Véritable institution aux États-Unis, le Secret Santa (Père Noël secret pour les académiciens), consiste à offrir un cadeau à quelqu’un tiré au hasard. Une tradition qui a depuis traversé l’Atlantique et se développe de plus en plus au bureau entre collègues ou entre amis pour fêter la fin d’année avant les vacances. Les règles peuvent varier mais, grosso modo, avec un budget imposé, il convient de trouver le cadeau idéal pour la personne que vous avez tirée au sort et il en va de même pour celle qui se charge de votre présent. Rien que sur le principe, on sait d’avance que ça va mal finir.
Le Secret Santa est profondément injuste puisque, si l’on se démène pour offrir un chouette cadeau, on ne sait vraiment jamais si ça sera le cas de la personne choisie pour nous en offrir un. C’est au petit bonheur la chance. Soit vous tombez sur la pince du service marketing qui ne veut pas débourser un sou, soit sur la RH généreuse qui tente de faire passer la douloureuse pilule du refus de votre augmentation. Si le pari pascalien s’appliquait ici, on dirait qu’il est préférable de se préparer psychologiquement à recevoir un cadeau pourri comme le prouve les pires histoires de Secret Santa que vous nous avez racontées.
Le cadeau sorti de la cave (Florian, 30 ans, chef de produit)
Je fais beaucoup de photo durant mon temps libre et quand on a décrété qu’on ferait un Secret Santa au travail, je ne pensais vraiment pas recevoir un cadeau en lien avec cette passion. Avec un budget de 20 euros, compliqué d’offrir quoi que ce soit à part des pellicules, ce que j’aurais vraiment préféré vu le cadeau que j’ai pu recevoir.
La veille de notre départ en vacances et des cadeaux, un ami m’a révélé qui était mon Secret Santa. Il s’agissait du branleur de service, le mec qui ne fout jamais rien mais ne se prend pas pour de la merde. Je me suis tout de suite dit que j’allais tomber sur un truc pourri et j’ai quand même réussi à être déçu. Tout le monde s’était vraiment décarcassé pour trouver des petites choses sympas qui rentrait dans le budget. Quand est venu mon tour, le collègue branleur m’a tendu un sac plastique. Le gars n’avait même pas fait l’effort de l’emballer. C’est dingue.
Dedans, il y avait un CD-ROM. Oui, oui un CD-ROM pour ordi comme on en utilisait il y a 15 ans. Sur la boîte, il me semble que c’était écrit « Photos, scan et retouche », le truc avait l’air de dater d’au moins 2002. Soit il l’avait trouvé dans sa cave soit il l’avait acheté à 1 euros sur Le Bon coin. J’ai halluciné, j’avais vraiment envie de rire en voyant la tête de mes collègues. Le branleur m’a juste expliqué que ça me serait utile pour mes photos. Je me suis retenu de lui dire autre chose que “merci”. Ça a fini à la poubelle.
Le cadeau coquin de beauf (Laure, 29 ans, chargée de projet)
C’était il y a deux ans, je venais d’arriver dans une boîte de com parisienne où j’avais rejoint une de mes meilleures amies. C’était top de travailler avec elle, même si le taff était vraiment intense et le boss assez dur. Ils ont l’habitude de s’offrir des cadeaux « drôles » pour le Secret Santa tous les ans avant de partir en vacances. C’est franchement super dur de trouver quelque chose de drôle sans pour autant que ce soit limite. Les collègues ça reste les collègues.
Mon amie n’arrive pas à garder le secret et m’annonce qu’elle est tombée sur moi. Je me dis qu’au moins je suis tranquille et je sais qu’elle ne risque pas de m’offrir un porte-clés ou une connerie du genre. Pour ma part, je galère à trouver quelque chose pour notre stagiaire que je ne connais ni d’Ève ni d’Adam. Le jour du déballage des cadeaux, mon amie s’avance vers moi et crie à tout le monde « un calendrier pour bien commencer l’année ». C’est vrai que j’aime bien avoir un calendrier que j’accroche au mur de ma cuisine pour m’organiser. J’imagine déjà un calendrier kitsch avec des canards ou des hommes politiques.
