Non, je suis très cartésien. Je regarde la religion d’un œil sociologique, anthropologique : comment les êtres humains se sont forgés et ont tenté de combler les vides. Mais je crois pas à l’absolue bonté de la nature : tout est relatif. C’est dans mes lectures que je façonne mon opinion, au travers de l’humanisme ou de l’écologie… Tout ce qu’il y a d’humaniste dans l’Islam, j’y crois comme à une métaphore. J’ai eu une relation conflictuelle avec la foi, et je sais même pas où j’en suis aujourd’hui. À force de lire, je me rends compte que le Coran c’est d’abord de la littérature. Je suis pas certain de l’importance qu’on devrait encore accorder à des bouquins qui ont été écrits y’a si longtemps. Je préfère lire des textes plus contemporains qui défendent les mêmes valeurs – mais ce sont peut-être mes études dans une école religieuse qui m’ont aussi gavé de tout ça : c’est presque un traumatisme.
Est-ce qu’il t’est arrivé d’en vouloir à ta famille après ton coming-out ?
En vrai, j’ai du mal à être fâché contre ma famille parce que je crois qu’ils avaient ni l’espace ni la santé mentale nécessaire pour faire le tri et se souvenir de ce qu’on est vraiment, avant d’être une femme, un homme, un Palestinien ou une Palestinienne. J’ai eu la chance de ne pas grandir avec des menottes, et j’en suis reconnaissant.
Comment t’as réagi en voyant des soldats israéliens brandir le drapeau LGBT à Gaza après avoir rasé la ville ?
C’est évidemment horrible. De la folie… mais j’étais pas du tout surpris. L’histoire de ce drapeau reste une histoire occidentale, blanche et, disons-le, capitaliste.
Culturellement, tu te situes où toi ?
Quand je fais le calcul, la plupart des films, livres ou musiques dans lesquels j’ai baigné venaient de l’Occident. L’arabe était beaucoup moins présent, même en vivant à Amman. Y’a une bourgeoisie arabe qui s’est un peu éloignée de sa culture, il faut le dire. Ce qui est drôle c’est qu’il y avait une fascination pour les films égyptiens ou la musique libanaise, mais jamais aucun débat autour. Le film est en noir et blanc, les femmes sont belles, elles montrent un peu de peau mais elles sont classes ! Même quand elles incarnent un rôle de travailleuse du sexe, elles restent toujours distinguées.
Je me souviens, petit j’avais voulu regarder la série Lizzie McGuire. Ma grand-mère s’y était opposée, pourtant c’est un truc d’ados évangéliques coincés qui montre rien du tout. Elle avait pris la télécommande pour mettre à la place un film égyptien qui racontait l’histoire d’une vendeuse de charme des années 50, qui chope un mec riche et devient sa maîtresse. Une histoire à l’eau de rose bien sneaky mais, pour cette femme musulmane de 80 ans, ça c’était OK ! Par contre Lizzie c’était haram. J’ai encore du mal à en saisir les raisons aujourd’hui.
De quelle façon tu penses que les Français·es perçoivent ta culture d’origine ?
Malheureusement, le cliché du sauvage de cité et des femmes voilées qui mangent pas de porc imprègne encore beaucoup trop les esprits. Il faut arrêter de stigmatiser et diaboliser les gens.
Certaines personnes disent qu’on devrait pas soutenir la Palestine si on est queer. T’as trouvé ta place au sein du militantisme palestinien ?
Bien sûr, mais c’est en assumant la personne que je suis que j’ai pu le faire. Il a fallu assumer mes privilèges, mes souffrances, mes ressources et ma santé mentale. Ensuite, comme au théâtre, il faut trouver sa place : c’est quoi le rôle qui me convient en ce moment ?
Tu connais beaucoup d’autres Palestinien·nes LGBTQI+ ?
J’en connais. Pas beaucoup mais y’en a. Y’a l’asso Al Qaws, par exemple. Je crois que c’est pas facile compte tenu du contexte et de la religion, mais en vérité j’ai jamais vécu en Palestine. C’est que la perception d’un exilé, et je peux me tromper. En vérité, j’ai jamais eu d’informations concrètes sur des crimes d’honneur commis en Palestine à l’encontre de femmes ou de personnes queer.
Comment tu te sens depuis le 7 octobre ?
