« L’État de droit n’est ni sacré ni immuable », a affirmé le ministre de l’intérieur Bruno Retailleau – afin de préparer l’opinion publique à une intensification des violations des droits de l’homme, que l’ensemble de l’extrême-droite continue de revendiquer, au sujet du traitement des immigrés par les autorités françaises. Pour justifier cette position face aux critiques soulevées, le ministre a ensuite précisé que les circonstances d’urgence, engendrées par exemple par des crises sanitaires ou des menaces terroristes, permettent de « réajuster le curseur ». Cette actualité illustre parfaitement le propos du livre récemment publié par la juriste et politologue Eugénie Mérieau, intitulé Géopolitique de l’État d’exception : les mondialisations de l’état d’urgence (éd. du Cavalier Bleu).

Invitée de Julien Théry dans ce nouvel épisode de « La Grande H. », l’émission historique du Média, E. Mérieau démontre que la pensée politique libérale et universaliste a toujours, en parallèle des garanties en matière de droit, soutenu des régimes d’exception qui ont en réalité permis de réprimer ou d’opprimer des groupes considérés comme dangereux ou non civilisés.

Depuis l’époque de la conquête des Amériques, l’universalisme du « droit des gens » élaboré par le théologien Francisco de Vitoria (1483-1546) contestait la légitimité de l’esclavage des Africains, tel qu’il avait été déclaré par le pape à la demande des colonisateurs portugais en 1455 (bulle « Romanus pontifex »). Toutefois, le même théologien justifiait la « guerre juste » contre les peuples autochtones qui refusaient d’établir des relations commerciales avec les chrétiens, considérant également comme légitime l’asservissement des populations ainsi vaincues. Ce paradoxe se retrouve tout au long de l’histoire des constitutions politiques et de la pensée philosophico-juridique libérale : la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen d’août 1789 fut suivie d’une loi en octobre concernant l’instauration de la loi martiale, rapidement utilisée pour tirer sur les manifestants ; la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée par les Nations Unies en 1948 s’accompagne de restrictions permettant aux États colonisateurs de maintenir les discriminations juridiques contre les populations autochtones et d’exercer une répression sévère à l’encontre des mouvements indépendantistes…

De nos jours encore, les instances internationales censées garantir la protection universelle des individus autorisent en réalité de nombreux aménagements permettant de porter atteinte aux droits d’individus ou de communautés entières. E. Mérieau se place ainsi dans la lignée d’Hannah Arendt et de ses réflexions sur le « droit d’avoir des droits ». L’invitée de cet épisode de « La Grande H. » soutient également ses analyses critiques de l’universalisme juridique et politique revendiqué par l’Occident grâce à sa connaissance des cadres constitutionnels des pays d’Extrême-Orient, domaine dans lequel elle est également une spécialiste. Elle suggère ainsi que, malgré les apparences, comme elle l’a proposé dans un ouvrage antérieur (La dictature, une antithèse de la démocratie ?, éd. du Cavalier Bleu), les valeurs démocratiques de « l’État de droit » sont souvent utilisées à des fins impérialistes ou discriminatoires.

Exception, dictature, colonialisme : la face cachée de notre « État de droit » | Eugénie Mérieau, Julien Théry

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