Malgré son succès, la Citroën Ami n'incarne pas l'alternative écolo

Malgré son succès, la Citroën Ami n’incarne pas l’alternative écolo

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« Oui, elle ressemble à un grille-pain. C’est pour ça que vous pouvez l’acheter chez Darty. » « Curieusement, notre designer n’a toujours pas été viré. » Pour faire la publicité de l’Ami, sa voiturette électrique sans permis lancée quelques mois plus tôt en juin 2020, Citroën avait choisi l’autodérision.

Début 2021, cette campagne qui insistait aussi sur le minimalisme du véhicule (« Non seulement la voiture du futur ne vole pas, mais elle n’a pas de direction assistée »), avait pu faire grincer les dents de ses premiers acheteurs : au même moment, de nombreux défauts de conception avaient contraint la marque à rappeler tous les modèles commercialisés.

Externalisé auprès du sous-traitant Altran (racheté depuis par Capgemini Engineering), son développement n’est pas allé sans complications mais, depuis, les 50 000 exemplaires vendus en ont fait un succès inattendu pour un modèle de ce type. Mais quelle en est la portée pour l’industrie automobile ?

La revanche du « pot de yaourt »

Citroën a donc fait le double pari de l’originalité et de l’austérité. Moins de 2,50 m de long, 482 kilos, 45 km/h de vitesse de pointe, 75 km d’autonomie, deux places : rechargeable sur une prise domestique, dépourvue de climatisation et de système audio, l’Ami prend le contrepied des lourds SUV suréquipés. Et est donc beaucoup plus économe en énergie à conduire, mais bien moins puissant.

Dès sa conception, qui assumait un revival des voiturettes mythiques des années 1950 comme la Messerschmitt KR 175 ou l’Iso Isetta (à l’origine de l’expression « pot de yaourt »), il s’agissait d’abaisser les coûts de production en limitant le nombre de pièces et en en piochant dans le catalogue de Stellantis.

Sa carrosserie symétrique nécessite moins de moules et permet d’interchanger ou de dupliquer certains éléments, comme ses portes identiques – quitte à inverser l’ouverture de celle du passager : « Le pire, ce n’est pas que ses portes soient montées à l’envers, c’est qu’on a fait exprès. »

Fabriquée dans l’usine Stellantis (groupe issu de la fusion de PSA et Fiat-Chrysler) de Kénitra au Maroc, elle s’affiche en concession, mais aussi chez Darty et à la Fnac, à un tarif de près de 8 000 euros, sans options et hors bonus écologique de 900 euros. Pas exactement un prix d’ami, surtout avec une assurance tous risques à plus de 100 euros par mois ?

Tout dépend des points de comparaison. Bien plus onéreuse qu’un scooter, sans rendre beaucoup plus de services (un habitacle fermé, principalement), l’Ami se positionne en entrée de gamme de son segment des « quadricycles légers » – bridés à 45 km/h, n’offrant que deux places et accessibles dès 14 ans avec un simple brevet de sécurité routière.

Même en motorisation thermique, les modèles Aixam ou Ligier sont en effet plus chers de quelques milliers d’euros. Côté électrique, le constructeur italo-chinois Xev a lancé la Yoyo, le suisse Micro la Microlino, mais elles sont vendues plus de 15 000 euros.

Le vide béant des véhicules intermédiaires

L’Ami est surtout beaucoup plus abordable qu’une minicitadine du segment A comme la Renault Twingo, la Fiat 500 ou la Volkswagen Up, qui s’affichent à plus de 15 000 euros en version thermique, et aux alentours de 30 000 euros en version électrique. En entrée de gamme électrique, peu de modèles rejoignent la Dacia Spring, voiture la moins chère du marché, sous la barre des 20 000 euros.

Alors, l’Ami contribue-t-elle à combler le vide béant des « véhicules intermédiaires » entre le vélo électrique et la voiture classique, vide agrandi par la disparition des microcitadines Smart ForTwo et Toyota IQ ? Le marché des voiturettes sans permis, longtemps stable, a doublé depuis la crise du Covid, passant de 13 376 immatriculations en 2019 à 26 238 en 2023. Ce qui ne représente toutefois, cette année-là, que 1,4 % des ventes de voitures neuves.

Bernard Jullien, économiste spécialiste de la filière automobile, membre du Groupe d’étude et de recherche permanent sur l’industrie et les salariés de l’automobile (Gerpisa), voit dans l’Ami plutôt une « candidature de témoignage » :

« L’Ami esquisse une place pour des véhicules à forte urbanité, très vertueux, intéressants intellectuellement, politiquement et écologiquement, mais dont la fenêtre d’usages est étroite en termes de taille, de puissance, de vitesse et d’accès aux chaussées. »

Les quadricycles à moteur sans permis ne peuvent en effet pas circuler sur les quatre voies, les autoroutes ou les rocades, ils offrent un espace limité pour stocker des courses à la sortie du supermarché et ne permettent de n’emmener qu’un seul enfant à l’école – autant de handicaps pour les usages périurbains. Et leur prix restreint leur clientèle potentielle.

De fait, l’Ami a principalement trouvé son public dans les banlieues huppées, où les véhicules gris-bleu s’alignent devant les lycées privés. Un créneau que le chercheur désigne en souriant comme « le marché de l’angoisse parentale envers la mobilité de leurs enfants ».

Relancer le segment A en s’inspirant des « kei cars »

« Comme c’est souvent le cas en matière de mobilité, on a tendance à inventer pléthore de solutions pour les riches urbains, et on est plus démunis pour offrir des solutions aux moins aisés et aux ruraux », note Bernard Jullien, qui poursuit :

« Les véhicules intermédiaires ne fournissent aux objectifs de réduction des émissions qu’une réponse cosmétique, et avec ce type de longueur de série, on ne va pas sauver d’usines. »

Pour favoriser des véhicules moins polluants, moins chers et néanmoins polyvalents, pour séduire une population plus modeste, il s’agit plutôt de relancer le segment A en proposant des voitures entre 10 000 et 15 000 euros, sous les 20 000 euros pour les modèles électriques. Or les constructeurs européens l’ont délaissé en raison de marges insuffisantes et de normes de sécurité et environnementales pénalisantes.

La nouvelle R5, compacte, disponible uniquement en version électrique et conçue comme un modèle de masse, ne s’en rapprochera que de loin, avec un prix de 25 000 euros en entrée de gamme. En mars dernier, le patron de Renault Luca de Meo invitait cependant à s’inspirer des kei cars (« voitures légères » en japonais) de moins de 3,40 mètres de long et moins de 900 kilos, mais qui proposent cinq places… et représentent plus du tiers du marché nippon.

Afin d’encourager cette offre plus polyvalente, Bernard Jullien suggère d’alléger les contraintes réglementaires et d’aménager la fiscalité, par exemple avec une TVA moindre, un transfert des bonus écologiques vers ces véhicules ou un retrait de ces bonus aux modèles électriques de plus d’une tonne.

En attendant, la Citroën Ami aura fait son chemin, fût-ce à une allure de 45 km/h, et avec des allures de grille-pain.

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