abattoirs

Photo tirée d’une enquête d’Essere Animali sur la production des œufs. Photo publiée avec l’aimable autorisation de Being Animals.

Avertissement : les images et les témoignages qui suivent peuvent heurter la sensibilité des lecteurs.

Il n’y a pas que les espions ou les enquêteurs de police qui s’infiltrent. Depuis des années, les organisations de défense de la cause animale envoient des bénévoles dans les usines de production de viande industrielle du monde entier pour essayer d’avoir un aperçu de ce qui se passe avant que les animaux ne finissent dans nos assiettes.

Esseri Animali est une ONG qui surveille les industries de la viande et du poisson en Italie et dans les pays voisins, et qui se bat pour faire fermer les exploitations qui commettent des violations. Ses membres endossent de fausses identités et travaillent dans des abattoirs et des fermes d’élevage, afin de collecter des images et dénoncer la réalité de ce qui s’y passe.

Quatre militants nous ont parlé de ce qu’ils ont vu pendant leur mission d’infiltration et des difficultés qu’ils ont rencontrées.

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Des abus filmés dans un élevage de porcs. Photo publiée avec l’aimable autorisation de Essere Animali.

Marco*, 28 ans, a infiltré plusieurs élevages porcins

L’un de ces élevages a depuis fermé ses portes à la suite d’une bataille juridique avec Essere Animali.

VICE : Salut, Marco. Tu t’es lancé dans l’activisme quand tu étais très jeune. Qu’est-ce qui t’a attiré ?
Marco :
Les images trompeuses dans les publicités. Un soir, je regardais des vidéos sur YouTube et je suis tombé sur des enquêtes sur les droits des animaux. Avant cela, je ne connaissais rien au sujet. J’ai immédiatement décidé de devenir vegan et j’ai pris contact avec Essere Animali. Je voulais me rendre utile.

Quel est le pire souvenir que tu as gardé de ta mission d’infiltration ?
Un samedi, il fallait tuer une truie car elle était malade et ne pouvait plus mettre bas. Mais la personne habituellement chargée d’abattre les animaux n’était pas là. Un de mes collègues a décidé de la tuer avec ce qu’il avait sous la main : une massue. La truie hurlait et nous regardait pendant qu’il la frappait. Il a fallu 30 minutes pour qu’elle meure. Mon collègue m’a dit que je n’étais pas obligé de rester, mais j’étais là pour recueillir des preuves, alors je suis resté. Sinon, tout cela n’aurait servi à rien. C’est grâce à ces images que cet élevage porcin a été fermé.

As-tu des regrets ?
Oui, avec le recul, je regrette un incident. Dans un élevage en particulier, mon employeur m’a demandé de castrer un porc, alors que je ne travaillais là que depuis six jours et que je n’étais pas préparé. À ce moment-là, je ne pouvais pas faire marche arrière. En théorie, il faut un spécialiste pour effectuer la procédure, mais dans les endroits où j’ai travaillé sous couverture, elle était souvent effectuée par n’importe qui. J’avais des sueurs froides, les minutes me semblaient des heures. Les cris du porc me perçaient les tympans, même à travers mon casque anti-bruit. Dans les jours qui ont suivi, je suis allé secrètement voir comment il allait. J’ai essayé de le nourrir parce qu’il tombait malade. Il est mort peu de temps après. J’ai eu beaucoup de peine pour ce petit, j’ai même rêvé de lui une fois.

Ambra*, 36 ans, a infiltré un élevage industriel de poulets

VICE : Salut Ambra. Quelle est la pire chose que tu aies vue à l’élevage ?
Ambra :
Je n’oublierai jamais les odeurs, les bruits de l’usine, la souffrance des poussins âgés d’à peine un jour qui sont instantanément découpés vivants s’ils sont malades ou blessés. J’ai dû les toucher, les jeter, les traiter comme un produit tout en faisant semblant de m’en moquer.

