuse sensation de liberté, d’imparable légèreté, cette impression d’improvisation permanente qui habille de naturel des situations de plus en plus improbables et ahurissantes à mesure que le film avance. Le masque renfermé de Claire, Buster Keaton féminin et lunaire, met bien ses quatre-vingt-dix minutes à se lézarder, sous les assauts du jeu exubérant de son partenaire, pitre décomplexé qui paraîtrait presque en roue libre si, au détour d’une phrase, d’un regard, on n’était régulièrement ramené au sérieux, à la gravité de ce qui se joue. Mine de rien, outre les relations de couple et de genre, la réalisatrice retourne contre la société l’injonction millénaire du désir de maternité. Et brode un conte aussi charmant que piquant qui dit avec une grande justesse les enjeux de la dépossession du corps de la femme pendant la grossesse. Une comédie instructive valant mieux qu’un long discours, on applaudit.