«Ce métier, je l’ai aimé, je l’aime, et je l’aimerai.»
Ils avaient l’air heureux, ça avait l’air d’être un chouette métier.
Le jour du choix, c’était assez évident pour moi sans vraiment savoir vous expliquer pourquoi.
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4 années d’étude intenses
Mais les années qui s’écoulent le rendent de plus en plus difficile à chaque fois.
Je me souviens de mes premières gardes en salle d’accouchement. De cette première naissance avec ce bébé posé sur le ventre de la mère, un si bel accouchement pour une première fois… Mais dont j’ai vu la sage-femme s’activer pour réanimer en urgence cet enfant qui avait fait un malaise sur le ventre de sa mère une demi heure après la naissance… Tiens donc.. Ce n’est donc pas tout beau tout rose?
Je me souviens de la première césarienne en urgence à laquelle on a assisté avec ma copine Sylvène et dont on a surtout retenu l’odeur de cochon grillé.
Je me souviens de chaque fois que j’ai dû expliquer ce que je faisais. Non ce n’est pas comme infirmière (qui est un métier formidable). Non ce n’est pas comme bonne-sœur.
Mais alors c’est quoi?
Ce serait si long à expliquer… Et pourquoi?
C’est la principale revendication des sages-femmes aujourd’hui.
Non ce n’est pas comme infirmière. Non ce n’est pas comme bonne sœur
Ce n’est pas qu’une question d’argent.
Même si l’évolution du salaire est un des plus bas des fonctionnaires de catégorie A. Même si les cotations NGAP (Nomenclature générale des actes professionnels, NDLR) sont différentes pour les sages-femmes pour un même acte (pourquoi un gynécologue serait-il mieux rémunéré quand il pose un stérilet qu’une sage-femme? Vraie question). Pourquoi mon temps de professionnel médical n’est-il pas valorisé à la même hauteur que celui des mes confrères dentistes avec qui nous partageons le même statut médical à prescription limitée certes, mais médical tout autant?
Que de questions auxquelles chacun trouve ses réponses. Un métier majoritairement de femmes, mal organisées pour se représenter, qui ne savent pas vraiment ce qu’elles veulent, et puis bon quand même, ce ne sont “que” des sages-femmes quoi…
«Et puis bon, quand même, ce ne sont ‘que’ des sages-femmes quoi…»
Que des sages-femmes.
Qui sont les mains, les oreilles, les épaules qui soutiennent les femmes, tout au long de leur vie. Les préparent à ce jour si important que sera la naissance, surveillent la bonne évolution de la grossesse, leur bonne santé ainsi que celles de leurs enfants.
Que des sages-femmes.
Qui accompagnent les jeunes filles vers leur première contraception, répondent à leurs questions sur la sexualité, leurs craintes.
Que des sages-femmes.
Qui accueillent ces nouveaux-nés dans ce monde, s’assurent de leur bonne adaptation, les réanime si besoin.
Que des sages-femmes.
Qui sont là, nuit et jour pendant ces premiers instants à trois, à la maternité, ou ensuite à domicile, face à cette montagne de questions et de doutes qui assaillent logiquement chaque nouveau couple de parents.
Je ne suis “que” sage-femme mais j’aime mon métier.
Je l’aime et pourtant.
Un métier qui coûte et qui déborde
Partager la vie d’une sage-femme, c’est ne pas pouvoir organiser de repas de famille parce que Tata Sage-femme ne saura pas avant le dernier moment quel unique de week-end de libre elle aura ce mois-ci, ou au contraire, elle vous demandera de décider la date d’une rencontre 6 mois avant parce qu’il faut poser ses demandes de congés de novembre en mars.
À ceux qui partagent la vie de sages-femmes, je voudrais tirer mon chapeau.
Parce que c’est un métier qui déborde.
Parce que l’ingénieur hydrogéologue qui partage ma vie est capable de faire la différence entre omphalocèle et laparoschisis, à force de m’avoir fait réviser. Parce qu’il faut être ce soutien, qui vient recevoir les larmes de fin de garde. Parce qu’il faut accompagner, parfois physiquement, à 6 heures du mat, en plein hiver, au CHU qui fait si peur parfois et qu’il ne faut pas lâcher. Parce qu’il faut gérer les enfants, en solo, pendant les 12 heures de gardes, les week-ends complets.
Parce qu’il faut se plier au planning aléatoire, qui ne se décide que d’un mois sur l’autre, qui mélange des jours, des nuits, des 12 h, des 8 h parfois.
Un métier qui évolue dans le mauvais sens
On court, tout le temps.
On court après le matériel, le personnel, le temps.
On court en essayant de préserver les femmes, leurs partenaires, leurs enfants.
Ce constat et ce mal-être concernent l’ensemble des professions médicales et paramédicales comme le prouve le grand nombre de soignants rassemblés dans les collectifs de Soignants En Danger.
Je ne vous parle que des sages-femmes car c’est ce que je suis, ce que je connais.
Je peux vous parler de ces gardes à l’hôpital, où l’on tient grâce à la solidarité, à la bonne entente et la complémentarité avec nos collèges gynécologues-obstétriciens, anesthésistes, pédiatres. Où on essaie de faire notre travail avec l’aide si précieuse des auxiliaires puéricultrices, des agents de services hospitaliers. Et je n’oublie pas les secrétaires médicales, et tant d’autres.
