Les amateurs de sensations fortes apprécieront sans aucun doute la dernière étude de la réserve fédérale de New York sur le poids de la « finance de l’ombre » américaine. Sous l’aspect technique de la démonstration, le message est clair : les interrelations, en partie sous-estimées, entre banques et finance de l’ombre, sont tellement considérables qu’une prochaine grosse crise bancaire n’est pas à exclure. Mauvaise nouvelle : comme les banques françaises possèdent des liens importants avec le shadow banking américain, on en paierait également les conséquences de ce côté-ci de l’Atlantique.

La « finance de l’ombre » regroupe des acteurs financiers de nature différente, essentiellement les compagnies d’assurances, très régulées, et les fonds d’investissement à court et moyen terme, qui le sont bien moins, et jouent un rôle d’intermédiation en organisant des transferts d’épargne risqués. C’est cette partie du shadow banking qui pose un problème parce qu’elle est mal appréhendée par les autorités publiques.

Le discours ambiant consiste à dire que la forte régulation des banques – plus ou moins efficace d’ailleurs – pousse une partie des activités d’intermédiation entre les épargnants créanciers et les débiteurs vers la finance de l’ombre. Cette dernière évoluerait dans un monde parallèle à celui des banques et se substituerait sur certains points à ces dernières.

Or, ce n’est pas du tout ce qui se passe, démontrent les experts de la Fed. Aussi bien du côté de leurs placements que de leurs financements, les deux mondes sont en interrelations étroites. Ainsi, 13 % des ressources des banques américaines proviennent de la finance de l’ombre qui reçoit 19 % des placements totaux des banques.

De leur côté, certains acteurs du shadow banking américain dépendent beaucoup des banques. Par exemple, certains fonds quasi publics spécialisés dans le financement du logement sont tributaires des banques à plus d’un tiers (35 %) pour leur financement, les intermédiaires pour les transactions boursières à 25 %, etc. Et comme on parle ici du marché financier de la plus grande économie mondiale, les montants en jeu sont à chaque fois de l’ordre de plusieurs milliers de milliards de dollars.

Propagation de crise

L’étude de la Fed fournit plusieurs exemples concrets de toutes ces relations entre les différents acteurs de la finance. En mars 2023, au moment de la crise des banques régionales américaines, l’une d’entre elles, PacWest, est obligée de vendre une partie de ses actifs à un fonds d’investissement, un achat notamment financé par un crédit de la banque Barclays. Idem pour le grand fonds américain Blackstone, dont les différentes filiales ont souscrit des engagements de crédit, à mobiliser en cas de besoin, pour 23,5 milliards de dollars, auprès de treize banques dont BNP Paribas, Société générale et Natixis.

Avant la crise financière de 2007-2008, beaucoup d’échanges de produits financiers sophistiqués et risqués s’effectuaient de gré à gré, c’est-à-dire directement entre acteurs financiers et de manière opaque. Depuis, une part importante de ces échanges passe par des intermédiaires centralisés, des chambres de compensation, des sortes de notaires qui enregistrent les transactions mais servent aussi de contrepartie ultime : si l’un des acteurs financiers ne peut pas payer ce qu’il doit, la chambre paie à sa place.

Pour se protéger, dès que les marchés s’agitent, ces chambres demandent des garanties de plus en plus importantes aux financiers. Et qui octroie des prêts à ces financiers ? Les banques. Toutes ces relations croisées entre banques et finance de l’ombre ont pour conséquence que les crises peuvent se propager du secteur le moins bien régulé, les fonds, vers le mieux régulé, les banques.

En cas de souci, des fonds sont amenés à liquider une partie de leurs actifs, c’est-à-dire à vendre massivement des titres financiers, des actions, des titres de la dette publique ou des dettes d’entreprise, dont la valeur s’écroule. Si les banques ont les mêmes actifs, elles subissent également des pertes. Mais même si ce n’est pas le cas, elles peuvent être touchées. Parce que d’autres acteurs de la finance, par exemple des compagnies d’assurance, peuvent subir des pertes et se mettre à vendre des actifs bancaires.

Les banques françaises pourraient être touchées

On aurait tort de croire que le danger ne concerne que les Etats-Unis. La lecture du document de la Banque de France sur l’évaluation des risques du système financier français en livre un assez bon aperçu. Publié en décembre 2023, il comporte une partie sur les liens entre les banques françaises et la finance de l’ombre.

Il y a d’abord quelques bonnes nouvelles. La partie la plus risquée de notre shadow banking représente moins de 8 % de la finance française, ce qui est une part négligeable. De plus, les institutions financières non bancaires françaises ne pèsent que pour 5,8 % du financement des banques et pour 3,3 % de leurs placements. Pour autant, les acteurs de la finance non bancaire « peuvent poser des risques de nature systémique » explique le document. Pour quelle raison ?

A bien y regarder, les banques françaises dépendent de manière importante des acteurs financiers non bancaires étrangers. Une fois ces derniers pris en compte, le poids du shadow banking n’est plus anecdotique : 10,6 % des placements des banques françaises sont, au total, dans la finance de l’ombre qui leur fournit 16,5 % de leur financement.

Ces acteurs étrangers apportent essentiellement des financements de court terme en dollars. Or ces financements de courte période peuvent très vite disparaître. La crise de 2008 l’a bien démontré et les régulateurs sont très conscients du problème.

« La question des interconnexions entre le système bancaire et la finance non bancaire représente un axe majeur de nos travaux », souligne François Haas, secrétaire général adjoint en charge du pôle de stabilité financière à l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR).

Pour autant, le praticien reconnaît un manque de données à propos de certains acteurs non bancaires :

« Une partie est entre les mains des superviseurs nationaux qui ne peuvent pas toujours partager les données pour des raisons de confidentialité, et du fait d’une absence de base légale adéquate. Mais il y a un gros travail au niveau international pour permettre plus de collecte et de partage des informations. »

La Commission européenne agit également en ce sens. Mais en l’absence de mesures correctrices, la partie la moins bien régulée de la finance mondiale pourrait bien être à l’origine de la prochaine grosse crise bancaire mondiale.

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