Quel est l’environnement de travail dans ces lieux ?
Pour la plupart des gens, ce genre de travail est un dernier recours. J’y ai rencontré beaucoup de gens sympathiques qui me disaient : « Vous êtes italienne, que faites-vous ici ? ». [Les usines de viande italiennes emploient principalement des travailleurs étrangers.] Mes collègues étaient presque exclusivement des femmes qui travaillaient souvent plus de dix heures par jour. Nous étions soumis à une forte pression. Nous ne pouvions pas sortir du rang, ni prendre du retard. Les tapis roulants débordaient de poussins, certains tombaient, d’autres restaient coincés et suffoquaient. En une minute seulement, une centaine de poussins étaient traités et vaccinés.

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Une ferme piscicole en Grèce. Photo publiée avec l’aimable autorisation de Essere Animali.

Andrea*, 42 ans, a infiltré des fermes piscicoles en Grèce

VICE : Salut, Andrea. Comment en es-tu venue à collaborer à des enquêtes sous couverture ?
Andrea :
Je milite pour la cause animale depuis 20 ans. J’ai participé à des manifestations et des piquets de grève. Je me suis inspirée de ce qui se passait à l’étranger et j’ai décidé de cartographier les fermes intensives près de chez moi et de les infiltrer par le biais d’une organisation.

Raconte-moi un incident qui t’a marqué.
Lorsque j’étais en Grèce, j’ai vu des cages immergées remplies de poissons, dont certains pesaient jusqu’à 2 kg et étaient là depuis six ans. C’est long, surtout si l’on considère qu’ils nagent dans des filets sales et étroits, se heurtent les uns aux autres et mangent ce qui ressemble à de la nourriture pour chats. Si vous voulez voir combien de fermes piscicoles il y a en pleine mer [dans cette région], il vous suffit d’aller sur Google Maps. En dessous d’Igoumenitsa, près de la frontière albanaise, il y a un tronçon de côte de 20 km de long rempli de cages. La plupart de ces poissons sont exportés vers l’Italie.

Avais-tu peur d’être démasqué pendant cette enquête ?
Par rapport aux autres secteurs de l’élevage industriel, les exploitants de fermes piscicoles sont moins méfiants car très peu de personnes remettent en question la souffrance des poissons. La plupart des gens se fichent qu’ils soient massacrés. De plus, les enquêtes dans les fermes piscicoles sont beaucoup plus rares que dans l’industrie de la viande, par exemple. Personne là-bas ne s’imaginait être filmé au travail.

Davide*, 30 ans, a infiltré un certain nombre d’abattoirs de moutons en Sardaigne

VICE : Salut Davide. Comment t’es-tu préparé à ta première enquête ?
Davide :
J’ai suivi une formation technique qui consistait à analyser des études de cas d’enquêtes précédentes et à dresser une liste de toutes les choses qui pourraient se produire sous couverture. J’ai également regardé beaucoup de vidéos [graphiques] pour me préparer à ce que je verrais dans ces lieux. C’était choquant, mais j’ai bénéficié d’un soutien psychologique tout au long du processus.

As-tu jamais eu peur de te faire prendre ?
La peur est toujours présente, mais j’ai appris de mes erreurs. Une fois, je filmais des agneaux en train d’être tués avec une caméra cachée quand le vétérinaire est arrivé. Il avait l’air malin et je me suis dit : « Ce type va me foutre dans la merde. » Il a commencé à chuchoter quelque chose dans l’oreille du manager en me regardant. Quelque temps plus tard, j’ai été convoqué dans le bureau de mon responsable et on m’a demandé mes documents. Je lui ai donné mon permis de conduire, puis j’ai fait une scène et je suis parti, en emportant ma caméra cachée. En montant dans ma voiture, je me suis rendu compte que je n’avais pas mon permis. Je suis retourné le chercher, mais le gérant n’a voulu me le rendre que si je lui remettais les images. Je l’ai fait, puisque j’avais de toute façon tout filmé avec une autre caméra cachée.

Quelle est la pire chose qui puisse arriver quand on travaille sous couverture ?
Que les images ne sortent pas correctement. Vous rentrez chez vous après votre service, vous êtes fatigué parce que vous n’avez pas dormi depuis des jours, stressé par ce que vous avez vu, puis vous regardez le film et vous réalisez que votre temps et vos efforts n’ont servi à rien parce que les images sont inutilisables.

*Les noms ont été modifiés.

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