« Mais bien sûr qu’il y a toujours quelque chose d’ouvert dans la capitale » répondront forcément des Parisiens en parlant de leur ville préférée. Lieu de la culture et de la teuf, Paris a pourtant pris un petit coup derrière la tête depuis la pandémie de Covid. Sa vie nocturne s’est amoindrie et de nombreux lieux de fêtes sont restés portes closes.

À la manière de nos collègues britanniques à Londres, on s’est mis au défi de passer une nuit entière à vadrouiller dans la capitale pour vérifier s’il y avait autre chose que des McDo ouverts passé minuit. Et pour pimenter un peu tout ça, on a choisi un mercredi.

21:00 – DRAG SHOW

J’ai déniché un spectacle de drag show en plein quartier de Château d’Eau. Personne ne soupçonnerait que des stars internationale se produiraient ce soir-là dans un minuscule théâtre mise à part la petite centaine de personnes qui assistent, extatiques au spectacle. Le public est clairement initié, les trois quarts parlent anglais et hurlent à l’apparition de leur drag queen favorite.

21:30 – KFC

Il y a quelque chose de très stressant à l’idée de savoir à l’avance qu’on va passer une nuit blanche en hiver sans plan. En temps normal, on termine la soirée chez quelqu’un mais là nos besoins primaires se réveillent. De peur, de mourir de faim et de froid, j’échoue dans un KFC, pas n’importe lequel : celui où Kim Kardashian et Kanye West ont mangé. Mais la plaque commémorative des deux stars a déjà disparu. « Trop de gens venaient pour la prendre en photo sans pour autant commander, il y avait une foule pour rien », raconte un employé. Après quelques tenders enfournés, je pars pour une institution de Belleville : le karaoké du China Town.

22:00 – KARAOKÉ À BELLEVILLE

Il y a deux types de personnes en ce qui concerne cette pratique. Les chanteurs et les autres. Soyons honnêtes, ceux qui disent « oh mais j’adôôre le karaoké, c’est si fun » sont probablement ceux qui vous disent qu’ils ne savent pas chanter avant d’aligner les octaves bien placées la seconde d’après. En bonne casserole, cette pratique me gêne au plus haut point. Je préfère amplement faire profiter mes talents de chanteuse à mon chat que tout un auditoire, prêt à me juger à la moindre fausse note.

Le China Town de Belleville en a fait sa spécialité et toutes les tables peuvent participer. Dès mon arrivée, un homme d’une cinquantaine chante parfaitement d’une voix de ténor New York de Sinatra. M’imaginer sur la scène l’instant d’après me terrifie mais je me greffe à un groupe d’amis qui entonne Bohemian Rhapsody. Le restaurant bondé fixe son regard sur notre groupe en plus de manger. Heureusement, on sert plus d’ambiance de fond que de distraction principale.

22:30 – CANTINE CHINOISE

Je profite d’être dans le quartier pour tenter de manger des raviolis. Tous les restaurants commencent à fermer leur cuisine, je négocie auprès d’une serveuse qui accepte de me servir cinq raviolis si je les mange dans la demi-heure. Pas de problème. J’étanche ma soif avec une pinte dans le bar accolé. Quelques parisiens sont encore en terrasse, certains s’apprêtent à partir, travail le lendemain oblige.

00:00 – STUDIO DE MUSIQUE

À quelques minutes de là, j’ai eu vent que le rappeur Takeshi terminait l’enregistrement de son dernier titre. Son studio est caché dans les caves d’un immeuble résidentiel. Pendant que les gens s’apprêtent à se coucher, l’artiste peaufine le mixage des sons. C’est une bonne interlude musical et au chaud en prime de ça.

00:30 – CYBERCAFÉ MILK

En plein Châtelet, je découvre un monde parallèle. En sous-sol, des centaines d’ordinateurs sont alignés en rang. Contre quelques euros de l’heure, on peut jouer toute la nuit. Counter-Strike, League of Legends, World of Warcraft, une trentaine jouent en ligne. « Nique ta mère », hurle l’un d’eux contre son ordinateur. Certains sont endormis sur leur clavier. Au vu de l’odeur de la pièce, doux mélange de Red Bull et de transpiration, je parie sur le fait que certains sont là depuis très longtemps. Seule fille au mètre carré, mon ordi rame à mort et Counter-Strike refuse d’afficher autre chose que sa page de lancement. Je me rabats sur Agario avec quelque peu de honte.

01:30 – BOWLING

Les rues parisiennes sont vides. J’ai envie de rester active pour ne pas m’endormir. Un bowling est encore ouvert Place Monge. Alors que je me réjouis de renverser des quilles, une affiche sur la devanture vient ruiner mes plans : « Privatisé toute la nuit ». Je tente de négocier avec le vigile qui ne vient rien entendre, tandis que quelques joueurs fument leur clope et observe la scène. Une entreprise a réservé le lieu contre un bon bifton. Puis sors de la pénombre, le patron qui a réservé, expire sa fumée de cigarette avant de dire : « ça ne me dérange pas, vous pouvez entrer ». Il nous laisse le champ libre pour tirer quelques boules.

