CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP
Mais concrètement qu’est-ce que ça fait de se lever le matin pour faire un métier qui est détesté par la majorité des gens ? Est-ce un choix délibéré ou un hasard qui a mené à cet emploi ? Comment le vit-on ? On a rencontré ceux qui sont dans le top 10 des métiers les plus détestés des Français pour connaître leur quotidien et savoir si cette haine est vraiment justifiée.
Policier
Guillaume*, policier en région parisienne depuis huit ans savait très bien dans quoi il s’embarquait lorsqu’il s’est entré en service. « Dès l’École nationale de police, tout le monde nous parlait du fait qu’on allait se manger pas mal de haine sur le terrain. » Une appréhension qui ne l’a pas arrêté et empêché de se tourner vers ce métier. Mais Guillaume regrette une certaine ambivalence de la part des Français : « On nous insulte, on nous crie “Tout le monde déteste la police” comme si on était tous pareils et on nous applaudit pour les attentats ou nous appellent lorsqu’il y a un problème ».
« J’ai déjà vu des collègues balancer quelques coups supplémentaires sur des personnes violentes qu’on arrêtait »
Le trentenaire qui voyait son métier comme une vocation s’avère déçu de sa capacité d’action. « On manque vraiment de moyens, aujourd’hui je n’arrive pas à faire ce que je voulais faire en devenant policier. Entre ça et la peur de se faire accuser de bavure lors d’une interpellation musclée, je pense de plus en plus souvent à arrêter. » S’il tient à rester anonyme, c’est aussi parce qu’il est conscient que certains de ses collègues ont « dépassé les bornes ». « On est loin d’histoire comme celle de Michel Zecler mais j’ai déjà vu des collègues balancer quelques coups supplémentaires sur des personnes violentes qu’on arrêtait ». Guillaume ferme les yeux sur ces pratiques et oublie petit à petit l’image qu’il se faisait du métier. « Peut-être bien qu’on a des raisons d’être détesté. »
Contrôleur RATP
Fatima contrôle depuis trois ans les titres de transport pour la RATP. C’est une offre d’emploi envoyée par un ami qui l’a amenée vers ce métier. « Je venais d’arrêter la fac de droit et j’enchainais les petites missions d’intérim en me demandant ce que j’allais faire de ma vie. » En effet, pour devenir contrôleur, la RATP ne demande aucun diplôme et propose un salaire bien au-dessus du SMIC. « Avec mes primes, je gagne 2100 euros net par mois, c’est bien mieux que ce que je pourrais trouver ailleurs alors que je n’ai que le BAC. » Mais cette paie ne compensent pas les insultes quotidiennes. Numéro 1 dans la liste des métiers les plus détestés de France, Fatima pense régulièrement à dire adieu au métier de contrôleur. « Je me suis déjà fait cracher dessus, insulter et j’ai déjà vu des collègues être agressés physiquement. C’est très fatiguant à la longue, selon certaines stations, on va vraiment au travail la boule au ventre. »
« Ce qui dérange beaucoup c’est qu’on se cache pour prendre les gens directement en train de frauder mais je ne pense qu’on mérite ce qu’on vit au quotidien »
Depuis quelques mois, plusieurs équipes sont maintenant accompagnées d’agents de sécurité RATP pour éviter les violences sur le terrain. « Je pense comprendre pourquoi on nous déteste, ce qui dérange beaucoup c’est qu’on se cache pour prendre les gens directement en train de frauder mais je ne pense qu’on mérite ce qu’on vit au quotidien. » Plusieurs fois par jour, Fatima fait face à des personnes qui refusent de présenter leur carte d’identité, d’obtempérer ou tout simplement de s’arrêter.
Avec le temps, la jeune femme a eu le temps de réfléchir au fonctionnement de la RATP et ce qui laisse à désirer à ses yeux. « Il faudrait faire comme plein de nos pays voisins où il y a des contrôleurs qui sont affectés à des gares et qui n’en bougent pas. Les gens s’habitueraient à devoir payer. » Pas de doute Fatima est bien une contrôleuse et elle n’aime pas « les excuses et les mythos » qu’on lui sert à longueur de journée pour éviter de payer. Elle espère monter dans la hiérarchie pour finir par éviter le terrain.
Trader pour une grosse banque
« On me dit généralement que soit c’est trop bien d’être trader soit que je suis un pauvre type ». Difficile de trouver le juste milieu quand on exerce un métier aussi rempli de préjugés. « Quand on dit trader, il y a un imaginaire collectif où on pense direct au Loup de Wall Streetqui se fourre le nez à ne plus savoir quoi en faire, qui fait tout le temps la fête et gagne des millions. » Pour Simon, qui travaille depuis six ans dans le trading, son métier souffre encore des stéréotypes des années 90. « Aujourd’hui, ce n’est plus du tout comme ça, tout est très réglementé. »
Le jeune trader évite de crier sur tous les toits son métier. Pour éviter les querelles, il raconte simplement qu’il travaille pour une banque. « Une fois dans un Uber, ça m’est arrivé de dire que j’étais trader et le chauffeur est parti au quart de tour. Il a commencé avec les grands préjugés et a fait exprès de me déposer deux rues avant mon lieu de travail » raconte-t-il en riant. Mais parfois, au contraire, son travail suscite la curiosité et on lui demande des conseils financiers.