Je pourrais vous parler des heures de ces fous rires en salle de garde, de ces courses de ballon, ou de fauteuil roulant. De ces parties de morpion qu’on faisait sur le tableau de gardes.
Aujourd’hui, et depuis de nombreuses années, c’est devenu impossible.
Le tableau est tout le temps noir.
«Cela fait tant mal que tant soient parties cassées… Burn out, craquage…»
Les larmes ont trop souvent remplacé les fous rires.
Je ne noircis rien.
J’ai rencontré des amies, des sœurs et des frères, nos merveilleux collègues masculins, Didier, Robert, Hervé, qui font tant de bien à la profession. Je ne vous raconterai pas tout, ce sont mes trésors aussi.
Mais c’est aussi pour cela que cela fait tant de mal.
Que le sourire de Sandra ait disparu, comme celui de tant d’autres, Clémentine, Virginie. La légèreté de Muriel, de Myriam, écrasée par la lourdeur administrative, par la charge de travail qui augmente sans cesse, alors que parallèlement, jamais autant les femmes et les couples n’avaient manifesté le besoin d’un retour à l’humain, à une naissance aussi physiologique que possible.
Cela fait tant mal que tant soient parties cassées… Burn out, craquage…
Un système qui a cassé des vocations et des personnes
J’en fais un peu partie.
Pour une autre façon de pratiquer ma profession, en cabinet libéral.
Un cabinet où je peux prendre le temps que je veux avec mes patientes. Certaines consultations n’ont besoin que d’un quart d’heure, d’autres une demi heure. Parce que derrière une rééducation du périnée, il y a parfois le dépistage d’une dépression post-natale et une maman qui vous dit “Je crois que je ne vais pas bien du tout là”.
Un cabinet où je suis responsable de mes heures, où je peux pleurer parce que je travaille trop mais où je n’ai à m’en prendre qu’à moi-même.
Parce que c’est de ce genre de détails peut-être, que se joue, aussi le malaise.
Parce que quand on a le droit de ne prendre que 2 semaines sur 5 de congés avec ses enfants et son conjoint “parce que c’est comme ça”, ce n’est pas normal. Et non, partir à Ibiza seule en plein mois de novembre, ça n’a jamais fait rêver personne.
Parce que donner son temps, ses heures, les sages-femmes sont prêtes à le faire, elles l’ont toujours été. Trop peut-être, diront certains, et ils auront peut-être raison.
Une profession qui apprend dès les études, à se plier en quatre, à ne jamais rechigner, à soigner, à tout donner. À supporter la main broyée par cette patiente qui a mal, à se péter le dos parce que cette autre ne voulait pas monter sur la table d’accouchement, à endurer des heures de tamtam, de chant prénatal mais c’est bien hein, je ne dis pas le contraire, mais c’est dur.
C’est dur quand on enchaîne sa cinquième garde de la semaine, bien au-delà des 48 heures hebdomadaires maximales parce que comme c’est une nuit, ça passe.
C’est dur quand on ne se sent pas toujours pas soutenu, reconnu, pour le savoir-faire que l’on apporte, que l’on n’a pas la paie qui correspond à la responsabilité médicale des mères, de leurs enfants.
C’est dur oui.
Et à un moment, les gentilles sages-femmes n’en peuvent plus.
Bref, je voulais terminer sur un point.
Retrouver le lien avec les femmes dans leur regard
Une femme, une sage-femme, c’est retrouver ce lien.
Ce regard qu’on plonge dans le leur pour leur donner confiance, pour les rassurer, pour leur expliquer si quelque chose ne va pas.
J’ai réalisé en basculant en libéral, en retrouvant ce lien, que je l’avais perdu.
Que les patientes qui accouchent à l’hôpital se sentent parfois délaissées oui, tout comme les sages-femmes qui désespèrent que les patientes ne retiennent parfois même pas leur prénom… Mes patientes aujourd’hui, me renvoient cette valorisation que j’avais perdue ces dernières années à l’hôpital mais ce n’est pas suffisant.
Il faut une reconnaissance plus globale, plus générale, dans tous les modes d’exercices, en maternité, publique, privé, en libéral, en PMI (Protection Maternelle Infantile, NDLR).
La mobilisation de la profession va dans ce sens.
Une profession de petit nombre dont la mobilisation ne touche pas grand monde.
Le nombre de cabinets libéraux fermés, sur plusieurs jours, malgré l’immense effort financier que cela demande, devrait être pris en compte.
Le nombre de grévistes hospitaliers qui, réquisitionnés, travaillent comme d’habitude à accompagner du mieux qu’ils peuvent, malgré la situation, devrait être pris en compte.
Les demandes légitimes, répétées, de la profession et de leurs représentants depuis des mois et des années, devraient être prises en compte.
«Une femme, une sage-femme.»
Retrouver du sens.
Retrouver nos valeurs.
Pour les sages-femmes, mais avant tout, pour vous, tous et toutes, femmes, parents, futurs parents…
Ce week-end, c’est le Wek-end noir pour les sages-femmes du 22 au 25 Octobre.
Soutenez-les. Soutenir les sages-femmes, c’est soutenir la santé des femmes, de leurs couples, de leurs enfants. Une femme, une sage-femme.
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