02:00 – BAR ET FLÉCHETTES

Un froid glacial transperce toutes les couches de mes vêtements et ça n’a rien à voir avec les strikes manqués. Tous les rideaux des bars sont tirés. Le plus dur commence. Je marche. En face du Panthéon, pas une âme qui vive, c’est assez beau. Une femme à talon apparaît dans une ruelle, une voiture ralentit, les deux discutent un temps à travers la vitre jusqu’à ce qu’elle monte à bord. Un pub est encore ouvert. Green Day et Linkin Park se succède en musique de fond, l’ambiance est au rock des années 2000. Une dizaine d’habitués jouent aux fléchettes ou boivent des bières. Le patron tente de me réveiller en faisant danser ses shakers autour de lui.

03:00 – RESTO OUVERT 24/24

À quelques minutes de là, une brasserie illumine Saint Michel. Escargots et entrecôtes, quelques touristes dégustent les plats français les plus chers de la carte. Quand je demande conseil au serveur, il m’annonce que tout est fait maison, ce dont je doute vu ce que je vois en cuisine depuis ma table. Je me rabats sur un bœuf bourguignon, du camembert et un verre de rouge pour parfaire le cliché.

03:30 – SALLE DE SPORT

Pour me réveiller, je tente d’aller faire du sport. Il existe une seule salle à Paris qui ne ferme jamais, à République. Alors que je m’attends à me retrouver dans une ambiance glauque, je découvre une vingtaine de personnes qui font leur sport, à pousser de la fonte ou travailler leurs cuissots sur des machines comme si on était au milieu de l’après-midi. Certains me saluent même avec un grand sourire, tout pimpants, tandis que mes cernes se creusent. Je croise même Ruby Nikara, la fameuse influenceuse qui vend l’eau de son bain.

04:00 – ENCORE UN BAR

Le jeu de jambes ne m’a pas suffi et je m’arrête dans un bar sur le point de fermer. Je lui demande un café, le patron refuse : « À cette heure-là, c’est de l’alcool ou rien, je n’allume pas ma machine ». Je sors bredouille et un brin vexée.

04:30 – BUS DE NUIT

Je décide de monter dans un Noctilien, pour réfléchir où aller. J’espère pouvoir y piquer un somme mais le véhicule est bondé et les personnes les plus louches de Paris s’y sont visiblement donné rendez-vous. À côté de moi quelqu’un frappe son reflet à multiples reprises et au fond du bus, quelqu’un se lance dans un rap en insultant les passagers. Pour la sieste, on repassera.

04:40 – LE GORE

Un seul club semble encore ouvert à Stalingrad. À peine arrivée dans le quartier, un crackhead me fonce dessus. Je fais le tour pour l’éviter. La soirée située dans une cave aux murs épais abrite un DJ torse nu qui semble jouer sa vie devant un public de cinq personnes qui battent la tête au rythme de la musique.  

L’ambiance aurait pu être sympa si je n’étais pas aussi crevée et si les danseurs n’étaient pas autant sous l’effet de psychotropes. Dès mon arrivée, l’un d’eux fonce pour me demander ce que je voudrais lui acheter. Des canapés sont disposés sous les enceintes, je m’y installe pour tenter de dormir.

Une fois assise, la musique résonne dans chaque parcelle de mon corps, mon coeur rebondit, mes tympans souffrent. J’y reste cinq minutes avant de me réfugier à l’étage de la scène pour éviter le massacre de mon ouïe déjà endommagée par des années de mp3 beaucoup trop fort. Les employés commencent à remballer jusqu’à ce que je sois chassée dehors.

05:00

Je me mets à chercher un peu partout sur internet ce qui pourrait être encore ouvert. Le seul restaurant pas trop loin que j’appelle m’indique être réservé toute la nuit avant de me raccrocher au nez. 

Je marche donc, quelques oiseaux se réveillent et se mettent à chanter pour m’accompagner. Je suis pile à cette heure où les couche-tard ont fini par s’endormir et où les lève-tôt ne sont pas encore tout à fait sortis de leur lit. Je tombe sur une gare TER, quelques personnes y entrent de temps en temps, je les observe sans grand but. C’est officiel, Paris n’est plus du tout fun vers 5 heures du matin.

06:00 – FIN

Et puis miracle, en continuant mon chemin, je finis par tomber sur une boulangerie. Les machines à jus d’orange et café ne marchent pas si tôt le matin mais il y a au moins ce qui fait marcher notre pays : des croissants et des pains au chocolat.

Abattue, je m’affale sur la terrasse extérieure vide et mâche nonchalamment mon pain au chocolat. Les miettes s’entassent sur mon manteau, je n’ai même plus le courage de les balayer de la main. Cela fait 9 heures que je traîne dans Paris, je pense qu’on peut dire qu’il est temps d’aller dormir. Est-ce que Paris est toujours une fête ? Peut-être pas la fête du siècle mais la plus éclectique possible, ça c’est sûr.

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