MECQUE ARABIE SAOUDITE – 15 JANVIER : Les forces spéciales saoudiennes assistent à un spectacle militaire le 15 janvier 2005 à la Mecque, Arabie Saoudite. Photo de Abid Katib.
Troisième exportateur mondial de matériel militaire dans le monde, la France figure en tête d’affiche des plus gros vendeurs depuis ces cinquante dernières années. Aujourd’hui, on trouve nos armes partout dans le monde, de l’Arabie Saoudite, aux Émirats arabes unis et sa coalition qui bombarde le Yémen, ou encore en Égypte qui réprime violemment ses manifestations. Un business florissant qui rapporte gros : plus de neuf milliards d’euros par an, selon le rapport au Parlement sur les exportations d’armement de la France.
Vendre des armes n’est pas interdit par la loi mais les proposer à des régimes en guerre revient à bafouer les droits de l’homme. Soumis au secret-défense, ce commerce reste particulièrement opaque et permet à la France de se dédouaner des atrocités dont elle est parfois complice avec ces ventes.
Dans un ouvrage intitulé Ventes d’armes, une honte française, Aymeric Elluin et Sébastien Fontenelle dresse le sinistre tableau de l’histoire accablante de la France dans ses ventes d’armes aux puissances étrangères. Les deux auteurs appellent à un contrôle et une régulation du matériel militaire. Pour VICE France, on a discuté avec l’un d’eux pour nous expliquer comment les derniers gouvernements ont permis à la France de faire fortune dans ce commerce mortifère.
VICE : Qu’est-ce qu’on reproche concrètement à la France ?
Sébastien Fontenelle : Armer des pays qui mènent une sale guerre dans le cas, par exemple, du Yémen, qui répriment dans le sang leur propre population. Au Yémen, il y a des crimes de guerre qui sont perpétrés très régulièrement avec notre matériel militaire et la France continue, quand même, à vendre des armes à la coalition.
« C’est du cynisme et de l’hypocrisie à la française »
Pourquoi la France se soucie beaucoup moins de ces problématiques que les autres pays selon vous ?
C’est plus qu’on réagit moins aux critiques et accusations que les autres. C’est d’ailleurs assez fascinant de voir, en ce moment, Emmanuel Macron proclamer que la France va oeuvrer pour l’abolition de la peine de mort alors qu’on continue à vendre des armes à des régimes qui pratiquent la peine de mort sur une échelle assez spectaculaire et qui procèdent à des tueries de masse. C’est du cynisme et de l’hypocrisie à la française. Depuis un demi-siècle, la France vend des armes à des régimes qui comptent parmi les plus brutaux et les plus répressifs de la planète.
Est-ce qu’on risque des poursuites judiciaires ?
C’est à la CPI (Cour Pénale Internationale) de le dire, elle a été saisie par des ONG qui ont posé la question suivante : est-ce que les industriels de l’armement français seraient susceptibles d’être poursuivis et par ricochet leurs interlocuteurs gouvernementaux en même temps ? On voudrait savoir si on peut citer ces pratiques comme crimes de guerre. Pour le moment, on attend une réponse. C’est clair qu’il y a une menace pénale et on peut imaginer une réponse pénale. La France est quand même tenue par le traité sur le commerce des armes, qu’elle a ratifié, qu’elle s’est fait gloire d’avoir porté puis signé et qui lui interdit normalement de vendre des armes à des pays qui sont susceptibles d’en faire un usage contraire aux droits humains et humanitaires à l’international.
Mais est-ce la Cour Pénale Internationale peut vraiment faire quelque chose ?
Il n’y a pas encore eu de cas similaires mais elle peut déjà donner un avis, ce qui serait un levier important. Ce serait une décision forte d’avoir un constat qui confirme qu’on est complice de guerre quand on vend des armes à tel ou tel régime. C’est une indication si cet avis était positif. La saisine de la CPI peut, en plus de son avis, aussi décider d’enquêter sur le sujet, ce qui serait un complément d’enquête de celles déjà faites par les ONG.
C’est quoi la solution ? Arrêter de vendre des armes tout court ?
On doit pouvoir débattre des ventes d’armes. Mais celles à des régimes criminels, on pourrait décider de les arrêter et on doit le faire.
Comment l’achat d’armes se passe en France ?
Il y a clairement des démarchages puisqu’il y a des attachés dans certaines ambassades élues par le contribuable, ils ont des centaines de représentants qui font la promotion de l’industrie française de l’armement. Mais il n’y a pas de modèle unique, ça peut aussi être un pays qui en fait la demande.
