Le ministre a bel et bien été “recadré” par le chef de l’État, en privé, le jeudi 26 novembre, après la diffusion par Loopsider des images de passage à tabac du producteur Michel Zecler qui l’ont “plus que choqué”. Selon nos informations, Emmanuel Macron a fait part à son ministre de l’Intérieur de l’importance de rendre public le rapport de l’IGPN après l’évacuation musclée de la place de la République et lui a conseillé de s’inviter au journal télévisé de France 2.
Affaibli, le ministre de l’Intérieur a annoncé qu’il demanderait “la révocation” des policiers mis en cause dans l’affaire Michel Zecler après la décision de la justice, mais il s’est également montré inflexible. Il refuse d’utiliser des “fusibles”, comme le préfet de police de Paris, Didier Lallement, qu’il soutient et minimise les images qui font le tour des réseaux sociaux en évoquant des policiers qui “déconnent”.
“Aucun ministre n’est intouchable”
Silence une nouvelle fois dans les rangs gouvernementaux. Le ministre de l’Intérieur, qui a réussi à obtenir ce poste en mettant sa démission dans la balance lors du dernier remaniement quand il était ministre de l’Action et des Comptes publics, est-il “intouchable”? “Aucun ministre n’est intouchable”, répondent en chœur plusieurs sources ministérielles interrogées lundi 30 novembre.
La stratégie de l’exécutif c’est que tant qu’il est au gouvernement, il n’est pas un opposant de premier planUn député proche de la majorité
“Je ne pense pas qu’il soit intouchable, personne ne l‘est”, confirme un député proche de la majorité qui voit tout de même se dessiner une “stratégie politique” de la part de l’exécutif. “Tant qu’il est au gouvernement, il n’est pas le premier des opposants. Il pourrait le devenir en étant hors du gouvernement, donc autant qu’il reste”, analyse ce parlementaire.
Surtout que le ministre de l’Intérieur, encore perçu comme un “traître” par une partie de son ancien camp LR, entretient de bonnes relations avec son mentor, Xavier Bertrand, qui ne cache pas ses ambitions pour 2022. Dans un étrange numéro d’équilibriste, le président des Hauts-de-France a d’ailleurs pris soin d’épargner son ancien vice-président à la région (2016-2017). “Il faut arrêter de le rendre responsable des tensions dans le pays”, l’a-t-il défendu sur BFM Politique, le dimanche 29 novembre. En ajoutant: “Le seul responsable de tout cela, c’est Emmanuel Macron” et en égratignant au passage le préfet de police de Paris, Didier Lallement, qu’il n’aurait “pas choisi” à ce poste. Les deux maillons de la chaîne, mais pas celui qui les tient… Un positionnement qui pourrait laisser croire à une main tendue.
Pour 2022, Darmanin ne suivra, comme toujours, que son intérêt personnel.Un député LR
Danger donc pour Emmanuel Macron qui s’il perdait son ministre, qui se définit lui-même comme “la jambe droite” du dispositif gouvernemental, se retrouverait en sérieuse difficulté pour continuer à convaincre la droite sans pour autant reconquérir la gauche. Surtout que l’ex-maire de Tourcoing, réélu haut la main en juin, a une piste atterrissage toute trouvée dans le Nord et “ne suivra, comme toujours, que son intérêt personnel en 2022″, selon l’un de ses anciens collègues députés LR.
Mais il y a d’autres raisons à ce soutien indéfectible: la relation qu’il a créée avec la police et avec ses syndicats. “Il faut se souvenir du contexte, quand Gérald Darmanin arrive à Beauvau, les forces de l’ordre sont très remontées contre son prédécesseur, Christophe Castaner, alors même qu’elles savent que le pouvoir a tenu grâce à elles dans la crise des gilets jaunes. Il est venu pour apaiser la maison”, rappelle un conseiller ministériel présent depuis le début du quinquennat.
Sa nomination vise à affaiblir LR pour préparer un deuxième tour face à Marine Le Pen. C’est toujours dangereux de préparer le deuxième tour, souvenez-vous de Lionel Jospin en 2002…Un député LREM venu du PS
“Le président de la République est forcé de donner des gages aux policiers et d’écouter les syndicats, parfois les plus extrêmes, car il n’y a pas de convergence idéologique entre la majorité des policiers et le gouvernement actuel”, croit savoir un député LREM qui voit d’un mauvais œil cette droitisation incarnée par Gérald Darmanin.
“Sa nomination vise à affaiblir LR pour préparer un deuxième tour face à Marine Le Pen. C’est toujours dangereux de préparer le deuxième tour, souvenez-vous de Lionel Jospin en 2002, lui aussi il préparait le deuxième tour…”, avertit cet élu venu du PS qui regrette ce choix. “On se tourne vers ceux qui veulent nous affaiblir au lieu de défendre nos valeurs. Ce n’est pas franchement ma tasse de thé et je crains qu’on y perde notre âme et tout au moins notre sens des priorités humanistes”.
