De récentes recherches indiquent que les difficultés des démocrates dans les communautés touchées par l’addiction au fentanyl sont moins liées à une théorie économique ou à un message politique qu’à un simple manque d’attention politique. Depuis l’ère du crack, les récits concernant la propagation du fentanyl aux États-Unis ont souvent pris une dimension mythique. Ce produit, si concentré que même de très petites quantités peuvent provoquer un effet euphorisant sur une vaste population, soulève des inquiétudes considérables. Par exemple, une quantité équivalente à celle d’un shaker de sel pourrait suffire à approvisionner un quartier entier, et deux chargements de camions pourraient maintenir un pays de 330 millions d’habitants approvisionné pendant une année.
Au cours des années 1980, les récits sur le trafic de crack s’entremêlaient parfois avec les cartes historiques de la migration des Noirs. Les frères Chambers, par exemple, auraient utilisé des membres de leur famille dans le delta de l’Arkansas pour distribuer de la drogue dans des projets de logement à Detroit, dans des conditions que l’on qualifierait aujourd’hui de traite des êtres humains. De telles histoires ont été récupérées par des politiciens cherchant à exploiter des stéréotypes raciaux, comme c’est le cas actuellement avec le trafic de fentanyl, utilisé pour stigmatiser les migrants traversant le Rio Grande.
À l’instar d’autres récits d’activités illégales, ceux relatifs au fentanyl, principalement issus des forces de l’ordre, sont mémorables et partiellement vérifiables. Les politiciens américains tentent de donner un sens à la tourmente politique du pays, qui peut sembler en décalage avec le relatif bien-être économique de la société. L’épidémie de fentanyl suggère que la situation n’est peut-être pas si bonne, révélant que l’instabilité, la violence et la détresse sont proches, même avec un chômage inférieur à 4 %. Des figures politiques comme Marie Gluesenkamp Perez, une jeune députée démocrate modérée de l’État rural de Washington, ont indiqué qu’environ 40 % des nourrissons nés dans un des plus grands hôpitaux de sa circonscription ont au moins un parent accro au fentanyl.
Cet été, lors de la campagne présidentielle, il m’a semblé que l’élection de 2024 pourrait être marquée par la problématique du fentanyl. Ce dernier est généralement perçu comme la troisième vague de l’épidémie d’opioïdes, après la mauvaise utilisation de médicaments comme l’OxyContin et l’addiction à l’héroïne. Son aspect le plus préoccupant est sa létalité : le taux de décès par surdose aux États-Unis a plus que doublé depuis 2008 et est presque sept fois plus élevé qu’au début des années 1980. Cet aspect aide à comprendre l’intensité de l’immigration comme thème pour Trump, dont les récents discours se sont davantage focalisés sur les drogues et la violence que sur l’emploi. Toutefois, la présence du fentanyl peut aussi expliquer pourquoi une partie du public semble alarmée par la criminalité dans des zones où le taux d’homicides n’est pas en hausse et pourquoi certains jeunes électeurs, éloignés de la politique, semblent avoir une vision plus sombre de leur réalité que ne l’indiquent les statistiques économiques, étant donné que ce sont leurs pairs—les jeunes—qui succombent.
En septembre, lors d’un entretien sur J.D. Vance, j’ai consacré du temps à explorer les raisons pour lesquelles l’Ohio a basculé, en deux décennies, d’une légère tendance républicaine à une majorité convaincue. J’ai initialement supposé que cela était dû à une colère économique liée à la délocalisation des emplois manufacturiers vers la Chine et aux conséquences du NAFTA. Cependant, les responsables républicains que j’ai rencontrés ont plutôt évoqué l’épidémie d’opioïdes. Mark Munroe, figure de proue du Parti républicain à Mahoning County, m’a déclaré que pour les habitants, il s’agissait véritablement de protéger la frontière sud contre les drogues.
Une étude économique, bien qu’encore non publiée, que j’ai récemment trouvée, vise à éclaircir ce sujet. Authored by Carolina Arteaga de l’Université de Toronto et Victoria Barone de Notre Dame, elle examine comment les conséquences de l’épidémie d’opioïdes sont difficiles à dissocier des expériences économiques générales de déclin, notamment dans les zones touchées par la désindustrialisation et la dépopulation. Dans des documents déclassifiés relatifs aux poursuites contre Purdue Pharma, Arteaga et Barone ont constaté qu’au milieu des années 1990, la commercialisation de l’OxyContin s’était initialement concentrée sur les communautés à forte prévalence du cancer.
Bien que ni Arteaga ni Barone ne soient spécialistes de la politique américaine, les économistes qui ont examiné leur étude ont souvent posé des questions sur ses implications politiques. Ils ont découvert que les communautés ciblées par les représentants de Purdue dans les années 1990, en raison de leurs taux de cancer élevés, ont progressivement montré une tendance à s’aligner davantage avec le Parti républicain. Ces communautés ont ainsi glissé de 4,6 % vers les républicains lors des élections de la Chambre en 2020, par rapport à d’autres régions similaires.
Lors de mes échanges avec Arteaga et Barone, Arteaga a souligné que, à l’évidence, l’épidémie d’opioïdes ne favorisait pas automatiquement les républicains. Malgré cela, deux raisons semblent expliquer ce glissement vers le G.O.P. : premièrement, la misère économique des travailleurs blancs de la classe moyenne est devenue cruciale pour le Parti républicain, et deuxièmement, les médias conservateurs ont largement abordé ce sujet.
Face à cette situation, de nombreux éditoriaux post-électoraux ont conseillé au Parti démocrate de se repositionner vers le centre ou d’adopter des approches plus pragmatiques. Toutefois, l’échec des démocrates dans le cas du fentanyl n’est pas tant une question de théorie politique ou d’économie, mais plutôt un manque d’attention politique. L’histoire décrite par Arteaga et Barone ne se limite pas à blâmer des politiques d’immigration plus libérales aux frontières. Les démocrates ont souvent tendance à minimiser les inquiétudes concernant les opioïdes, les percevant comme une hystérie partisane, tout en étant lents à reconnaître que ces préoccupations sont bien réelles.
Plus tôt cet été, lors d’un rassemblement à Philadelphie, j’ai assisté à un événement de J.D. Vance qui fut marqué par des témoignages de membres de familles touchées par la dépendance aux opioïdes. Cet événement était empreint de tristesse, illustrant une réalité que beaucoup de citoyens américains traversent. Appréhender la question des drogues nécessite discernement et une prise de conscience des réalités sociales qui se cache souvent sous la surface.
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