Après avoir enquêté sur les restaurants et boulangeries qui diffusent de fausses odeurs de nourriture et écrit un article sur l’odeur de l’espace, on ne pouvait que se rendre à ce tout premier meeting politique olfactif. Présenté comme une première mondiale, le site Mélenchon 2022 résume le projet en une phrase : « Pour la première fois dans le domaine politique, la technologie ScreenX, un système de multi-projection sur quatre écrans, et la technologie olfactive, seront utilisées pour un meeting de campagne présidentielle. » Ni une, ni deux, on a réservé notre place. Ce n’est pas la première fois que le candidat à l’élection présidentielle propose des meetings de ce genre. En 2017 déjà, lors des dernières élections, il avait proposé plusieurs meeting simultanément dans différentes villes françaises en se clonant à l’aide d’hologrammes.

Pour cette nouvelle expérimentation où on espère sentir de bonnes odeurs, le candidat a choisi la ville de Nantes et son Parc des expositions pour accueillir 3 000 personnes. En pleine crise sanitaire, son équipe de campagne affirme limiter au maximum les risques. En effet, des masques FFP2 sont distribués à l’entrée et il est formellement interdit de se lever une fois le meeting débuté (ce ne sera pas vraiment le cas). Quelques jours avant le début de l’événement, on s’interroge sur les odeurs qui pourraient représenter le candidat. Difficile d’allier politique et odeur plaisante. On imagine seulement l’odeur du café qu’ils doivent ingurgiter à longueur de journée. Bien entendu, on se doute que cela sera en lien avec son programme.

Malheureusement, un député LFI nous spoile sur Franceinfo. « Concernant les odeurs, le député veut garder la surprise, mais recommande de regarder les thèmes qui seront développés : la mer, l’espace et le numérique » raconte Éric Coquerel. Ça a quel genre d’odeur pour vous le numérique ? Il y a de quoi nous inquiéter encore plus. La réalisation de l’événement a été confiée au scénographe, David Mathias, qui a travaillé sur différents projets liant politique et culture comme le centenaire de la déclaration d’indépendance de l’Irlande.

Ce meeting unique en son genre a coûté 300 000 euros, soit 100 000 euros de plus qu’en général selon Manuel Bompard, directeur de campagne du candidat. Des affiches sont placardées dans toute la ville pour avertir de Jean-Luc Mélenchon. Devant le Parc des expositions, des centaines de personnes attendent patiemment. Alors que toute la gauche se crêpe en ce moment le chignon autour de l’intérêt ou non d’une primaire, Mélenchon a réussi à marquer le coup, les militants ont fait le déplacement depuis toute la France. 

J’inspire une grande bouffée d’air à travers mon masque FFP2 espérant sentir de la verdure mais hormis une légère odeur de transpiration ambiante, on ne sent pas grand-chose

Antoine, 16 ans, vient de Paris pour l’occasion : « J’ai l’impression qu’on n’a plus d’avenir et qu’on va connaître l’effondrement si on ne fait rien ». Malgré le fait qu’il ne puisse pas encore voter, le lycéen se considère déjà comme militant mais ne sait que penser de ce meeting olfactif : « Je trouve que c’est un peu gadget mais ça permet de faire le buzz et ça attire l’oeil, je suis un peu venu pour ce côté première mondiale ». Beaucoup d’étudiants font leur baptême de feu avec ce discours. Pierre et Léo, 21 ans, n’ont encore jamais assisté à un meeting : « Pour les odeurs, on ne sait pas trop à quoi s’attendre, peut-être de l’herbe pour le côté écolo ». Mais beaucoup estiment qu’ils seraient tout de même venu sans l’aspect olfactif de l’événement.

Dans la salle, tout est prêt pour un véritable « show ». Quatre écrans géants recouvrent les murs de la pièce, la promesse de remplacer un casque de réalité virtuelle semble être tenue. Seize vidéo-projecteurs diffusent des images à 360 degrés avec des sons et d’odeurs correspondant aux images. Jean-Luc Mélenchon doit, selon son service presse, jouer « un rôle de narrateur » et plonger son auditoire dans un ensemble immersif. Le choix de la playlist en attendant le début du meeting n’est pas anodin. Le remix de Khaled Freak du discours « hypocrite » nous fait doucement sourire. Seuls quelques jeunes militants semblent remarquer la chanson.

Mais avant l’arrivée de l’homme politique, des dizaines de personnalités le soutenant se succèdent sur scène. Des textes politiques, philosophiques et littéraires sont lus au public au rythme de musiques. Régulièrement, les spectateurs se lèvent le poing levé en signe de lutte lorsque que l’on aborde les violences faites aux femmes ou tout simplement Emmanuel Macron, oubliant au passage les règles sanitaires. Autour de nous, les écrans affichent des dessins de pancartes de manifestants. Visuellement l’effet est plutôt original mais ce que l’on attend c’est avant tout l’olfactif qu’on nous a vendu partout. 

