Au pied des volcans d’Auvergne, dans la très sollicitée plaine de la Limagne, deux nouveaux venus tentent de se faire une place. Leur taille : 14 et 18 hectares, soit l’équivalent de 46 terrains de foot. Leur fondateur : l’Association syndicale libre (ASL) des Turlurons, qui regroupe 36 agriculteurs. Leur but : stocker 2,3 millions de m3 d’eau dans deux mégabassines, qui seraient alors les plus importantes de France en volume.

A la différence de leurs consœurs des Deux-Sèvres, ces deux retenues, dont le coût est estimé entre 20 et 25 millions d’euros, ne prélèveraient pas l’eau dans les nappes souterraines.

« Elles se rempliraient directement par pompage dans l’Allier, dans une zone Natura 2000 qui alimente en eau potable les agglomérations de Riom et Clermont-Ferrand », signale Antoine, géographe et militant du collectif Bassines non merci du Puy-de-Dôme (BNM63).

Cédric Duzelier, président des Turlurons justifie : « Ce projet doit contribuer à redynamiser les cultures historiques et emblématiques du territoire, comme l’ail rose de Billom, et à en développer de nouvelles, comme les plantes aromatiques et médicinales ou les légumes de plein champ. » La Limagne, rare plaine agricole auvergnate, regroupe 35 % des fermes du Puy-de-Dôme, essentiellement en grandes cultures. 15 % des surfaces y sont déjà irriguées, contre 5 % à l’échelle du département.

Un projet controversé

Pour Cédric Duzelier, le projet permettrait de « renforcer le modèle de circuits courts qui caractérise nos exploitations en Limagne. 80 % de nos productions de blé et de maïs sont transformées localement et destinées à l’alimentation humaine », assure-t-il. Une préoccupation que partage Nicolas Bertrand, vice-président de la chambre d’agriculture, structure qui soutient le projet.

« Que veut-on produire sur le territoire ? Voilà la vraie question, pose-t-il. Nous constatons une baisse de toutes les productions sur le territoire alors même que l’on nous demande de produire localement pour assurer l’indépendance alimentaire du pays. Si l’on veut, a minima, maintenir la production au niveau actuel, il faudra maintenir un nombre d’agriculteurs suffisant et leur donner les moyens de produire, et parmi eux, il y a l’accès à l’eau. »

Le porte-parole de la Confédération paysanne locale, Ludovic Landais, n’a pas la même lecture. « Ail, lavande, luzerne, blé et orge sont des prétextes à la rotation mais la principale culture concernée par l’irrigation reste le maïs semence. C’est un maïs de sélection qui part principalement à l’export et pour lequel Limagrain veut être le numéro 1 mondial. »

Au cœur de la plaine de Limagne, la coopérative agricole, qui est aussi le 4e semencier mondial, maîtrise toute la filière, de la recherche variétale à l’encadrement des agriculteurs en passant par la transformation (son usine Jacquet Brossard y produit des pains et brioches industrielles).

Plus du tiers des agriculteurs des Turlurons sont adhérents à Limagrain. Le président de la coopérative agricole, également président de l’Association pour le développement de l’irrigation en Auvergne est l’un d’eux. Si le projet des Turlurons aboutit, d’autres pourraient suivre. Limagrain estime à 20 millions de m3 le besoin d’irrigation supplémentaire dans les années à venir.

Les opposants craignent donc que l’arrivée de bassines pérennise un modèle agricole non durable. « Nous ne sommes pas des anti-irrigants, assure Ludovic Landais. Ce que l’on souhaite, c’est plutôt flécher l’usage de l’eau vers des cultures qui sont moins destinées à l’exportation ». BNM63 estime de son côté que les réflexions sur l’eau doivent également porter sur la restauration des zones humides.

« Ces espaces, en plus de la diversité biologique et écosystémique qu’ils abritent, constituent des lieux naturels de stockage de l’eau. Ce sont de véritables éponges qui retiennent l’eau lorsqu’elle est abondante et la répartissent dans les sols lorsqu’elle vient à manquer », rappelle Antoine, militant de BNM63.

La guerre de l’eau dans toute l’Europe

Le débat en cours dans la Limagne constitue un nouveau chapitre du déjà très épais livre des mégabassines. En France, outre les Deux-Sèvres, les Soulèvements de la Terre recensent 7 bassines illégales, 55 autorisées et une trentaine dont la création serait imminente.

La Confédération paysanne demande la suspension de tous les travaux et projets de mégabassines en cours tant que des recours juridiques sont en cours en France et en Europe. Une procédure pétitionnaire a été ouverte par la Commission des pétitions du Parlement européen quant à la conformité de plusieurs projets de mégabassines.

En dehors de l’Hexagone, les pays les plus confrontés au changement climatique découvrent les limites du stockage. L’Espagne, et ses 1 226 barrages et retenues d’eau, fait désormais face à une pénurie chronique. En 2021, le pays a détruit 108 de ces ouvrages – pour la plupart construits entre les années 1950 et 1990 – car ils étaient devenus inutiles en raison du manque d’eau.

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