Et puis il y a ces vieux couples, ceux qu’on croise au parc, à l’épicerie ou au détour d’une rue. Bras dessus, bras dessous, ils vagabondent comme survivants d’un amour dont on n’ose même pas imaginer la durée.
Alors comment l’amour résiste-t-il à l’apparition des plis sur le corps, quels sentiments reste-t-il après 40, 50, 60 ou même plus de 70 ans à accumuler ensemble stigmates du temps et cheveux argentés ?
VICE a parlé amour et sexe avec trois couples de personnes âgées.
Clémence (96 ans) et Lambert (96 ans)
VICE : Clémence et Lambert, vous êtes marié·es depuis 76 ans. Ça fait un bail, comment on draguait à cette époque ?
Lambert : J’ai eu un coup de foudre pour elle directement. C’est venu tout seul et ça ne se contrôle pas. J’étais très ami avec ses frères donc on se voyait souvent. Quand j’allais chez eux, j’étais assis dans un coin et elle dans l’autre. C’est comme ça qu’on se courtisait. Et un jour, j’ai fait le premier pas.
Clémence : Quand on s’est marié·es, on n’a pas fait de fête ni rien. C’était la guerre, il y avait un couvre-feu à 18 heures. On ne pouvait pas faire grand-chose de toute façon.
C’est pas si différent d’aujourd’hui au final. Comment votre amour a évolué au cours de ces années ?
Lambert : Quand on était plus jeunes, je rentrais tous les soirs à minuit et j’étais reparti le matin à 7h. On a eu cinq enfants et il fallait les nourrir. Avec ma femme, on se retrouvait uniquement la nuit. Les moments au lit étaient à peu près tout ce qu’on partageait.
« En fait, 76 ans, c’est très court. Les gens qui nous félicitent pour le temps passé ensemble mais pour nous c’est naturel. »
Clémence : Avant, on ne se voyait pas si souvent. On profite plus depuis qu’on est plus âgé·es, ça nous a permis de nous redécouvrir. Quand on s’est marié·es, on était très loin d’imaginer qu’on atteindrait autant d’années ensemble.
En fait, 76 ans, c’est très court. Les gens qui nous félicitent pour le temps passé ensemble mais pour nous c’est naturel. On n’a plus été l’un·e sans l’autre depuis qu’on s’est marié·es donc on n’arrive plus à imaginer d’être séparé·es un jour. Chaque année, à Noël, on dit à nos enfants que c’est la dernière année qu’on viendra mais on est toujours là l’année suivante, c’est fou !
Avec les années, les corps changent, comment voyez-vous votre évolution physique ?
Clémence : Quand je vois d’autres personnes à la télévision qui ont le même âge, je trouve qu’il est cent fois mieux. Tous les souvenirs que je partage avec lui donnent une beauté supplémentaire. Quand on aime, c’est dans l’évolution de la vie, on est comme on est et on ne peut plus être ce qu’on a été.
Justement, plus les années passent, plus l’échéance se rapproche pour vous. Comment vivez-vous avec ça ?
Lambert : Je ne sais pas imaginer la vie sans elle, je n’y pense pas trop mais si je peux choisir, je veux mourir chez moi.
Clémence : On sent qu’on vieillit avec les petites défaillances qu’on se découvre. Mon mari n’entend plus rien. Quand il répond sur un sujet complètement à côté de la plaque parce qu’il ne comprend rien, c’est irritant. Il n’y a que quand je lui fais un signe qui veut dire qu’on va manger qu’il comprend bien. Autrement, il dit toujours que je ne sais pas articuler. C’est la cause de toutes nos disputes aujourd’hui.
Marguerite-Marie (74 ans) et José (77 ans)
VICE : Vous êtes ensemble depuis 58 ans et marié·es depuis 54, comment on fait pour ne pas se lasser après tant d’années ?
José : En étant raisonnable, en analysant quand il y a des débordements, des dérapages. Entre nous, il y en a eu. Ça renforce les liens par la suite. On s’accorde aussi des moments l’un·e sans l’autre, on fait des choses chacun·e de son côté, ça permet de se retrouver ensuite. On se redécouvre à chaque fois. Et puis, aujourd’hui, je peux sentir venir son explosivité, les disputes sont devenues une forme de langage entre nous.
« Avant, j’étais une petite bourgeoise. Maintenant je suis plutôt anarchiste et c’est quelque chose que j’ai pris de lui. »
Vous pensiez tenir si longtemps ensemble quand vous vous êtes rencontré·es ?
Marguerite-Marie : Je ne me suis pas mariée en me disant que ça allait durer seulement dix ans. Peut-être qu’on a eu un peu plus de chance que les autres. On a évolué un peu en fonction de l’autre et il faut pouvoir l’accepter. Avant, j’étais une petite bourgeoise. Maintenant, je suis plutôt anarchiste et c’est quelque chose que j’ai pris de lui.
José : Beaucoup de petites choses rendent notre relation plus forte : l’évocation du passé, les enfants, les petits-enfants et la vie qui continue. Et tout ça fluctue évidemment. Au fur et à mesure que les années passent, on est confronté·es à des problèmes différents.