Vient enfin Jean-Luc Mélenchon sous l’ovation et les applaudissements des spectateurs. Autour de nous, la pièce devient une petite ville de campagne. J’inspire une grande bouffée d’air à travers mon masque FFP2 espérant sentir de la verdure mais hormis une légère odeur de transpiration ambiante, on ne sent pas grand-chose. Le candidat fait référence au pass sanitaire et au vaccin que beaucoup huent. En guise de clin d’oeil, Jean-Luc Mélenchon tente une référence à Netflix, quelque peu ratée : « Don’t look at up, euh, don’t look up ». Et puis d’un coup je perçois une légère odeur. Il faut dire que des diffuseurs d’odeur ont été stratégiquement positionnés dans le dos des journalistes, de sorte à ce que nous les sentions bien. L’odeur supposée représenter la ville me rappelle surtout une enseigne de parfumerie entêtante. J’interroge ma voisine pour lui demander si elle sent aussi comme ça. Étonnée, elle lève la tête et le nez : « Ah je n’avais même pas remarqué, ça sent le parfum quoi ». L’odeur commence à se faire insistante et s’avère maintenant particulièrement déplaisante.

« La mer Méditerranée, regardez sa puissance, sa force, elle contient ce dont on a besoin pour remplacer le nucléaire » – Jean-Luc Mélenchon

Alors que tous les écrans s’assombrissent, la lune débarque derrière Jean-Luc Mélenchon, sur sa droite apparaissent un satellite et la station spatiale internationale. Et derrière nous, la Terre. Ici, le candidat nous parle de cette planète qu’il faut protéger coûte que coûte : « Il faut désarmer l’espace. Si je suis élu, nous nous lancerons dans une démarchandisation de l’espace ». Si je me concentre un peu plus sur l’air ambiant, l’odeur a quelque peu changé, elle est légèrement plus sucrée mais reste toujours particulièrement chimique et donne cette impression que quelqu’un a aspergé son parfum dans toute la pièce. L’odeur ne ressemble en rien à l’idée que l’on pourrait se faire de l’espace. 

Puis vient le deuxième thème : le numérique ou « la toile numérique » comme le présente Jean-Luc Mélenchon. Avec en fond une musique digne d’un téléfilm sur un hacker, des images de réseaux s’affichent. Le candidat fait appel à notre souveraineté numérique. « Nous avons besoin que nos données soient conservées par des serveurs nationaux, trouvez-vous normal que toutes nos données de santé ce soit Microsoft qui s’en occupe ?  [… ] nous voulons relocaliser l’industrie électronique. » En attendant le numérique n’a pas la moindre odeur. Parler du numérique, c’est aussi l’occasion d’aborder l’intelligence artificielle dont « il ne faut pas avoir peur » pour Jean-Luc Mélenchon car elle permettra de réduire le temps de travail. L’occasion de replacer son projet de semaine de 32h et de retraite à 60 ans. Je demande à mon confrère de droite s’il sent quelque chose, il secoue la tête et me chuchote en riant « remboursez-nous, on sent rien ». 

« Faites confiance à une tortue électorale sagace comme moi [ …] rien ne sert de courir, j’ai déjà épuisé quelques lièvres » – Jean-Luc Mélenchon

Pour le troisième thème, sans surprise, il s’agit donc de la mer. Des vagues nous entourent et viennent lécher un récif dont on aperçoit les rebords. « La mer Méditerranée, regardez sa puissance, sa force, elle contient ce dont on a besoin pour remplacer le nucléaire » crie le candidat. Alors que l’on s’attendait à une odeur iodée, le parfum reste toujours aussi chimique et ne rappelle pas grand-chose en lien avec l’océan. Mais mention spéciale tout de même aux bruits des vagues que l’on entend au loin. Je regarde les vagues de gauche à droite et commence sérieusement à avoir un mal de mer plus vrai que nature. J’ai la douloureuse impression d’être sur une barque qui tangue. Le diffuseur d’odeur, placé derrière nous, ne fait qu’accentuer mon malaise.

Heureusement, le meeting touche à sa fin. La mer laisse place à de multiples dessins de petits Français souriant autour du message “chaque vote peut tout changer”. Comme à son habitude, Jean-Luc Mélenchon n’hésite pas à faire quelques blagues : « Faites confiance à une tortue électorale sagace comme moi [ …] rien ne sert de courir, j’ai déjà épuisé quelques lièvres ». Il donne rendez-vous au 5 avril prochain où il promet un meeting encore innovant avec, cette fois, le retour des fameux hologrammes. On n’a jamais autant apprécié respirer l’air frais en sortant de ce meeting.

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