Lorsque je déchire un tout petit peu le papier cadeau, je pense que je suis devenue aussi rouge que la tenue du Père Noël. Je suis restée bloqué en me demandant que faire. J’ai vu en gras le mot « pompier » je savais exactement ce que c’était. Ma pote est arrivée devant moi et s’est chargée de défaire le reste du papier cadeau pour moi en gloussant.
Je me souviens ensuite qu’elle a raconté que mon fantasme ultime c’était les pompiers. Tout le monde était mi-gêné, mi-amusé. J’ai croisé le regard de mon chef et il m’a dévisagé de haut en bas. Autant vous dire que je me suis bien engueulée avec ma collègue après cette humiliation publique. J’ai quand même accroché le calendrier dans ma cuisine.
Le cadeau pour clasher (Justine, 27 ans, journaliste)
En première année de master, on a eu l’idée d’organiser un Secret Santa. J’étais super excitée à l’idée de le faire, j’adore trouver des idées de cadeau et chercher ce qui conviendra parfaitement à la personne. On avait un budget de 10€ maximum à ne pas dépasser. J’étais vraiment contente du cadeau que j’avais trouvé pour la personne que j’avais tiré au sort. Je lui avais pris quelque chose de personnel et utile, je savais que ça lui plairait.
Lorsqu’est venu le moment de s’offrir nos cadeaux, j’ai tout de suite vu ceux qui avaient pris le temps de chercher et ceux qui s’y étaient pris à la dernière minute, voire avaient raclé les fonds de tiroirs. Quand on a annoncé mon nom, j’ai vu s’avancer une camarade de classe avec qui j’avais très peu parlé depuis la rentrée. Connue pour être une grande lectrice, je me suis dit, qu’à défaut d’avoir un cadeau très recherché, j’aurais un livre et ça m’irait très bien. Le papier était très beau en forme de papillote avec le nom de la boutique indiquée dessus : Sephora.
Un produit de beauté, ça me va très bien aussi. Avec un grand sourire, je déballe mon cadeau. Certains tentent de deviner : « c’est un rouge à lèvres », d’autres « un masque pour la peau ». Une fois l’emballage retiré, mon sourire s’est probablement crispé une seconde avant que je reprenne de la prestance et que je m’écrie « des gels hydroalcooliques, merci ! » Attendez un peu, que je contextualise un peu, nous ne sommes absolument pas à une époque de crise sanitaire. On ne connaît même pas le terme distanciation physique. Ma camarade explique son cadeau en m’enfonçant un peu plus : « souvent tu reviens des toilettes en te plaignant des odeurs alors je me suis dit que tu étais maniaque du coup j’ai pensé à toi comme ça tu pourras te laver les mains encore plus souvent. En plus ceux-là sentent super bon ». « T’as bien fait merci ». Putain, non seulement on m’a offert des gels hydroalcooliques mais en plus je me fais tacler. Elle avait raison, je les ai utilisé mais pour un cadeau fun on repassera.
Le cadeau qu’on oublie (Julien, 36 ans, cadre)
Je n’ai pas de pire cadeau de Secret Santa en tête car comment faire une hiérarchie dans la longue liste des merdes que j’ai reçues ces dernières années ? Pour être tout à fait honnête, je ne me souviens même pas de ce que j’ai eu en 2021. Dans la boîte, on raconte qu’un collègue avait voulu se débarrasser d’un cadeau reçu en le refourguant l’année suivante à un autre service avant de le recevoir à l’identique l’année d’après comme dans une boucle temporelle infernale. C’est probablement un mythe mais je trouve que ça décrit parfaitement l’ambiance : il n’y a rien qui ressemble plus à un cadeau reçu lors d’un Secret Santa qu’un autre cadeau reçu lors d’un Secret Santa.