« Quand je l’ai connu, il n’était pas aussi gros qu’aujourd’hui. Mais ça devient des petits bourrelets qu’on aime bien. »
Et par rapport au corps de l’autre, comment a évolué votre regard ?Marguerite-Marie : Quand on s’est rencontré·es, j’avais 17 ans, on a directement eu une attirance. Je ne sais pas ce qu’est un coup de foudre, mais en tout cas quand je l’ai vu, j’ai eu le cœur qui battait plus vite et une petite boule à l’estomac.
Quand je l’ai connu, il n’était pas aussi gros qu’aujourd’hui. Mais ça devient des petits bourrelets qu’on aime bien. C’est pas gênant. Je dois dire que vieillir, ce n’est pas si mal finalement. De toute façon, il n’était pas beau jeune et athlétique un jour, et différent du jour au lendemain. Le physique change au cours du temps et on s’y habitue, on évolue et on apprend à découvrir et à aimer toutes ces petites choses qui apparaissent chez l’autre.
Avec les années de mariage, c’est aussi l’âge qui avance chaque année. Comment vous appréhendez la mort dans votre couple ?
José : J’y pense, mais je relativise parce que je considère qu’on n’est qu’un maillon dans l’évolution. Je conçois la vie comme étant une succession de maillons qui forment une chaîne. On sait qu’on va partir. J’espère que ce sera le plus tard possible et dans les meilleures conditions.
Marguerite-Marie : On sait qu’on n’est pas éternel·les et qu’on arrive dans les années où l’un·e de nous peut partir à tout moment. Je n’ai pas envie de me retrouver seule. Si José s’en allait avant moi, je n’aurais plus personne avec qui me disputer ! Je pense que je mettrais sa photo quelque part et je m’engueulerais avec.
Michèle (71 ans) et Jean-Marie (75 ans)
VICE : Depuis combien de temps vous êtes ensemble et comment vous êtes-vous rencontré·es ?
Jean-Marie : On s’est rencontré·es chez les témoins de Jéhovah. Elle revenait d’Italie, enceinte, sans rien sur elle à part des coups car elle avait fui son ex. Moi, j’étais marié. Quand sa fille est née, on est devenu·es voisin·es. Sa fille m’appelait papa Jean-Jean alors que Michèle et moi n’étions pas ensemble.
Michèle : Ma fille avait besoin d’un père, je faisais même les petites annonces pour trouver quelqu’un alors que c’était interdit par l’organisation dans laquelle nous étions. Un soir, Jean-Marie a mis sa main sur la mienne et m’a demandé si c’était quelqu’un comme lui que je recherchais. C’est là que le courant est passé et les sentiments n’ont fait que grandir. Comme il était marié, on risquait l’exclusion si les témoins de Jéhovah apprenaient qu’on se fréquentait. On a décidé d’arrêter de se voir, le temps a passé et il a entamé une procédure de divorce.
Jean-Marie : Plusieurs années après, elle m’a envoyé une lettre disant qu’elle m’attendait. Quand je l’ai reçue, j’ai pleuré. On est allé·es boire un café dans un hôtel et on s’est mis en couple. Ça s’est fait comme un contrat commercial ; on contrôlait nos pulsions. On s’est marié·es deux mois plus tard pour ne pas avoir de problèmes avec l’organisation et on a seulement couché ensemble après le mariage. Aujourd’hui, on est marié·es depuis 43 ans et on a quitté les témoins de Jéhovah il y a 25 ans.
Comment vous décrivez votre couple après tant de temps ?
Michèle : On marche ensemble d’un même pas, sur le même chemin, même s’il y a des cailloux. Quand l’un·e faiblit, l’autre le relève. Personne d’autre ne peut me comprendre aussi bien que lui. Parfois avec un soupir, une façon de respirer, de bouger, on est en alerte comme si on savait qu’il y a quelque chose qui ne va pas. S’il y a un différend entre nous, on peut en discuter encore et encore, même des nuits entières. C’est très important de parler, tout mettre à plat et parfois, s’excuser.
« Entre nous, le temps des galipettes est dépassé car il y a plein d’arthrose. »
Au niveau de la sexualité, qu’est-ce qui a changé ?
Michèle : Dans la sexualité il y a un partage, une recherche de plaisir, mais il arrive un moment où on peut comprendre que l’autre a moins envie ou besoin de ça, et c’est ça l’amour. Sexuellement, on a eu des hauts et des bas, ce qu’il y a dans notre couple aujourd’hui c’est autre chose que la copulation. Entre nous, le temps des galipettes est dépassé car il y a plein d’arthrose.
Jean-Marie : On a peut-être eu 25 ans de belles années d’amour physique en tant que tel. Après ça passe, c’est tout. Les seins sont moins gros et la zigounette est plus grande, il y a tout qui pend. Mais on l’accepte. De toute façon, maintenant le ciment a pris et notre couple, c’est du béton armé.
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