Qui sont les champions de la fraude sociale en France ? Commençons par ne pas répondre à la question. Et par rappeler qu’à côté des jardinets où concourent les magouilleurs au RSA ou à la carte Vitale, il existe de vastes stades olympiques dans lesquels des athlètes hors catégorie continuent d’arnaquer le fisc à coups de milliards d’euros.

Comme un bon graphique vaut parfois mille explications, chaque année ou presque, Alternatives Economiques reproduit ce graphique où se côtoient des bulles de tailles très disparates. Aussi grosse que Jupiter, la géante gazeuse du système solaire, la fraude fiscale fait perdre, selon les estimations, entre 80 et 100 milliards d’euros aux caisses de l’Etat, pour 15,2 milliards d’euros de fraude détectée et réclamée à ces contribuables indélicats en 2023.

La fraude sociale s’apparente, elle, à la plus modeste Venus, avec un total de 13 milliards estimés dont 2 milliards détectés et 600 millions réellement recouvrés.

Très didactique, le dernier rapport du Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFiPS) sur la lutte contre la fraude sociale explique bien les différentes étapes entre son évaluation, les montants détectés donnant lieu à un redressement ou à un blocage en amont du versement (fraude évitée), et enfin les sommes effectivement recouvrées.

Par l’ampleur des montants évaporés dans la nature, la fraude fiscale offre évidemment des débouchés plus prometteurs que la fraude sociale. Pour autant, ce n’est pas parce que les fraudeurs sociaux restent minoritaires qu’il n’y a pas lieu de s’attaquer au problème. Le consentement à l’impôt ou au fait de payer des cotisations sociales exige que le système sociofiscal soit contrôlé.

Il l’est d’ailleurs de mieux en mieux, même si de nombreux progrès restent à réaliser. Le montant des fraudes détectées, qui ne cesse d’augmenter, montre que ce ne sont pas les infractions elles-mêmes qui sont en plein essor, mais les moyens pour mieux les circonscrire.

Employeurs et travailleurs indépendants : plus de la moitié de la fraude sociale

En revanche, le rapport du HCFiPS vient utilement remettre les pendules à l’heure dans un débat médiatique obnubilé par ces assurés qui profitent indûment des prestations sociales.

« Les montants évalués sur les retraites sont très peu significatifs alors que les fraudes aux “faux centenaires” font souvent la une de l’actualité. Si l’on s’attache au taux de cotisations éludées [qui recouvre à la fois des erreurs et des fraudes, NDLR.], le risque le plus important porte sur les microentrepreneurs », pointent les auteurs.

Parmi les grands acteurs économiques de la fraude sociale, ce sont en effet les employeurs et les travailleurs indépendants qui tiennent le haut du pavé en ne déclarant pas, par exemple, des heures de travail effectuées. Avec une fraude aux Urssaf (évaluée à 6,91 milliards d’euros) et à la Mutualité sociale agricole (0,34 milliard), ils sont responsables de 56 % de la fraude.

Dans le rapport qu’ils ont réalisé pour le Conseil des prélèvements obligatoires sur les fraudes et évitements des revenus des personnes physiques, le conseiller à la Cour des comptes Alexandre Jehan et le magistrat Clément Puechbroussou rappellent les chiffres de l’Observatoire du travail dissimulé pour l’année 2022 : 69 % des microentrepreneurs des plates-formes n’ont pas respecté leurs obligations déclaratives auprès de l’Urssaf.

Quant au manque à gagner total lié au travail dissimulé, il serait compris entre 8 et 10 milliards d’euros. Le taux de fraude moyen relatif à ce phénomène (entre 1,6 % et 2,1 % selon le HCFiPS) atteindrait même des records dans certains secteurs (8,2 % dans les hôtels, cafés et restaurants par exemple).

Sachant, précise le HCFiPS, que seules 10 % des sommes redressées au titre contre le travail dissimulé sont recouvrées, car de nombreuses entreprises (personnes morales) disparaissent ou organisent leur insolvabilité avant que les agents de l’Urssaf puissent récupérer les fonds.

Des montants très en deçà des besoins de la Sécurité sociale

Viennent ensuite les assurés qui représentent un tiers (34 %) de la fraude sociale, avec un peu plus de 4 milliards d’euros. Très souvent pointée du doigt, la fraude au RSA (1,54 milliard de prestations indues) est suivie par celle à la prime d’activité (1,05 milliard).

Les arnaques à la retraite sont, encore une fois, ridiculement faibles (0,04 milliard), tandis que les fausses déclarations auprès de France Travail (emplois fictifs, heures de travail dissimulées) ne comptent que pour 0,11 milliard. Ce qui n’empêche pas les politiques de taxer les chômeurs et de restreindre leurs droits, au prétexte que l’assurance chômage ne les inciterait pas suffisamment à reprendre un emploi.

Enfin, les professionnels de santé comptent pour 10 % de la fraude sociale (1,71 milliard), au travers des manquements aux remboursements de santé.

Dans cette dernière famille, il est encore difficile de faire la part entre les assurés qui abuseraient de leur carte Vitale ou d’une rente d’invalidité, les excès des opérateurs qui assurent le transport des patients (taxi, ambulances, VSL…), et les praticiens (médecins, infirmiers libéraux, kiné…) qui prescrivent des actes au-delà des besoins réels du patient – et pour lesquels la Sécurité sociale préfère parler d’abus de droit.

Le rapport du Haut Conseil du financement de la protection sociale en convient : le manque à gagner lié à la fraude n’est pas négligeable, mais « la lutte contre la fraude ne saurait être considérée comme “la” solution aux problèmes financiers de la protection sociale ; les montants redressés et a fortiori recouvrés sont très en deçà des besoins financiers de la Sécurité sociale ».

Les techniques de détection s’améliorent et les efforts vont continuer à porter sur la limitation de la fraude sociale et fiscale avant même qu’elle soit commise. Mais il est toujours bon de garder en tête les ordres de grandeur avant de cibler une catégorie d’assurés en particulier.

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