Cela fait presque dix ans que je suis dans une entreprise qui compte des centaines de salariés et le Secret Santa y a progressivement fait son nid. Avant, les cadeaux étaient l’apanage de la direction. Ils pouvaient prendre la forme d’un ou deux jours de congé selon l’humeur. Aujourd’hui, tout le monde est sollicité. J’ai même l’impression que le Secret Santa est un phénomène alimenté par les petites mains. Plus tu es haut dans la hiérarchie, plus tu t’en fous et inversement. À la base, j’imagine qu’il y a une morale bien conne genre « le budget maximum permet d’être tous égaux sous le sapin » mais j’ai déjà vu des gens passer leurs cadeaux en note de frais.
Le Secret Santa n’est qu’un prétexte pour boire de l’alcool au taf tout en justifiant une partie du salaire de l’office manager. Ça ne m’intéresse vraiment pas d’offrir un cordon à paillettes pour téléphone portable acheté dans la galerie marchande à côté du bureau – le plus souvent chez Hema. Entre les cagnottes pour les anniversaires et les tournées dans les bars à afterwork, j’ai déjà l’impression de beaucoup donner. Et comme je ne me rappelle pas avoir reçu autre chose que des produits insipides à l’utilité très limitée, je ne dois pas être le seul.
Le cadeau qui m’a fait perdre une coloc (Adèle, 25 ans, étudiante)
Je crois que le Secret Santa peut être un révélateur assez cruel des personnalités qui nous entourent. Il y a celui ou celle qui ne fait rien, celui ou celle qui en fait trop et puis il y a moi. Le pire cadeau, ce n’est pas moi qui l’ai reçu mais c’est moi qui l’ai offert. C’était en 2018 (une époque pré-Covid parce qu’on était grave en avance sur la tendance) et totalement involontaire. On avait organisé un petit réveillon à la coloc avec des amis avant de repartir fêter Noël dans nos familles. L’idée c’était de trouver des cadeaux en dessous de cinq euros pour que tout le monde puisse participer sans se ruiner. On ne s’attendait à rien de très spectaculaire – l’intention compte toujours plus que le résultat final disait mes parents. J’avais été tirée au sort pour trouver le cadeau à une très bonne amie de ma coloc. Je ne la connaissais ni d’Ève ni d’Adam mais ma coloc m’avait briefée en m’expliquant qu’elle faisait des études de lettres et qu’elle aimait la poésie. J’avais donc jeté mon dévolu sur une vieille édition d’un recueil d’Eluard que j’avais trouvé d’occasion à un prix très abordable. J’étais plutôt contente de mon coup, je voulais faire plaisir à ma coloc en faisant plaisir à son amie.
Le jour de notre réveillon arrive et, après avoir un peu bu et un peu mangé, on s’est enfin donné les cadeaux. Pour moi des faux airpods de la part d’un mec qui se croyait marrant et effectivement ça m’a fait rigoler et ça a fait rigoler tout le monde. Pour les autres, des bougies faites maison, un CD single de Vegedream, un paquet de farine (?) et d’autres babioles. À un moment, je me rappelle m’être dit : « Merde, le bouquin ça fait un peu trop intello, elle va me prendre pour une casse-couilles ». L’amie de ma coloc avait déjà ouvert son cadeau et semblait prise d’une soudaine lassitude. Au bord des larmes, elle a posé le livre sur une table basse, attrapé son manteau et quitté l’appart en trombe, ma coloc partant à sa suite.
J’ai appris quelques jours plus tard qu’une histoire d’amour commencée sur un poème d’Eluard venait de se terminer et que mon cadeau avait ravivé une plaie à peine guérie. Ma coloc est partie quelques mois après – c’était prévu mais j’aime bien dire que c’est une conséquence de ce Secret Santa. En tout cas, elle a laissé le bouquin derrière elle et n’a pas payé son dernier mois de loyer.
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