Go back to the Moyen Âge
En Europe, l’industrie du savon se développe au Moyen Âge. Produit de luxe, le savon est utilisé par les personnes aisées. Pour les classes moyennes, des bains publics sont aménagés dans les villes. Hélèna Collot, sage-femme et autrice d’une étude sur la toilette intime des femmes enceintes explique qu’au 18ème siècle, l’Église mettait son veto quant à ces bains, considérés comme des hauts lieux de tentations et de débauche. À cela s’ajoutait la prolifération de maladies comme la syphilis et la peste qui ont sonné le glas des bains publics. Fini les plongeons : tout le monde croyait que la dilatation des pores par l’eau chaude permettait à ces maladies de pénétrer l’organisme. La toilette devenait sèche.
« Une bonne couche de crasse sur la peau était alors l’astuce imparable pour se protéger contre l’infiltration des maladies par les pores », détaille Collot. Option cache-misère pour les odeurs nauséabondes : elles sont camouflées par des parfums forts comme le jasmin, la cannelle et le musc. Les femmes accrochaient par exemple des éponges parfumées sous leurs jupons. Seule une catégorie de la population se lavait à l’eau : les courtisanes et les travailleuses du sexe. C’était le début des problèmes pour la toilette intime des femmes.
L’eau, c’est pour les putes…
La toilette des femmes a nourri de nombreux fantasmes masculins à travers les siècles. Comme preuve, les incalculables œuvres représentant des femmes qui se lavent. Se nettoyer les parties intimes à l’eau devenait alors « un geste associé à la volupté, l’immoralité et à la contraception », déclare Hélèna Collot. La toilette des femmes était synonyme de préparation sexuelle, d’effacement des traces douteuses et de purification jusqu’à la prochaine partie de jambes en l’air dont le but n’était pas de concevoir un gosse. Elle n’est donc pas directement liée à l’hygiène mais à « l’impureté morale ». Du côté des classes aisées, la seule technique de toilette intime féminine utilisée était la douche vaginale (s’insérer de l’eau dans le vagin à l’aide d’une poire, un peu comme le lavement anal actuel). C’était l’un des seuls remèdes que la médecine occidentale proposait à cette époque, notamment pour « traiter l’appétit sexuel excessif des femmes » considéré alors comme une pathologie.
Le bidet est aussi apparu au 18ème siècle. Et il était très utilisé par les travailleuses du sexe. Elles y pratiquaient la douche vaginale à base de sel d’alun pour neutraliser le sperme et utilisaient des lotions astringentes à base de plantes pour resserrer leur vagin (des techniques toujours d’actualité et partagées sous forme de recettes de grand-mère). L’hygiène intime était donc toujours assimilée au libertinage.
Ces hommes qui se sont un peu trop intéressés aux parties génitales féminines
La quasi-totalité des expériences et théories « scientifiques » gynécologiques d’époque sont réalisées par des hommes. C’est ce que raconte Liv Strömquist dans sa BD documentée « L’origine du monde » où elle parle notamment « des hommes qui se sont un peu trop intéressés aux organes féminins ». Au 19ème, des ouvrages consacrés à l’hygiène intime des femmes pullulent. Leur sexe est considéré comme étant plus sale que celui des hommes par son anatomie. Les épouses étaient d’ailleurs encouragées à la propreté corporelle pour garantir un mariage pérenne (je vous ai trouvé un livre d’époque sur le sujet, c’est cadeau).
Les conseils prodigués aux femmes avaient essentiellement comme but de protéger le sexe masculin. Par exemple, le Dr. Monin déclarait : « une hygiène intime trop fréquente de la femme émousse la sensibilité du partenaire en empêchant la lubrification naturelle du gland ». L’hygiène intime s’est donc installée dans des contextes toujours plus compliqués pour les femmes à travers le temps.
Ils se font de la moula sur le dos de nos moules
Déodorants et savons, parfum pour vagin, maquillage pour vulve… Aujourd’hui, l’hygiène intime est généralisée. Les industriels en ont fait un bien de consommation qui se décline en une myriade de produits de toilette dits « intimes ». Selon la Chambre de Commerce et d’Industrie France Belgique (CCIFB), en 2019, le secteur des cosmétiques – les produits d’hygiène intime font partie de cette catégorie – représentait 2,3 milliards d’euros en Belgique, avec une hausse régulière de la consommation par habitant·e. En France, 19,3% des ventes du secteur des cosmétiques étaient consacrés à la toilette intime (2019). D’après The American Society for Aesthetic Plastic Surgery, la labioplastie (chirurgie de la vulve pour diminuer les lèvres) a augmenté de 217,3 % entre 2012 et 2017.
Zina Hamzaoui, sexologue clinicienne, sage-femme et autrice du livre Chut, Hchouma !, explique : « Les canons de beauté ont évolué au fil du temps. Aujourd’hui, les publicités basent leur idéal sur une vulve très claire, parfaitement symétrique, parfumée, épilée et jeune. Un idéal largement diffusé dans les contenus pornographiques mainstream ».
