Oui, vous avez bien lu. Depuis plusieurs années, ledit petit tee-shirt, découpé au-dessus du nombril et quelques centimètres en dessous des tétons, a fait son retour sur les podiums de la gent masculine. Ces dernières semaines, les marques ont, elles, redoublé d’effort pour l’inscrire, à temps pour l’été 2021, dans leurs dernières collections.
Chez Jean Paul Gaultier, qui a signé son retour dans le prêt-à-porter au mois de mai, il est à l’image de son emblématique marinière, version manches longues. C’est un débardeur brodé chez Palomo Spain.
Une masculinité décomplexée
Conséquence sine qua non: les stars s’y mettent. Sur Instagram, le rappeur portoricain Bad Bunny pose devant son miroir, abdominaux apparents, dans un crop top noir. Celui d’Harry Styles, dans son clip “Watermelon Sugar”, rivalise de couleurs. En couverture du magazine britannique Man About Town, l’interprète de Nate dans “Euphoria”, Jacob Elordi, opte, lui, pour une pièce digne d’un corset, lacé sur les côtés.
D’après la styliste Louise Parent, tous les indicateurs sont là. Le chemin d’acceptation du crop top chez les hommes est plus qu’entamé. Il faut s’attendre à voir le fameux vêtement apparaître dans la rue cet été, nous assure la consultante en stratégie et image. Elle est certaine de son retour.
Les raisons de sa disparition du vestiaire masculin grand public ne sont pas claires. Celles de son retour, si. Parmi elles, le retour de hype des années 1980. “La mode est un éternel recommencement”, souffle, non sans ironie, Louise Parent. Selon elle, l’ouverture du marché à la mode masculine y est aussi pour beaucoup. Les marques dédiées à ce secteur se multiplient. D’après Les Échos, elles affichent une croissance ”à deux chiffres”. Dans les collections, le costume perd du terrain. “Les hommes commencent à s’éclater”, précise Louise Parent.
Le crop top reflète, selon elle, les évolutions de notre société, un monde dans lequel on permettrait enfin aux hommes d’embrasser “une masculinité différente et décomplexée” promise à beaucoup plus de libertés vestimentaires. Un point de vue partagé par la journaliste et spécialiste des questions de genre Alice Pfeiffer, selon qui “on sort à peine d’une période de l’histoire furieusement capitaliste et patriarcale, marquée par une masculinité toxique et débridée dans tous les pans de la culture”.
L’intimité chez les hommes
Le collier de perles, le vernis et les ongles longs, les jupes, les nuisettes, la couleur rose… Le crop top n’est pas le seul élément de cette expression vestimentaire plus fluide. La différence avec les autres, c’est qu’il exprime, lui, un vocabulaire longtemps mis en sourdine, celui de l’intimité.
Le nombril, d’après elle, enracine dans une verticalité générationnelle. “On est le nombril de sa mère, explique l’autrice de La robe de psyché, un essai qui tisse les liens entre psychanalyse et mode. Les hommes sont-ils moins prêts à symboliser concrètement ce passage et à manifester l’idée selon laquelle ils ne se sont pas faits eux-mêmes?” La spécialiste s’interroge.
Si le crop top pousse à se mettre à nu et donc à se montrer plus vulnérable, un champ lexical encore peu associé aux valeurs dites “masculines”, ledit vêtement libère, aussi, une forme de sensualité à laquelle les hommes sont peu habitués. “On fait souvent la frontière entre le haut et le bas du corps, précise Catherine Bronnimann. En dessous du nombril, il y a la partie sexuée. En haut, la tête, la partie ‘intellectuelle’.”
Découvrir la peau
Sur un court de tennis ou lors d’un footing sur la plage, beaucoup d’hommes semblent pourtant très à l’aise avec l’idée de faire du sport torse nu. Révéler son ventre au gré d’un crop top est bien différent. Comme l’explique la psychologue Ludivine Beillard-Robert dans un ouvrage intitulé Ruban intime, les contours d’un vêtements permettent “de lire là où commence le tissu et où s’arrête la peau”.
L’homme n’est plus seulement sujet de la sexualité, il en devient l’objet. Et ce, grâce au crop top. Victoire? Comme l’a soufflé le philosophe Paul B. Preciado dans Vanity Fair au sujet des jupes d’Harry Styles, cela contribue-t-il vraiment à “dépathologiser” l’anormalité des codes féminins dans le vestiaire masculin? Alice Pfeiffer émet des réserves.
Quid de la récupération?
Pour l’autrice de l’essai Le goût du moche, le crop top sert de code à “la montée en puissance de l’homme cisgenre hétérosexuel soucieux de se montrer woke”, un terme couramment employé dans les pays anglo-saxons pour désigner le fait d’être conscient des injustices sociales et des discriminations à l’encontre des femmes, des personnes non blanches ou encore des LGBT.
La fluidité de genre affichée avec ledit vêtement est toute relative, selon elle. Il tiendrait plutôt à la récupération d’un langage gay du corps. “Ici, il n’y a qu’une dimension stylistique, estime la connaisseuse. On ne retrouve plus les vrais enjeux genrés. Ces hommes, qui s’affichent sur les réseaux sociaux en crop top, ne vont sans doute pas à la Pride. Ils vivent dans un contexte hétérosexuel où porter ce vêtement relève du jeu.” Elle poursuit: “C’est une façon de dire: ‘sur moi, c’est un effet de style, ça n’engage pas ma sexualité’.”
Ses propos ne sont pas anodins. Des considérations similaires sont apparues à l’arrivée du harnais, accessoire sulfureux étroitement liée à la culture homo et SM, sur les podiums. Une incursion qui, selon le journaliste Patrick Thévenin dans Vice, témoigne “de l’habitude du capitalisme à s’approprier les emblèmes de cultures marginalisées” et ”à les vider de toute connotation politique pour en faire, peu à peu, les symboles d’une nouvelle norme marketing”. Et d’ajouter: “Comme si sa dimension hard, sexuelle et machiste se diluait progressivement dans la nouvelle fluidité de genre actuelle.”
Dans son crop top, la symbolique du corps d’un homme interroge. Pour Alice Pfeiffer, “c’est un corps qui peut s’amuser toute la journée, qui ne craint rien à s’hypersexualiser et qui échappe aux diktats de la virilité”. Admettons-le, ceux qui s’en revêtissent sont généralement bien gaulés. Surtout, ils ne sont plus en costume. “Le crop top témoigne d’une nouvelle ère post-industrielle et post-capitaliste, dans laquelle l’homme qui a bien travaillé, n’a même plus besoin de faire du sport.” Le crop top laisse songeur, mais amorce peut-être déjà les contours de la tendance suivante. Quid du piercing au nombril?
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