Le régime général en France fait que les exportations d’armes sont interdites, par conséquent toute vente d’armes suppose une dérogation à ce régime. Un industriel de l’armement dépose sa demande d’autorisation auprès du ministère des armées qui a son tour la transmet à la CIEEMG (la commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériel de guerre N.D.L.R). Cette commission émet un avis qui doit tenir compte du traité du commerce des armes. C’est sur cet avis que le Premier ministre va prendre sa décision et décider ou non de l’exportation.
« Il y a un demi-siècle, la France a commencé à vendre des armes à des régimes infréquentables »
Pourquoi y a-t-il eu une augmentation des ventes d’armes françaises ?
La France est redevenue sous le mandat de François Hollande le troisième plus grand marchand d’armes du monde, ce qui par rapport aux deux premiers (les États-Unis et la Russie) reste tout à fait petit. Il y a un demi-siècle, la France a commencé à vendre des armes à des régimes infréquentables. Elle a fait commerce avec les pires dictatures de l’époque, de l’Afrique du sud à l’Argentine en passant par l’Espagne de Franco. Là, c’est pareil on vend à des pays qui ne respectent pas les traités des droits humains. C’est ce qui permet de pousser des cocoricos et de dire qu’on est les troisièmes, ce qui n’est quand même pas la plus belles des performances.
Où trouve-t-on le plus nos armes aujourd’hui ?
On vend à des gens qui ont de plus en plus de difficulté à se fournir. Il y a un marché à prendre qui n’est pas le plus joli de tous, on le prend. On les trouve un peu partout dans le monde, le plus important ce sont les endroits où elles ne devraient pas être, comme le Yémen ou en Égypte.
Est-ce que vous avez des exemples de ventes qui n’ont pas abouti pour des raisons éthiques ou est-ce qu’on accepte tout et n’importe quoi ?
On est arrivé une fois à dire non à la Russie, pour la raison de l’Ukraine concernant l’annexion de la Crimée, sauf qu’on l’a revendu à un client qui n’était pas plus fréquentable. Je crains que la réponse à votre question soit pas des plus optimistes. Il s’agissait du Mistral qui devaient être livrés à la Russie, annulés à cause de leurs utilisations en Ukraine. Ce dont le gouvernement s’est moins vanté, c’est que les deux navires ont été acheté par l’Égypte du président Sissi.
Vous révélez que les acheteurs ont droit à des facilités fiscales, vous pouvez nous expliquer ?
Des banques françaises ont permis à l’Égypte d’acheter pour 3 milliards et demi d’euros de nouveaux exemplaires du Rafale. Sauf que ces prêts sont garantis à 85% par l’État français, cela veut dire que si l’Egypte est défaillante, c’est le contribuable français qui va payer. C’est ce qu’on appelle une facilité fiscale. Je ne pense pas que le contribuable soit forcément informé du fait qu’ils ont payé une première fois pour le développement d’un avion de chasse et qu’ils sont susceptibles de payer une deuxième fois, si son acheteur se révélait défaillant pour rembourser sa dette.
« On a les banques françaises aussi qui commencent à rechigner à l’idée de financer l’industrie de l’armement parce qu’elles se disent qu’en terme d’image ça peut éventuellement commencer à être un peu gênant. »
Est-ce que cela va au delà des orientations politiques ?
Bien sûr, les socialistes avaient promis dans les années 70 et avant Mitterrand d’en finir avec ce commerce, qui est présenté comme immoral, ce qu’ils n’ont, bien sûr, jamais fait. Et c’est quand même sous le règne d’un président socialiste François Hollande que la France est redevenue le troisième plus gros vendeur au monde. Et à la fin du mandat, les ventes d’armes à l’Arabie Saoudite étaient même présentées comme une réussite.
Comment vous voyez l’avenir ?
On pourrait revenir sur l’épisode invraisemblable des sous-marins australiens que le Royaume-Uni n’a finalement pas acheté à la France et l’offuscation de Jean-Yves Le Drian (ministre des Affaires étrangères) qui a affirmé que c’était un coup de poignard dans le dos et que l’Australie avait trahi la confiance de la France. Quand un État membre de la coalition guerroie au Yémen, achète des armes à la France et doit normalement s’engager à ne pas les utiliser à des fins contraires au droit international et qu’on s’aperçoit ensuite qu’il semblerait que ce pays les utilise contre des civils, là personne ne crie à la trahison.
Mais il y a quand même quelques améliorations, quelques parlementaires se sont emparés de la question même si cela reste rare. On a les banques françaises aussi qui commencent à rechigner à l’idée de financer l’industrie de l’armement non pas parce que ça leur pose problème, mais parce qu’elles se disent qu’en terme d’image ça peut éventuellement commencer à être un peu gênant. C’est une question qui nous engage tous, c’est en notre nom que ces ventes sont conclues sans qu’on ait jamais notre mot à dire et ce serait bien qu’on s’en empare collectivement.
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