Dès les premiers jours de la course présidentielle américaine, les médias internationaux ont souligné le côté dystopique des discours du candidat républicain. Le quotidien britannique The Guardian rapportait en mars 2024 qu’en dépit de sa victoire lors du Super Tuesday, le candidat Trump avait délivré un discours lugubre et peu enclin à enthousiasmer les foules. À une semaine du vote, le ton de l’ex-président s’est encore intensifié : il enchaîne les déclarations extravagantes et complotistes, déverse quotidiennement des flots d’insultes à l’encontre de sa concurrente démocrate. Les interrogations sur sa santé mentale abondent, et pourtant rien n’y fait : malgré ses nombreux dérapages, Trump demeure en lice et le résultat de l’élection semble d’une imprévisibilité accrue.

Les origines de cette incertitude sont certainement diverses, mais il en existe une peu souvent considérée à sa juste mesure : il s’agit de la dimension eschatologique propre au discours trumpien. Depuis son arrivée en politique, le milliardaire a toujours navigué, consciemment ou non, entre tropes et modèles bibliques. Il aime se présenter comme un homme ayant péché, mais élu par Dieu. De nombreux analystes ont noté sa propension à s’afficher tel un nouveau Cyrus, un nouveau David, voire le Dernier Empereur du Monde tel que décrit dans la tradition du Pseudo-Méthode, auteur anonyme d’une apocalypse célèbre datant du VIIe siècle après Jésus-Christ. On se souvient notamment qu’en 2019, lors de négociations avec la Chine, il avait lancé, devant les caméras : I am the Chosen One ! (« Je suis l’Élu ! »).

Depuis qu’il est revenu dans la bataille présidentielle, Trump a emprunté de nouveau cette voie, en soulignant de manière toujours plus accentuée l’aspect apocalyptique de ses discours. Pour lui, c’est le cœur même de l’Amérique qui est en péril sous la présidence de Joe Biden. Selon ses dires, les démocrates auraient délibérément ruiné l’économie du pays. D’ailleurs, il y a quelques jours, Trump n’a pas hésité à évoquer un Armageddon économique imminent pour le Michigan  si la candidate démocrate venait à être élue (rappelons que la bataille d’Armageddon représente le dernier combat entre le Bien et le Mal à la fin des temps, selon l’Apocalypse de Jean).

Trump et l'Apocalypse : dernière campagne avant la Fin du Monde ?
Brendan McDermid/Reuters

Cependant, c’est surtout la question migratoire qui nourrit les délires eschatologiques de l’ancien président. Les accusations portées par Trump contre les Haïtiens de Springfield, affirmant qu’ils mangeraient des chiens, des chats et des animaux domestiques, ont suscité de nombreuses moqueries. Beaucoup d’internautes se sont moqués de cette déclaration absurde. C’est sans doute regrettable, car attaquer un groupe en lui attribuant de telles habitudes alimentaires est un classique du racisme : les juifs, par exemple, ont été accusés à plusieurs reprises jusqu’à l’époque moderne de boire le sang de jeunes enfants chrétiens ? 

Se poser en adversaire des forces du Mal qui envahissent l’Amérique et annoncent la proximité de l’Armageddon, c’est porter les atours du sauveur de l’humanité.

On pourrait approfondir cette analogie en se référant à une source bien plus ancienne : ici encore, on pense au Pseudo-Méthode. En effet, dans ce texte désormais accessible (Harvard University Press a publié une nouvelle traduction en anglais en 2012), on peut lire ce qui suit au sujet des peuples de Gog et Magog :

« Car tous, à l’instar des scarabées, consomment des nourritures horribles et corrompues : des chiens, des souris, des chats, des serpents, des cadavres, des fœtus, des avortons, des fœtus à peine formés ou à peine esquissés et ceux d’animaux impurs. Quant aux morts, ils ne les enterrent pas mais ils les dévorent »1.

La coïncidence est révélatrice et il se peut qu’un conseiller de Trump ait eu ce texte (ou des traditions similaires) en tête. Quoi qu’il en soit, il est fort probable que, derrière l’apparente maladresse raciste de Trump, se cache un objectif plus subtil : établir un lien entre les migrants et les tribus de Gog et Magog, c’est-à-dire les peuples déchus qui, dans le chapitre 20 de l’Apocalypse de Jean, se regroupent pour menacer le camp des justes2. La fin justifie les moyens : se présenter comme l’ennemi des forces du Mal qui menacent l’Amérique et préfigurent l’Armageddon est, de facto, endosser le rôle de sauveur de l’humanité. Et peu importe les critiques ! 

Il convient ici d’évaluer l’efficacité politique d’un discours qui nous semble à la fois désuet et irrationnel.

Cette rhétorique de la Fin des Temps n’est, sans aucun doute, pas uniquement une question de croyance : il est vrai que Trump a toujours affiché un christianisme évangélique, mais il faut ici tenir compte de l’efficacité politique d’un discours qui peut sembler aussi archaïque qu’illogique. Les mécanismes de la démocratie américaine sont, pour le moins, dépassés. Comme peuvent en témoigner Hillary Clinton et Al Gore, le vote populaire qu’ils ont tous deux remporté en nombre de voix a peu d’impact : ce sont les quelques swing states de la Bible Belt (la « Bible Belt » : Géorgie, Pennsylvanie, Caroline du Nord, entre autres), majoritairement blancs et protestants, qui décident des élections. Dans ces régions, le discours apocalyptique de Donald Trump trouve un écho favorable. Il suffit de rappeler que David Rem, un prétendu ami de longue date de Trump, a qualifié Kamala Harris d’Antichrist, le 27 octobre, lors de la soirée controversée au Madison Square Garden. Antichrist, c’est-à-dire le plus grand Ennemi de l’humanité !

Malgré les espoirs suscités par le remplacement de Joe Biden par Kamala Harris, rien n’est joué pour les démocrates et il faudra attendre les résultats du 5 novembre pour savoir si l’eschatologie trumpienne aura porté ses fruits. 

●●

1. Pseudo-Methodius, Apocalypse, An Alexandrian World Chronicle, édité et traduit par Benjamin Garstad, Dumbarton Oaks Medieval Library, Harvard University Press, 2012, p. 23 (la traduction du grec en français est mienne).

2. «  Et il sortira, pour séduire les nations qui sont aux quatre coins de la terre, Gog et Magog, afin de les rassembler pour la guerre ; leur nombre est comme le sable de la mer. Et ils montèrent sur la surface de la terre, et ils investirent le camp des saints et la ville bien-aimée ».

Trump et l'Apocalypse : dernière campagne avant la Fin du Monde ?
L’assaut du Capitole par les partisans de Trump le 6 janvier 2021. John Minchillo/Associated Press

BnF, ms Néerl. 3, fol. 22. Apocalypse flamande

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