Transmission parent-enfant
Le comportement en matière d’hygiène génitale le plus fréquent est la douche vaginale. Les adeptes ont été le plus souvent initié·es à l’adolescence, auprès de leurs mères. Le témoignage de Katelyn va dans ce sens. D’origine américaine, elle me raconte que sa mère utilisait « a douche », un ustensile en forme de tube, pour la fameuse douche vaginale. Pour Ines*, bruxelloise, il s’agissait plutôt d’utiliser des savons intimes car sa maman le faisait. « J’ai arrêté parce que ça me provoquait des démangeaisons », précise-t-elle.
Certaines personnes utilisent également des techniques de lavage particulières pour se sentir « propres et fraîches ». Des concepts inhérents aux publicités de protections hygiéniques. À travers l’histoire, beaucoup de cultures ont partagé l’idée que le sang des règles est impur et même toxique. Narjisse, elle, n’a jamais eu recours à ces techniques d’hygiène. Elle se souvient toutefois que ses potes vantaient les mérites d’huiles à appliquer sur la vulve lors des règles pour atténuer les odeurs. « J’ai déjà pensé à l’utiliser mais entre-temps je me suis informée et j’ai abandonné l’idée qui semblait dangereuse pour ma vulve. »
Comme au Moyen Âge, il existe aussi des personnes qui utilisent toujours des solutions faites maison. Antiseptique, eau vinaigrée, bicarbonate de soude, citron tout est bon pour faire briller la vulve. Largement diffusée sur les réseaux sociaux, la tendance actuelle est d’ailleurs aux spas vaginaux et au musc intime – des remèdes ancestraux qui avaient du sens à une certaine époque mais qu’il est préférable de ne pas réaliser seul·e dans votre salle de bain.
Pourquoi le vagin sent parfois le poisson pourri ?
« Un vagin qui ne sent pas bon peut aller jusqu’à l’odeur du poisson qui pue », signale Zina Hamzaoui. Ce n’est évidemment pas l’odeur qu’est supposée dégager vos parties intimes. Que doit sentir un vagin ? « Ni bon, ni mauvais, ni la vanille, ni la violette », affirme la sexologue. Il s’agit d’une odeur neutre, non interpellante. Ce qui permet de savoir si le vagin va bien, c’est justement l’odeur mais aussi l’aspect des sécrétions vaginales et les démangeaisons. Si votre vagin dégage une odeur désagréable, c’est donc qu’il y a un souci.
Zina Hamzaoui cite plusieurs raisons qui provoquent une odeur rebutante. Et parmi elles figurent l’excès d’hygiène. Laver sa vulve à outrance et en plus avec des produits inadaptés peut causer des irritations. Elle poursuit : « C’est un cercle vicieux. Un vagin peut sentir mauvais suite à une infection, au stress, à la prise d’antibiotique ou à un changement hormonal. Le premier réflexe va souvent être d’appliquer des agents perturbateurs : savons, serviettes hygiéniques parfumées, protège-slips… La flore vaginale se sent attaquée et va donc s’auto défendre. Les odeurs vont se déployer. Plus on se lave avec des produits inadaptés, plus ça sent, plus ça donne envie de se laver. »
Comment (vraiment) prendre soin de votre vulve et de votre vagin?
Le vagin est autonettoyant, il ne faut donc jamais y mettre des lotions lavantes, ni de l’eau. Vous devez uniquement laver les parties génitales externes, les grandes et petites lèvres à l’eau claire. Il faut également porter des (sous-)vêtements adaptés. « Nous ne sommes pas supposé·es porter des strings en dentelle », alerte la sexologue, qui préconise plutôt les culottes en coton et les habits qui ne serrent pas le bassin. Une trop grosse consommation de sucre peut aussi perturber la flore vaginale, provoquer la prolifération de champignons et engendrer des démangeaisons.
Si vous remarquez des changements au niveau de vos sécrétions, pas de panique : elles peuvent varier en fonction de votre cycle. Si elles sont jaunes ou verdâtres et que vous souffrez de picotements et/ou d’une odeur désagréable, n’hésitez pas à consulter un·e gynécologue – les infections peuvent être vaginales ou urinaires. Une prise en charge rapide et à moindre coût est possible dans les plannings familiaux. Surtout, ne vous lavez pas avant votre consultation, sinon vous faites disparaître les symptômes cliniques et cela rendra difficile un diagnostic. Aussi, sachez que les infections peuvent mener à des douleurs lors des rapports sexuels pénétratifs.
Pensez à vous nettoyer d’avant en arrière lorsque vous allez à la selle. Les matières fécales ne doivent jamais être en contact avec votre vulve. La flore anale est différente de la flore vaginale et peut provoquer des infections bactériennes dans votre vagin !
Enfin, dédramatisons. Votre flore peut être perturbée de manière éphémère. Pas de raison de mettre un sapin magique dans le vagin. Chouchoutez votre vulve en prévention pour éviter les (graves) infections !
*Nom d’emprunt.
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