« On pense forcément à des énormes rémunérations, on s’imagine des traders comme des gens qui ne foutent pas grand chose et qui gagnent beaucoup »
Lors de ses études, Simon ne se destinait pas particulièrement au trading. C’est une première expérience dans le domaine qui lui a donné envie de poursuivre dans cette voie. « Être trader, c’est juste mettre un prix sur l’information que ce soit une action ou un taux d’intérêt. C’est un exercice intellectuel très stimulant. » Ce dernier balaie de la main l’idée selon laquelle les traders sont extrêmement riches. « On pense forcément à des énormes rémunérations, on s’imagine des traders comme des gens qui ne foutent pas grand chose et qui gagnent beaucoup, dans la réalité ce n’est plus du tout ça. » Selon lui, ces dernières années ont complètement changé le métier où tous les excès étaient permis. Les banques restent encore très méfiantes vis-à-vis de leurs traders et préfèrent prévenir plutôt que guérir. Plusieurs amis traders de Simon ont déjà subi des tests urinaires pour vérifier s’ils ne prenaient pas de la drogue. Pour être trader il faut maintenant montrer patte blanche et non plus nez poudreux.
Huissier de justice
« J’essaye toujours de cacher partout où je vais que je suis huissier, dès que je le dis les gens froncent les sourcils et me jugent » raconte Arthur en se moquant. Ce dernier exerce depuis plus de dix ans la fonction d’huissier de justice. S’il a choisi ce métier, c’est principalement pour sa rémunération très attractive. « J’ai fait un IEP et je m’intéressais au droit mais je n’avais pas envie de m’embarquer dans un concours trop compliqué ou un métier qui ne paye pas si bien que ça comme avocat par exemple. » Ses 8 000 euros par mois de salaire lui permettent d’oublier aisément les difficultés de son métier et la haine qu’il reçoit régulièrement. « Être huissier de justice, ce n’est pas forcément sonner chez quelqu’un lui réclamer de l’argent, je suis aussi consultant juridique et je vérifie les exécutions de décisions de justice. Il n’y a que lorsque j’ai affaire aux gens sujets à des procédures judiciaires que ça peut se compliquer. »
« Ma copine avait clairement honte alors elle avait dit à son père que j’étais conseiller juridique sauf qu’il avait réussi à trouver mon nom dans l’annuaire des huissiers de justice de Paris »
Arthur a l’habitude d’être insulté et menacé et comprend même tout à fait pourquoi son métier est détesté. La seule fois où son métier d’huissier l’a vraiment mis en difficulté, c’est lors de la rencontre avec ses beaux-parents : « Ma copine avait clairement honte alors elle avait dit à son père que j’étais conseiller juridique sauf qu’il avait réussi à trouver mon nom dans l’annuaire des huissiers de justice de Paris. Je ne vous dis pas l’ambiance pendant le repas. » Avec le temps et l’expérience, Arthur a appris à gérer son stress et la pression du quotidien dans son métier. « On a besoin de gens comme moi et je suis bien content de le faire ».
Journaliste
David Unal a toujours voulu être journaliste. Petit, il faisait des JT et des reportages à l’aide du caméscope offert par ses parents. C’est donc logiquement qu’il s’est dirigé vers ce métier lors de ses études. Après son école de journalisme, il a intégré la chaîne d’info en continu BFMTV. Pas frileux, David Unal a donc choisi l’un des métiers les plus détestés en France en plus de travailler pour l’une des chaînes de télévision les plus critiquées. « Il y a des gens qui vont voir le côté prestigieux de passer dans une chaîne nationale et d’autres qui ne peuvent pas s’empêcher de dire quelque chose dès qu’ils voient notre micro bleu. »
« Je n’ai pas l’impression de manipuler. On est tout le temps en train de tout vérifier »
Passionné par son métier, il ne se voit pas travailler ailleurs mais exprime parfois une certaine lassitude face à la violence du terrain. « Quand on reçoit des torrents d’insultes une fois ou deux dans la semaine, ça va, mais quand c’est en continu, c’est un peu dur. » Si David Unal n’a pas de mal à remettre en question sa manière de travailler, il trouve cette défiance parfois injustifiée. « Parfois, on va t’alpaguer sur le terrain, tu vas commencer à discuter avec eux et en fait tu vas te rendre compte qu’ils ont nourri une défiance sur des éléments factuellement faux, avec des montages ou des fausses captures d’écran. »
« Je n’ai pas l’impression de manipuler. On est tout le temps en train de tout vérifier, il peut y avoir des erreurs mais c’est normal, on fait de l’info en direct 24h/24, ça peut arriver mais on fait tout pour l’éviter en tout cas. » Lorsqu’il a le temps et l’énergie, ce dernier tente de discuter du métier avec des passants un peu critiques sur le terrain ou lors d’interventions dans des lycées. « Certains ont du mal à concevoir qu’on n’est pas là pour donner notre opinion et qu’on est juste là pour donner une information. »
Parfois, sur le terrain, certains prennent leur défense, au plus grand plaisir de David Unal qui pense que le journalisme est encore un métier d’avenir. « Quand je vois les gens monter le son dans un café et écouter ce qu’on dit dans un duplex ou un reportage parce qu’ils veulent savoir ce qu’il se passe près de chez eux, c’est là que je vois que ce que je fais a de la valeur et est important. »
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