Au début j’ai eu une sensation de déjà-vu, puis j’ai très vite réalisé qu’il se passait quelque chose de différent. Un événement si imprévu et dramatique que tu perds contact avec la réalité. Tu te demandes vraiment si c’est réel ou si c’est encore un film.
T’as pensé quoi de la mobilisation en solidarité avec la Palestine à Paris ?
Ça fait un peu princesse mais j’ai été déçu… Je m’attendais à mieux de la part des Français·es. Plus de gens, plus d’énergie.
Qu’est-ce qu’elle incarne la jeunesse palestinienne aujourd’hui selon toi ?
Je dois dire que je suis fier d’être Palestinien. On est une minorité qui existe en dehors du système, donc capable de l’observer de l’extérieur. Les voix palestiniennes qui s’élèvent aujourd’hui sont tellement déconstruites, qu’on arrive peu à peu à cette cohabitation des idées. Tu sais, j’aimerais dire quelque chose ici : les personnes par lesquelles je me suis senti le mieux accepté ont souvent été des femmes qui portaient le hijab. De la même façon, j’ai rencontré des hommes hétéro cis qui m’ont traité avec plus de respect que l’ont fait d’autres mecs gays.
C’était quoi leur problème avec toi ?
Je crois qu’il y a beaucoup de personnes traumatisées dans la communauté LGBTQI+ qui ont ce réflexe de rejet. Comme s’il fallait projeter sur leurs semblables la haine dont ils ont fait l’objet. Y’a du racisme dans une partie de la communauté gay blanche quadra et bourgeoise. Beaucoup de gays sont aussi transphobes, et il faut le dire. Que tu sois attiré que par la virilité, je comprends. Mais pourquoi mépriser les personnes qui revendiquent leur genre ou leur fluidité ?
En Europe, on a tendance à pointer du doigt le Moyen-Orient au sujet des droits LGBTQI+. T’en penses quoi, toi qui a vécu dans ces deux régions du monde ?
Je peux parler que de mon expérience : en Jordanie, l’homosexualité n’est pas pénalisée. Légalement, y’a rien mais socialement c’est autre chose. Encore une fois, j’ai eu la chance d’être relativement accepté par ma famille. On en revient à cette notion de privilèges vu que mes oncles, tantes, cousins et cousines ont voyagé dans le monde entier et lu beaucoup de livres. La LGBTphobie européenne et la LGBTphobie arabe sont juste différentes, mais y’en a pas une pire que l’autre selon moi.
Est-ce que t’as de l’espoir aujourd’hui pour la Palestine et les Palestinien·nes ?
Oui. Et cet espoir se superpose à celui que j’éprouve pour la communauté queer, les femmes, l’écologie… J’ai l’impression que le monde prend conscience des priorités mais je suis peut-être dans ma bulle. Est-ce que je suis vraiment légitime pour répondre à cette question ?
Je sais pas… Je me demande juste quel est ton sentiment personnel face à tout ça.
J’essaie de comprendre ce qui me rend heureux. Comme un animal qui cherche à éviter la souffrance. Mais il faut d’abord l’identifier parce qu’on est parfois dedans sans le savoir. Qu’est-ce qui va me faire me sentir le plus mal : parler de la Palestine, des droits humains et du féminisme, ou mettre tous mes sentiments en bouteille ? J’observe les gens et, de ce que j’en ai vu, j’ai pas envie de suivre ceux qui ont choisi la deuxième solution. Leur mode de vie, leur santé, leurs relations avec eux-mêmes, les autres et l’argent me dépriment. J’ai essayé mais ça n’a pas marché…
Qu’est-ce qui te rend heureux dans la vie ?
Vivre mon essence de la façon la plus authentique possible. Comme un muscle dont tu testes la résistance : quel est le poids le plus lourd que je peux porter ? C’est là que j’apprends à danser avec tout ça. J’aime sentir et goûter le bon. J’aime aussi bouger. Cette histoire du corps : la libération, le mouvement. À Paris, je m’épanouis du simple fait de ne pas avoir à utiliser une voiture. Le corps humain est fait pour courir, nager, grimper… Je peux pas rester assis comme ça, ça fait mal au dos. Je suis scientifique : le sport, la liberté, le cycle de la vie, baiser, manger… s’exprimer. C’est pour ça que j’aime parfois dire des injures : il faut laisser les corps s’exprimer, zebbi !
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