Aucun problème non plus du côté de Matignon où l’on soutient le ministre de l’Intérieur au point de mettre Castex et Darmanin dans le même bateau. Eux qui ont mené ensemble l’offensive de la “commission indépendante” pour réécrire l’article 24, avant de rétropédaler après la bronca des députés LREM appuyée par le président de l’Assemblée nationale et proche d’Emmanuel Macron, Richard Ferrand qui demande “le respect du Parlement”. “Ils ont été au front tous les deux. La séquence n’a pas été simple, mais elle est en train de se clore”, promettait-on dans l’entourage de Jean Castex, le 1er décembre.
Gérald Darmanin tient la feuille de route qui lui a été confiée. Le Premier ministre a toujours défendu le renfort de la sécurité et le besoin de la police.Entourage de Jean Castex
Les deux hommes ont aussi le point commun d’avoir été proches de Nicolas Sarkozy, Castex en tant que secrétaire général adjoint de l’Élysée de 2011 à 2012 et Gérald Darmanin en tant que porte-parole de sa campagne pour la reconquête de l’UMP en 2014. Un héritage qui les lie au moins sur le champ des convictions. “Gérald Darmanin tient la feuille de route qu’on lui a confiée. Le Premier ministre a toujours défendu le renfort de la sécurité et le besoin de la police”, salue-t-on dans l’entourage du Premier ministre.
Les critiques viendraient plus facilement des parlementaires de la majorité, très remontés après le pataquès de l’article 24 qu’ils imputent directement à Gérald Darmanin et choqués par les images de violences policières. Au point de convoquer le ministre devant la commission des Lois de l’Assemblée nationale, le 31 novembre. ”Personne n’est intouchable; il a une responsabilité, il l’assume”, disait peu avant le député LREM Hugues Renson qui a plaidé publiquement pour un retrait de l’article 24.
Il a voulu jouer au gros bourrin et au plus malin. Il s’est fait électrocuter et il ne remettra plus les doigts dans la prise.Un député LREM
“Les parlementaires ne sont pas responsables de la composition du gouvernement, en revanche le gouvernement est responsable devant le Parlement. C’est tout le sens de l’audition décidée par la présidente de la Commission des Lois, Yaël Braun Pivet”, s’est félicité le vice-président de l’Assemblée nationale. “Il a voulu jouer au gros bourrin et au plus malin. Il s’est fait électrocuter et il ne remettra plus les doigts dans la prise”, explique en d’autres termes un marcheur de la première heure au Palais-Bourbon.
La position remontée de la députée LREM Alice Thourot, autrice de la proposition de loi “Sécurité globale”, la demande de retrait “pur et simple” de l’article 24 par la députée MoDem Laurence Vichnievsky et les demandes de compte généralisées lors de cette audience ont conduit le ministre à changer de ton et à évoquer pour la première fois les “problèmes structurels” qui peuvent miner la police.
Emmanuel Macron était très en colère et a jeté un regard glacial à Gérald Darmanin.Une source gouvernementale
Des annonces qui doivent se poursuivre dans le courant de la semaine, portées par Gérald Darmanin, Éric Dupond-Moretti et pilotées par le Premier ministre Jean Castex, selon le souhait d’Emmanuel Macron. Le chef de l’État les avait réunis le 30 novembre à l’Élysée pour une réunion de crise sur l’article 24 avec les trois présidents de groupes de la majorité, LREM, MoDem et Agir.
“Emmanuel Macron était très en colère et a jeté un regard glacial à Gérald Darmanin”, assure une source gouvernementale, contrairement à l’Élysée qui, tout en laissant opportunément fuiter sa “colère froide”, nie officiellement tout “recadrage”.
Une nouvelle preuve du soutien d’Emmanuel Macron à son ministre, pilier de son dispositif gouvernemental qu’il avait déjà défendu corps et âme après sa nomination polémique à l’Intérieur en raison d’une plainte pour viol toujours en cours d’investigation. “Nous avons eu une conversation d’homme à homme”, avait déclaré le chef de l’État le 14 juillet lors d’une interview à TF1 et France 2 pour défendre son ministre dont il louait alors les qualités. Il saluait un “responsable politique intelligent, engagé et blessé par ces attaques”.
Gérald Darmanin n’a plus droit aux mêmes égards aujourd’hui, mais pas question de le désavouer publiquement. Une source régalienne résume ainsi la situation: “Il a joué, il a poussé, il a perdu et tous ceux qui considéraient que cet article était écrit avec les pieds s’en félicitent”.
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